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Du tracé de Sésostris III à aujourd’hui, ce cordon ombilical entre Occident et mers du Sud a toujours suscité de nombreuses convoitises.

À l’heure de la réélection programmée du président al-Sissi, l’Institut du monde arabe revient sur un des principaux chantiers d’Égypte. Ce n’est pas trop dire que le percement du canal de Suez a été une prouesse pharaonique puisque son premier tracé date de Sésostris III (il débouchait alors sur le Nil). Et ce n’est pas trop de dire qu’il est l’expression de deux génies conjugués, le français et l’égyptien. Dernier effort, la principale tranche d’un doublement censé porter les passages quotidiens de navires de 49 à 97 en 2023, inauguré le 6 août 2015, a été réalisée en un an seulement. Ce jour-là, Jack Lang était aux côtés de François Hollande et d’al-Sissi. Découvrant le site, il lançait l’idée d’une exposition.

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Un rideau rouge s’ouvre aujourd’hui au premier étage de l’institution que l’ancien ministre de la Culture dirige. Ambiance second Empire. Au son des trompettes d’Aïda (opéra commandé à Verdi sur la base d’une idée de Mariette, le fondateur de l’égyptologie avec Champollion), la voix de Frédéric Mitterrand conte des festivités grandioses. Elles ont été données à l’intention du gotha international pour l’aboutissement de l’ouvrage conçu par un ingénieur originaire de Lorient, Louis Linant de Bellefonds, et conduit par l’audacieux entrepreneur Ferdinand de Lesseps. De belles maquettes de vapeurs et de ports occupent cette première salle bordée de plans, de panoramas, d’huiles et d’aquarelles d’Édouard Riou, futur collaborateur de Jules Verne. Clou de ce chapitre, la robe saharienne à taille de guêpe et le portrait d’Eugénie par Franz Xaver Winterhalter. L’impératrice s’est déplacée sans son époux retenu par la maladie.

Ouvrage capitalistique

Le khédive Ismaïl l’accueille ainsi que l’empereur François-Joseph d’Autriche, prince royal de Prusse, le prince et la princesse des Pays-Bas, le grand-duc Michel de Russie, le prince héritier du Hanovre, le duc d’Aoste, le grand vizir du Maroc et l’émir Abdel Kader. Savants, artistes, écrivains et journalistes sont aussi de la fête. Leurs articles dans les reproductions de journaux sont disposés sur des estrades. Seuls Victoria et Abdel Aziz ne sont pas représentés. L’empire anglais et le sultanat ottoman voient leur suprématie contestée par ce corridor nouveau reliant Occident et Orient. Eux ne communient donc pas lors de la cérémonie religieuse, chrétienne et musulmane, qui célèbre la jonction des eaux.

L’idée d’un canal connectant Méditerranée et mer Rouge ressurgit d’abord chez les Vénitiens qui voudraient conserver la mainmise commerciale après les découvertes de Colomb et de Vasco de Gama

Au second niveau, on remonte le temps jusqu’au XIXe siècle avant notre ère. Dans les vitrines, stèles et bas-reliefs évoquent les premiers précédents. Ceux antiques de Sésostris III qui permettaient déjà d’assurer l’acheminement de 30 tonnes de marchandises sur des barques de quinze mètres. Ceux du Perse Darius puis de Ptolémée II et de l’émir Amr Ibn al-As qui, chacun à leur époque, ont réussi à dégager l’ouvrage originel des sables qui l’encombrent constamment.

Drague décrocheuse.
Drague décrocheuse. – Crédits photo : © Archives nationales du monde du travail (Roubaix)

Après un autre endormissement – d’au moins sept siècles – l’idée d’un canal connectant Méditerranée et mer Rouge ressurgit. D’abord chez les Vénitiens qui voudraient bien ainsi conserver la mainmise commerciale après les découvertes de Colomb et de Vasco de Gama. Mais la technologie nécessaire n’est pas au point. Durant sa campagne, Bonaparte pousse les études mais ses ingénieurs se trompent dans le calcul du niveau des mers. Emmenés par Prosper Enfantin, les saint-simoniens, fervents défenseur de progrès et dont on admire les beaux costumes orientaux dans des gravures et des dessins, corrigent l’erreur. Le rêve est possible affirment-ils.

Sous l’égide de leur cadet Lesseps, autorisé par Saïd Ali en 1859 à lancer les travaux, l’aventure capitalistique, technique et humaine commence. Elle va durer dix ans. Un panorama vu à vol d’oiseau dessiné par Albert Rieger, ainsi qu’un plan-relief long de dix mètres restauré pour l’occasion et pas montré depuis 1878, livre d’un coup d’œil le résultat. À proximité, des modèles réduits des premières dragueuses au monde, des bâtiments modernes quoique de style oriental et des affiches très colorées. Ils témoignent d’un optimisme de propagande que les photos sépia corrigent. On y voit les fellahs soumis à la corvée. Entre 20.000 et 30.000 âmes creusent en même temps. D’abord à la pelle. Le chantier et les épidémies auraient coûté 100.000 vies. Mais ce chiffre varie selon les sources, de dix fois moins à quatre fois plus…

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Dès avant sa réalisation et bien après sa nationalisation en 1956 par Nasser, le site sera convoité. Différents conflits ponctuent en conséquence la dernière partie du parcours. Cartes, accords parfois si secrets qu’ils n’avaient jamais été montrés, extraits de films (d’actualités ou de fiction) et photos abondent pour expliquer les différents mouvements de troupes sur les deux berges entre 1882, date du débarquement anglais, et la guerre du Kippour en octobre 1973. Des témoignages vidéos – dont celui du philosophe Michel Serres qui, jeune marin, avait été chargé de rouvrir le canal par le sud en 1957 – ravivent cette histoire récente.

L’avenir enfin est esquissé. Avec notamment la sortie de terre, à 80 km du canal, d’une capitale administrative censée désengorger Le Caire et mieux amarrer le Sinaï au reste du pays. D’ici à quinze ans, cette cité encore sans nom devrait accueillir 6,5 millions d’habitants sur 57.000 hectares. Tel est le prochain défi pharaonique.

«L’Épopée du canal de Suez, des pharaons au XXIe siècle», à L’Institut du monde arabe (Paris Ve), jusqu’au 5 août. Ensuite au MuCEM de Marseille puis au Caire, Musée des civilisations. Le matériel audiovisuel sera donné au musée d’Ismaïlia. Catalogue Gallimard, 160 p. 22 €. Tél.: 01 40 51 38 38. www.imarabe.org


 

Source: © Le canal de Suez, une saga moderne

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