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TRIBUNE – L’ancien président de l’Assemblée parlementaire de l’Otan réagit aux propos tenus par Emmanuel Macron, lors de son voyage en Chine le 9 avril. Le président de la République avait appelé l’Union européenne à ne pas «être suiviste» des États-Unis ou de la Chine sur la question taïwanaise.
Source:© Pierre Lellouche: «Les leçons du voyage de Macron en Chine»

TRIBUNE – L’ancien président de l’Assemblée parlementaire de l’Otan réagit aux propos tenus par Emmanuel Macron, lors de son voyage en Chine le 9 avril. Le président de la République avait appelé l’Union européenne à ne pas «être suiviste» des États-Unis ou de la Chine sur la question taïwanaise.

N’est pas de Gaulle qui veut. Il y a cinquante-neuf ans, en janvier 1964, le Général avait été le premier, bientôt suivi par l’ensemble des puissances occidentales, à reconnaître la Chine communiste de Mao. Installant l’idée d’une France certes alliée des États-Unis, mais libre et indépendante entre les deux blocs de l’époque.

 

En avril 2023, hélas, le voyage d’Emmanuel Macron en Chine aura fait apparaître au grand jour le déclassement en même temps que l’incohérence de la politique étrangère de la France. Économie, Ukraine, «souveraineté européenne», aucun des trois objectifs de cette visite n’auront été atteints. Bien au contraire.

Sur le premier volet, en dehors d’une deuxième usine d’Airbus construite en Chine plutôt qu’en France, où sont les investissements chinois chez nous (à peine 500 millions d’euros en 2021), où est l’engagement de Pékin à promouvoir des échanges moins déséquilibrés, alors que la Chine représente à elle seule le quart de notre abyssal déficit du commerce extérieur (40 milliards d’euros sur 164 milliards)?

Au contraire, Macron a laissé Total, pour la première fois, rédiger ses contrats d’hydrocarbures avec la Chine en yuans, et non en dollars. Une percée majeure pour Pékin qui cherche activement à dédollariser les échanges internationaux pour faire pièce à la domination du billet vert et aux sanctions qui s’y attachent.

L’Ukraine

L’Ukraine? Pour des raisons mystérieuses et qui lui appartiennent, Macron s’était mis dans la tête de faire de la Chine le faiseur de paix en Ukraine. Xi Jinping, insistait-on dans l’entourage du président français, est le seul capable de peser sur Poutine. À lui seul, Xi était le «game changer».

Curieuse idée vraiment, que de faire de la Chine l’arbitre, en même temps que l’architecte de la paix, sur le continent européen! Surtout quand, du côté français, on s’abstient d’en faire de même sur Taïwan…

Encore plus curieuse est l’idée selon laquelle la Chine serait neutre, donc potentiellement médiatrice dans le conflit ukrainien. Sans être militairement alliée de la Russie (du moins pas encore), la Chine est «l’amie» de Poutine, dont elle achète les matières premières sous embargo en Occident, et à qui elle fournit les composants industriels et électroniques indispensables à son effort de guerre.

Ce que Macron ne veut pas voir, c’est que la Chine bâtit depuis des mois, avec la Russie et les Brics, un front antiaméricain et anti-occidental, visant à en finir une bonne fois avec l’ordre américain de 1945. En aucun cas, la Chine cherchera la défaite ou l’échec pour Moscou, le partenaire avec lequel elle entend bien exploiter les changements de rapports de force dans le monde, «les plus importants depuis cent ans», selon Xi.

L’agitation pour exister

Mais poussons le raisonnement jusqu’à l’absurde: à supposer même que la Chine ait accepté de faire ouvertement pression sur Poutine pour lui imposer un cessez- le-feu, pouvait-on vraiment imaginer une seule seconde que Poutine consente à céder publiquement, consacrant ainsi son échec et son statut de vassal de Pékin? Comme on pouvait s’y attendre, le Kremlin, une fois de plus, a immédiatement balayé l’initiative de Macron…

Sans surprise donc, le président est là aussi, rentré bredouille à Paris: sa tentative de médiation par Chine interposée, a rencontré le même sort que celles à répétition, tentées directement avec Poutine. La planète entière n’a pas manqué de s’en apercevoir, entamant un peu plus la crédibilité internationale de la France. Après l’échec des tentatives maladroites en direction de Moscou, avait-on besoin d’un nouveau revers spectaculaire à Pékin? L’agitation, pour «exister», ne saurait tenir lieu de politique étrangère.

Restait alors la grande ambition macronienne énoncée dès le fameux discours de la Sorbonne en 2017: incarner la fameuse «souveraineté européenne». Pour ce faire, Macron voulant jouer collectif, avait conçu l’idée baroque de se faire accompagner de Mme von der Leyen, l’incontrôlable présidente de la Commission. Avec, comme il était prévisible, l’effet exactement inverse à celui recherché: mettre à jour les divergences fondamentales, au sein de l’Union, quant à la politique devant être suivie à l’égard de la Chine, la superpuissance montante.

Vers un monde multipolaire?

Alors qu’Ursula von der Leyen, par ailleurs candidate au poste de secrétaire générale de l’Otan, venait quelques jours auparavant de formuler une position dure, voisine de la stratégie de confrontation de Biden, Macron quant à lui s’empara du dossier taïwanais pour proclamer tout l’inverse.

Sans doute convaincu par la rhétorique de Xi sur le prochain monde multipolaire à trois pôles (États-Unis, Chine, Europe), Macron ira même jusqu’à proclamer, devant les journalistes français et américain, son intention de refuser tout «suivisme» des États-Unis dans leur stratégie d’endiguement de la Chine.

Au nom de «l’autonomie stratégique européenne», dont Macron revendique fièrement la paternité, le président, parlant au nom des Européens, s’interroge ainsi: «Avons-nous intérêt à une accélération sur le sujet de Taïwan? Non. La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur ce sujet et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise.» Déclaration qui suscita immédiatement une intense satisfaction à Pékin, mais un tollé de critiques, voire d’insultes (Trump), partout ailleurs.

À commencer par l’Europe, où de Berlin à Varsovie, on voulut souligner que Macron ne parlait que pour lui. De quelle «autonomie» s’agit-il, en effet, alors que la guerre en Ukraine est totalement pilotée par les États-Unis et l’Otan, et que sans l’aide du Pentagone, l’Ukraine serait déjà aux mains des Russes?

Ukrainiens ou Taïwanais?

Et comment la France peut-elle, «en même temps», être alignée sur Washington en Ukraine et neutre, voire équidistante sur Taïwan? Comment souhaiter la victoire de la première avec l’aide des États-Unis, et abandonner la seconde à la Chine, au nom de l’autonomie européenne? Le tout à la veille d’impressionnantes manœuvres militaires chinoises contre Taïwan? La liberté de 48 millions d’Ukrainiens vaudrait-elle donc d’avantage que celle de 28 millions de Taïwanais?

Avec une telle morale à géométrie variable, comment s’étonner que le «Sud global» ne se sente guère concerné par l’Ukraine, et préfère une attitude de neutralité bienveillante à l’égard de la Russie?

Et comment prétendre enfin qu’une crise à Taïwan ne nous concernerait pas, alors même que Macron lui-même souhaite, à juste titre d’ailleurs, affirmer la France en tant que puissance de l’Indo-Pacifique, grâce à notre présence en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie? Clairement, les conséquences d’un tel conflit seraient immenses en Asie comme dans le monde entier, ne serait-ce que parce que Taïwan est l’usine mondiale des semi-conducteurs.

Après l’échec de Macron au Liban, le silence assourdissant sur l’Arménie pour prix du gaz azéri, l’expulsion de la France du Sahel, la discorde avec le Maghreb, l’humiliation de l’affaire des sous-marins australiens, les médiations ratées avec Moscou et désormais le fiasco du voyage en Chine, le bilan n’est guère glorieux…

 

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