ENQUÊTE – Un an après l’élection présidentielle, le président de la région des Hauts-de-France se fait sévère à l’égard de l’exécutif. À ses yeux, le modèle de société du chef de l’État oublie les classes moyennes, «les milieux de cordée», dont il entend se faire le porte-voix.
Les Républicains, ce n’est plus son affaire. Les partis politiques non plus. «C’est de la flûte», confie-t-il au Figaro. Xavier Bertrand se projette dans la durée. «Il n’y a strictement aucune urgence», glisse-t-il. Il passe d’ailleurs son temps à dire non aux invitations des médias. Finies les matinales avalées avec boulimie pour mieux avoir le sentiment de compter. «Je ne suis pas dans la logique “3615 j’existe”, j’ai vraiment passé l’âge», répond le président de la région des Hauts-de-France. «Ma logique prioritaire, c’est réussir dans la région, faire réussir la région», martèle-t-il. Tout est dit, les deux dimensions sont liées.
À ses yeux, aucun chemin – a fortiori présidentiel – ne pourra s’ouvrir s’il n’a pas fait la démonstration dans les Hauts-de-France qu’il a réussi à défendre les classes moyennes, «les milieux de cordée», comme il les appelle dans une franche opposition au «premier de cordée» d’Emmanuel Macron. «Cette théorie-là, mon Dieu que je la repousse. C’est le modèle anglo-saxon!», s’offusque-t-il en reprochant au chef de l’État de ne s’intéresser qu’«aux premiers de cordée».
Quand il développe son argumentation, Xavier Bertrand se veut cash: un mélange d’images concrètes saupoudrées de quelques mots anglais (appartenir à un parti politique est un «sticker» encombrant ; lui veut penser «out of the box»). Comme un vocabulaire qui se rapprocherait de celui de l’entreprise. D’ailleurs, ça lui convient bien. Plutôt que des grands discours, l’ex-assureur veut revenir à une politique des solutions. C’est la seule façon, dit-il, de «raccrocher les Français à la politique, de les reconnecter, de restaurer la confiance», fait-il valoir. «Ça passe par des mesures très concrètes qui montrent que vous donnez un contenu précis aux discours.» Et ensuite peut-être qu’ils adhéreront.
«J’aurais pu faire plus d’économies en coupant durement dans les politiques, en évitant les aides. Mais l’équation purement budgétaire, ça amène la brutalité»
Le président des Hauts-de-France se veut donc «entièrement concentré» à sa tâche pour apporter «des solutions» et «des preuves» aux habitants de sa région. Depuis deux ans, il a économisé 210 millions d’euros sur les dépenses de fonctionnement, rappelle-t-il satisfait. «Ça fait beaucoup? J’aurais pu en faire plus en coupant durement dans les politiques, en évitant les aides. Mais l’équation purement budgétaire, ça amène la brutalité», juge-t-il.
Le message adressé à Emmanuel Macron est clair. Certaines mesures ont été trop brutales, la politique trop clivante. «Je ne suis pas nostalgique des contrats aidés, mais leurs bénéficiaires n’étaient pas des fainéants! Le budget de l’État a peut-être fait des économies. Pas celui de la nation. Parce que derrière, ils sont tous aux Assedic», poursuit-il en utilisant à dessein le terme macroniste de «fainéant».
Aux choix de l’exécutif, Xavier Bertrand oppose sa politique régionale. Il a décidé de se laisser une marge de manœuvre financière dans les Hauts-de-France pour mettre sur pied des dispositifs de retour à l’emploi, d’aide au transport ou de garde d’enfant, de financement par avance du permis de conduire pour les jeunes contre un remboursement étalé dans le temps. Il teste d’ailleurs ses idées au sein de son think-tank La Manufacture pour voir si elles sont en «résonance» en dehors de la région. Il en pioche d’autres aussi pour les appliquer directement. Il se définit comme un «faiseux» plutôt qu’un «diseux». Pas question donc de retomber dans les affres d’un parti politique. Ce n’est plus son agenda. Lui s’intéresse à «à la France d’après». «Et là, avec Macron, je ne suis pas d’accord.» Xavier Bertrand entend donc le faire savoir.
«On est dans un technopouvoir comme jamais. Les élites ne se rendent pas compte combien les classes moyennes n’en peuvent plus, combien elles se serrent la ceinture bien plus qu’on ne le pense !»
«Pourquoi je défends autant les milieux de cordée? Ce n’est pas seulement parce qu’ils ont toutes les raisons d’être exaspérés et de laisser tomber. Ce que je critique, c’est la déconnexion des élites», appuie-t-il en visant directement le chef de l’État. «On est dans un technopouvoir comme jamais. Les élites ne se rendent pas compte combien les classes moyennes n’en peuvent plus, combien elles se serrent la ceinture bien plus qu’on ne le pense! Le logement, le transport, le carburant, le prix du timbre… tout a explosé. Les Français comptent bien mieux que les ordinateurs de Bercy. Ils voient toutes les augmentations», énumère-t-il.
«Macron a entretenu et joué sur la confusion avec le en même temps depuis un an», argue Xavier Bertrand. «Mais le en même temps et la bienveillance ont complètement disparu. Peut-être qu’aux objets trouvés, on peut faire quelque chose?», ironise-t-il, sévère. Pour lui, loin d’entretenir «le lien entre les Français», Emmanuel Macron «préfère cliver».
L’ex-ministre est sévère. Sa hantise, c’est que faute de se sentir considérés, les «milieux de cordée» finissent par se détourner de jeu démocratique et basculent dans le vote des extrêmes ou l’abstention. «Et là ce sera fini, la France basculera, comme en Italie», argue-t-il. Pour Xavier Bertrand, le risque n’est pas loin. «Je me dis que toutes les causes qui ont porté le FN à ce niveau-là n’ont pas diminué: choix migratoire, atteinte à la laïcité, difficultés du pouvoir d’achat, insuffisante maîtrise de la dépense publique. C’est toujours là. Or les mêmes causes produisent les mêmes effets», met-il en garde.
On le croyait «Macron compatible», on le retrouve Macron divergent. Comme pour rappeler que son vote au candidat Macron en 2017 ne valait pas quitus, mais refus de l’extrême droite. Une situation qu’il a connue à l’échelle régionale, deux ans plus tôt. «Quand on gagne contre le FN, la façon de gouverner doit être totalement différente. ll y a une nécessité absolue de chercher à rassembler.» Comment? «En ayant le sens de l’intérêt général», argue-t-il.
C’est ce qu’il reproche à Emmanuel Macron. Donner l’impression d’avoir oublié le message des électeurs il y a un an, se complaire dans un exercice solitaire du pouvoir en «usant et abusant de la com’». Comme pour la vidéo sur «le pognon de dingue» filmé dans le salon vert de l’Élysée. «Elle a été prise à l’insu de son plein gré?», raille Bertrand. «Et ensuite, on a dérobé le téléphone portable de sa directrice de communication pour poster le message sur les réseaux sociaux? C’est bon, faut pas nous prendre pour des zozos!», s’agace-t-il.
«C’est simple, Emmanuel Macron a gagné en n’écoutant personne, et il pense qu’il réussira en n’écoutant personne, donc il ne changera plus»
Décidément, en un an, le regard du président de région a bien changé. Il le reconnaît. «Je pensais que Macron était prêt à écouter, mais il n’écoute rien, vous pouvez faire toutes les propositions du monde, ça ne l’intéresse pas», répond-il. «C’est simple, il a gagné en n’écoutant personne, et il pense qu’il réussira en n’écoutant personne, donc il ne changera plus», affirme le président de région.
Critique, Xavier Bertrand l’est assurément. Sur la gouvernance, le style, la politique d’Emmanuel Macron. «Ce pays est gouverné à deux. Macron-Kohler, Kohler-Macron», dénonce le président de région en renvoyant au couple formé par le président et le secrétaire général de l’Élysée. «Mais si la France se gouverne à deux personnes, c’est que je n’ai pas tout compris à la façon dont on organise le pays et à la façon dont il doit être géré.»
Or pour Bertrand, «le courage politique ce n’est pas de dire qu’on dépense un “pognon de dingue” avec les aides sociales, c’est de s’attaquer au fond du problème!» Pour lui, plutôt que de dire qu’il y a «trop de social en France», «ce serait plus honnête de dire qu’il est mal réparti. La solidarité oui, l’assistanat non», résume-t-il. Son œil brille. Il se redresse. «Vous avez vu l’étude qui est sortie, 50 % de dons en moins!», reprend-il en revenant sur la réforme de l’ISF. «Elle est belle la théorie du ruissellement! On dirait bien que la source se tarit», ironise-t-il en rejetant le modèle de société d’Emmanuel Macron. «Ça ne marche pas évidemment!», assène-t-il en plaidant à l’inverse pour «la modernisation du modèle français, débarrassé de ses abus et de ses excès».
Sur les questions régaliennes, non plus, Xavier Bertrand n’est pas convaincu par le nouveau monde. Trop «d’angles morts» selon lui. «Il n’est pas à l’aise sur ces questions. On voit bien qu’il aimerait que ça se règle tout seul, mais ça ne sera pas le cas», s’inquiète-t-il. «Et si vous ne faites pas preuve d’une vraie fermeté sur la question de la laïcité, l’islam politique se développera.» Quant au dossier européen, il trouve le chef de l’État «à contretemps». «Macron pousse les feux de la gouvernance mais le vrai sujet c’est la crise migratoire! Est-ce qu’on continue l’Europe ou on arrête? C’est ça l’enjeu», juge-t-il. «Le président de République fait des grands discours mais derrière, concrètement, je ne vois pas comment il avance.»
En filigrane, sujet après sujet, Xavier Bertrand dessine le portrait de l’opposant à Emmanuel Macron pour la prochaine présidentielle. Un rôle qu’il aimerait manifestement endosser. «Celui» – il se reprend – «celui ou celle qui voudra être l’alternative républicaine à Macron devra rassembler et pas seulement sa famille politique», détaille-t-il en se différenciant sur ce point de Nicolas Sarkozy.
Pour Xavier Bertrand, il faut aller au-delà des Républicains et rassembler sur «des valeurs, des idées précises, sur des réformes clés». Il liste les quatre réformes majeures qu’il a en tête: «en quoi l’État redevient efficace sur le régalien», «en quoi l’État redevient stratège en matière économique et industrielle», «en quoi l’État est garant, sur la santé, la protection sociale», enfin, «en quoi l’État redevient partenaire des entreprises et des collectivités locales».
Ce projet qu’il dessine, c’est «le projet d’une droite, mais d’une droite qui n’est pas revancharde, pas caricaturale, pas agressive», affirme-t-il dans une critique directe adressée à Laurent Wauquiez. «Le vrai danger pour la droite, ce n’est pas le rétrécissement, c’est l’isolement», déplore-t-il. «Quand vous ne pouvez plus nouer la moindre alliance, si ce n’est à la droite de la droite, c’est terminé. Vous n’êtes plus un parti de gouvernement. Et c’est ça qui est clairement posé maintenant», juge-t-il. Il reste «persuadé» que ce sont des gens «non énervés qui peuvent proposer des mesures très fortes, fermes et efficaces.»
Le message est clair: non énervé comme lui, efficace comme lui. «Avec mon mandat de président de la région, je ne suis pas là pour repousser l’échéance de la victoire des extrêmes», appuie-t-il. «Je suis là pour que les Français se disent que dans la partie républicaine de la politique, il y a des gens qui ont des solutions pour les sortir des difficultés.» Xavier Bertrand fait mine de s’interroger: «Après, est-ce que c’est moi qui suis capable pour les incarner? Ce seront les Français qui décideront.» Il s’emploie en tout cas à être prêt.
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Marion Mourgue Journaliste
Grand reporter au service politique du Figaro en charge du suivi de la droite
Source : Xavier Bertrand, de «Macron compatible» à «Macron divergent»
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LOUBATIERES
Toutes les vielles badernes en perdition de LR vont tenter de se faire offrir un poste! Nous n’avons pas besoin d’eux! Qu’ils rejoignent les antisémites FN ou les idiots (aussi antisémites) de la FI. Vous gagnerons!
Laurent Mayeux
Monsieur, je vous ai contacté via Facebook Messenger à propos de l’une de mes photographies représentant Xavier Bertrand que vous utilisez sans en avoir les droits. A ce jour je n’ai pas eu de réponse de votre part. Je vous demande donc de retirer l’image dont je suis l’auteur et pour laquelle vous ne possédez aucun droit de diffusion sous un délai d’une semaine à compter de ce jour. En l’absence de réponse et d’action de votre part, je saisirai la SAIF (équivalent à la Sacem pour les photographes) pour violation et contrefaçon de droits d’auteur. J’informe dès aujourd’hui également l’agence de presse AbacaPress de cette contrefaçon.
Cordialement,
Laurent Mayeux
RichardA
Cher Monsieur,
J’ai viens de prendre connaissance de votre requête. Bien entendu, je retire cette image qui est sans l’abstract qui renvoie à l’article du Figaro quiest d’accès publique.
Pour votre information, je vous informe de la jurisprudence concernant l’usage de photos sur internet et le domaine public. Il n’y a usage illicite que si la diffusion touche un publique nouveau.
En conséquence, vous devriez demander au Figaro de mettre l’article en usage privé afin de votre photo ne diffuse pas au-delà des abonnés du Figaro !
Cordialement
Richard C. ABITBOL