FIGAROVOX/TRIBUNE – Maxime Tandonnet décrypte le clip de campagne de LREM pour les Européennes. Pour lui, affirmer aux électeurs qu’ils «n’ont pas le choix» revient à nier le vote, qui est justement un choix, et ce clip, destiné à pourfendre les ennemis de la démocratie, débouche lui-même sur la négation de la démocratie.
Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Maxime Tandonnet décrypte l’exercice de l’État pour le FigaroVox. Il est l’auteur de nombreux ouvrages historiques, dont «Les parias de la République» (éd. Perrin), et vient de publier «André Tardieu – L’incompris» (Perrin).
Toutes les formules ont été essayées: «renouvellement», «transformation», «refondation» «nouveau monde». Mais l’ancien monde s’obstine à persister: scandales politiques, démesure narcissique, calculs politiciens, étouffement fiscal, banalisation de la violence, désindustrialisation, chômage de masse et pauvreté. Alors il faut trouver autre chose, cogner plus fort afin de couvrir cette obsédante réalité: «Pour une renaissance européenne» sera le slogan de campagne. L’idéologie d’En Marche, comme d’autres, comporte une forte connotation «table rase», passage des ténèbres à la lumière, de l’obscurantisme moyenâgeux à l’éblouissement de la modernité. Dans tout exercice de propagande, ce n’est pas la vérité qui compte, mais la force du message. Le nouveau monde n’aurait-il rien à envier à l’ancien? Le clip de campagne de LREM intitulé «pour une renaissance européenne» en dit long sur cette idéologie.
Le clip En Marche est paradoxal : destiné à pourfendre les ennemis de la démocratie, il débouche lui-même sur la négation de la démocratie.
Tout d’abord, il s’ouvre sur une succession d’images apocalyptiques: inondations, bidonvilles, mouvement de foule aux allures fascisantes, immigration clandestine, barbelés, violences répressives. Un climat de cauchemar s’en dégage. Puis la vidéo se poursuit sur un slogan, qui est au centre de son message: «vous n’avez pas le choix». En somme, si vous ne voulez pas déclencher le chaos, l’unique solution est de voter pour le bien suprême ou l’avenir radieux, celui que nous incarnons. Or, affirmer aux électeurs «vous n’avez pas le choix», revient à nier les fondements du suffrage universel. Voter est justement exercer un choix. Dès lors que celui-ci est annihilé, la démocratie perd sa raison d’être. Le clip En Marche est paradoxal: destiné à pourfendre les ennemis de la démocratie, il débouche lui-même sur la négation de la démocratie.
Mais ce n’est pas tout. Quelques secondes plus tard, il nuance le propos: «vous avez un choix simple, celui de donner un peu plus de place à chaque élection aux nationalistes, à ceux qui détestent l’Europe.» En arrière-plan apparaît alors, subrepticement, comme dans un message subliminal, l’image de la présidente du Rassemblement national (ex-Front national). Puis, un nouveau slogan semble contredire le premier: «Et vous avez le choix de prendre vos responsabilités et de vouloir cette Europe, etc.» Le film diffuse alors des images de liesse, de jeunesse, de rayonnement qui contrastent avec les scènes anxiogènes du début.
Le message sur lequel il débouche est celui du manichéisme. Vous n’avez pas le choix, ou plutôt vous n’avez pas d’autre choix qu’entre le bien LREM et le mal nationaliste, pas d’autre choix que celui de voter pour la liste En Marche ou pour le retour à la barbarie. Ce clip illustre le discours présidentiel qui oppose la souveraineté européenne à la lèpre populiste ou nationaliste. Il pointe le doigt vers l’unique adversaire légitime à ses yeux: l’opposant lepéniste. Il écarte ainsi toute autre forme d’opposition politique. Déjà, derrière le scrutin européen, se profile l’élection présidentielle de 2022. Dans un contexte de morosité, d’impopularité et d’échec sur tous les sujets, l’assurance de la réélection passe par la reproduction du deuxième tour de mai 2017. Tel est le message du clip: vous n’avez et vous n’aurez pas d’autre choix.
Cette vidéo de campagne est à l’image du naufrage de la politique dans le mépris des gens, des électeurs.
Cette vidéo de campagne est à l’image du naufrage de la politique dans le mépris des gens, des électeurs. Elle ne s’adresse pas à la raison. Elle ne dit pas un mot du monde des réalités et des difficultés quotidiennes des Français, des réponses possibles à y apporter. Bien au contraire, elle les noie dans une vague d’émotions, la peur puis l’euphorie. Elle brandit la menace nationaliste, sous entendu fasciste, comme un monstre se préparant à déferler sur le continent européen. Or, aujourd’hui, le risque de voir s’établir en Europe occidentale des régimes abrogeant le suffrage universel, supprimant les libertés publiques et individuelles, enfermant ou exécutant les opposants politiques, promulguant des lois abjectes (racisme, camps de concentration) ou déclenchant des guerres d’invasion, est nul ou infime. Et ils le savent bien. Les dangers réels sont ailleurs, et notamment dans le terrorisme djihadiste, que le clip n’évoque même pas, ayant répandu le sang en Europe et massacré 250 personnes depuis 4 ans sur le sol français.
Cette vidéo stigmatise violemment les Français de tout bord qui ont voté non à 55% au référendum de mai 2005 sur la Constitution européenne, aggravant ainsi le climat d’hystérie et les déchirements du pays. Tel est-il le rôle d’un parti présidentiel? Elle est si caricaturale que son effet pourrait être à l’inverse de celui recherché: rappeler aux Français, au rebours du martèlement des sondages, qu’il existe peut-être, en 2019 comme en 2022, d’autres alternatives qu’un choix binaire, imposé à force de propagande, entre le supposé bien «En Marche» et son opposant préféré, choisi, désigné sous l’étiquette de «nationaliste».
Maxime Tandonnet
Source:© «Vous n’avez pas le choix»: quand le clip de campagne de LREM verse dans la propagande