Pour le déconfinement, Édouard Philippe promet 500.000 tests hebdomadaires et 17 millions de masques «grand public». La production peut-elle suivre ?
LA QUESTION. Le premier ministre Édouard Philippe a promis dimanche 500.000 tests par semaine et 17 millions de masques «grand public» pour préparer la sortie du confinement. Alors que les tests et les masques sont au cœur de la stratégie pour éviter un rebond de l’épidémie post-confinement, des interrogations demeurent sur la capacité de la France à sortir de la pénurie.À lire aussi : Coronavirus : l’Asie fait-elle vraiment face à une seconde vague épidémique?
Les objectifs dévoilés dimanche sont ambitieux. Il faudra «tester beaucoup et rapidement», a déclaré le chef du gouvernement. Quant aux masques, les besoins devraient être encore plus grands qu’aujourd’hui. Car au-delà de l’équipement des soignants, ils seront probablement obligatoires dans les transports en commun et fortement recommandés pour certaines professions au contact du grand public. La France aura-t-elle les moyens de ses ambitions ?
VÉRIFIONS. Certains signaux ne sont pas de nature à rassurer. Certes, les achats et la production sont nettement montés en cadence ces dernières semaines afin de remédier à la situation de pénurie. Concernant les masques chirurgicaux et FFP2, la France reste très dépendante des importations chinoises pour protéger ses soignants. Elles sont passées en moins d’un mois de 34 à 81 millions par semaine. La mise en place d’un pont aérien entre la France et la Chine a permis de commander plus d’un milliard de masques.
Proche de la surchauffe
Mais dans cette «chasse au trésor» mondiale, la concurrence est rude entre États. Et la situation évolue de jour en jour. Depuis le début du mois, les conditions d’exportation des masques se sont durcies. Le nombre d’usines certifiées par les autorités chinoises (autour de 20.000 jusque-là) aurait baissé de 30% en raison des nombreux retours pour contrefaçons ou liés à la piètre qualité des masques, préjudiciable à l’image de l’Empire du Milieu. «On se retrouve dans une situation où les douaniers chinois ouvrent tous les cartons, ce qui rallonge considérablement les délais d’acheminement», explique Patrick Schiltz, PDG de Visiomed, qui a signé avec l’État une commande de 8 millions de masques en provenance de Chine.
Quant à la production nationale de masques médicaux, elle est proche de la surchauffe. Surtout, plus inquiétant, elle plafonne depuis trois semaines à 8 millions d’unités par semaine quand le chef de l’État, en visite le mois dernier chez l’un des quatre fabricants de l’Hexagone (Kolmi-Hopen), a promis qu’elle atteindrait 10 millions à la fin avril…À lire aussi : Coronavirus : faut-il craindre que des personnes guéries soient peu ou pas immunisées ?
Les pouvoirs publics semblent avoir reporté leurs espoirs sur une filière de production «alternative», montée de toutes pièces en quelques semaines, destinée à produire des masques «grand public» lavables et réutilisables. Elle a vu le jour grâce à la mobilisation d’entreprises issues du textile et d’autres industries, de grands groupes (Faurecia, Intermarché, Chargeurs…) comme de PME (1083, Les Tissages de Charlieu…). «D’ici la fin du mois, le rythme de production devrait atteindre 15 millions de masques par semaine, explique-t-on à Bercy. Puisque ces masques peuvent être lavés une vingtaine de fois, cela représente l’équivalent de 300 millions à usage unique». Au total, ce sont 170 prototypes qui ont passé le test du labo de la Direction générale de l’armement.
Concernant les tests moléculaires, des doutes subsistent sur les capacités alors que la France mise sur un dépistage massif de la population en vue du déconfinement. Depuis deux semaines, le nombre de tests réalisés dans les laboratoires hospitaliers plafonne à 90.000 par semaine, selon les chiffres de Santé Publique France, après avoir augmenté régulièrement depuis mars. Sur ce front aussi, le marché est très concurrentiel, les États-Unis captant une large partie de la production. Sur le carnet de commandes du géant suisse Roche, «les clients français sont les parents pauvres en machines et en réactifs», déplore un professionnel.
Tensions sur les réactifs
Le choix du gouvernement français, qui a passé de premières commandes il y a trois semaines, s’est notamment porté sur les équipements d’un industriel de Shenzhen, MGI, filiale du groupe chinois BGI, pour 19 laboratoires hospitaliers publics. «Avec 20 automates en cours de livraison, le but est de pouvoir faire 2000 tests par jour dans chaque site», détaille Perla El Hage, responsable pour l’Europe de BGI. 2 millions de kits d’extraction font également partie de la commande. Mais l’achat du matériel ne suffit pas. Il faut plusieurs jours pour former le personnel des laboratoires à leur utilisation. Et, dans le cas de BGI, chaque automate requiert environ 4 personnes. La montée en puissance ne pourra donc être que progressive. À cela s’ajoutent les tensions en matière d’approvisionnement. «Nous sommes limités dans les commandes par les capacités de production mondiales et par les tensions sur les réactifs», explique Stéphane Eimer, PDG du numéro 1 français des laboratoires privés d’analyses médicales.
Après un retard au démarrage, les labos de ville ont finalement été inclus dans la réflexion. «Les pouvoirs publics ont pris conscience de nos capacités analytiques qui vont permettre de prévoir un déconfinement plus rapide et une meilleure prise en charge de la population, ajoute Stéphane Eimer qui a commandé 3 millions de tests PCR. Il faut qu’il y ait le moins d’à-coups possible et qu’on puisse faire vite un test PCR à une personne ayant des symptômes et à ses proches». Au total, ce sont quelque 100.000 personnes qui pourraient être testées en PCR chaque jour dans les laboratoires de ville. L’immense défi du dépistage reste à relever.
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Source:© Tests de dépistage, masques : la France a-t-elle les moyens de ses ambitions ?