Le sénateur des Bouches-du-Rhône, qui avait été élu maire du 7e secteur de la ville en 2014 avant de laisser sa place à sa nièce en rejoignant le Palais du Luxembourg, brigue cette fois-ci la mairie centrale.
Stéphane Ravier est né un 4 août. Jour de la saint Jean-Marie. Cinquante ans plus tard, le sénateur lepéniste, candidat à la mairie de Marseille, reste plus que jamais fidèle à la ligne historique de l’ex-Front national et à son mentor : Le Pen père. « Sans lui, la fierté française aurait peut-être disparu, le glorifie même Stéphane Ravier dans un livre façonné pour sa campagne municipale, Fils de Marseille. Rendons-lui cet hommage, malgré ses travers. »
Parmi les « travers » de Jean-Marie Le Pen : plusieurs condamnations, notamment pour contestation de crime contre l’humanité et provocation à la haine, et, finalement, une exclusion du parti qu’il a cofondé par sa propre fille, après avoir réitéré ses propos sur le « détail de l’histoire ».
« J’étais fier de placarder son visage dans ma chambre aux côtés d’une autre idole, Angus Young du groupe AC/DC », raconte encore Stéphane Ravier sur ses débuts militants. Désormais membre du bureau national de Rassemblement national (RN), il a appris du bannissement de ses pairs, et saupoudre son frontisme à l’ancienne de gages de loyauté à Marine Le Pen. D’autant que, convient-il, « je ne pense pas pouvoir me passer du tampon du RN, même si ma notoriété a fait un bond depuis 2014 ».
Il y a six ans, conséquence d’une triangulaire inattendue, Stéphane Ravier arrachait le 7e secteur de Marseille au Parti socialiste (PS). Tout un symbole pour l’ex-FN si peu implanté dans les grandes villes. Un mandat plus tard, Marine Le Pen viendra elle-même le soutenir, vendredi 6 mars, à une semaine du premier tour des municipales.
Adhésion à la thèse du « grand remplacement »
Sous ses airs volubiles et enjôleurs, Stéphane Ravier fait grincer les chantres de la dédiabolisation avec ses sorties rustres, identitaires et misogynes. Mais la présidente du RN semble tout lui excuser, au point de lui accorder quasiment son seul meeting dans cette campagne des municipales. Même son adhésion aux discours sur « le grand remplacement ».
L’une de ses têtes de liste a publié un message sur Facebook : « le fascisme, c’est la fête ! »
S’il affirme ne pas avoir lu Renaud Camus – « je ne vois même pas à quoi il ressemble » –, Stéphane Ravier « assume » en propager sans embarras une partie de la doctrine, taxant « l’immigration massive » d’« immigration de peuplement menant à terme à une immigration de remplacement ». En avril 2019, le sénateur des Bouches-du-Rhône invitait ainsi Eric Zemmour à discuter entre prophètes du « grand remplacement ». « Les Arabes et les Français, c’est l’huile et le vinaigre, ça finit par se séparer », lâchait le chroniqueur condamné depuis pour provocation à la haine raciale pour d’autres saillies, aux côtés d’un Ravier rigolard et acquiesçant : « J’ai vu ma ville changer, les coutumes, les revendications changer. A cause de cette religion laïque et obligatoire qu’est le vivre-ensemble. »
Pas sûr que la patronne du RN soit aussi à l’aise avec la récente sortie de l’un des favoris de Stéphane Ravier : Bernard Marandat. Le plus ancien conseiller municipal frontiste de Marseille, élu en 2008 et candidat dans le 4e secteur, vient de s’illustrer sur les réseaux sociaux en publiant sur Facebook le 19 février, un message – repéré par le journal satirique Raviet supprimé depuis – bien loin de la dédiabolisation affichée par le parti d’extrême droite. Bernard Marandat a ainsi rendu hommage à son ami et ancien dirigeant de l’Action française avec qui il partageait « les meetings royalistes à Montmajour et aux Baux, les combats du GUD à Aix et à Marseile », Guy Bertran de Balanda, mort en février et toujours en dernière position sur la liste RN : « C’est toi qui concrétise le mieux la formule que nous avions reprise : “le fascisme, c’est la fête” ».
Ligne sécuritaire et identitaire
Pour Benoît Payan, président du groupe socialiste au conseil municipal et candidat du Printemps marseillais dans le 2e secteur de la ville, Stéphane Ravier « ne cherche que le buzz, le clash. Il ne cherche pas à apporter des solutions mais à stigmatiser, à monter les gens les uns contre les autres. Il se pense moderne parce qu’il utilise les réseaux sociaux, mais il utilise les vieilles ficelles de la droite la plus rance. » En juillet 2019, au soir de la fête dans les rues de Marseille après la victoire de l’Algérie en Coupe d’Afrique des nations, le sénateur RN publiait ainsi une vidéo sur Facebook avec un commentaire : « Marseille ville française ? Vraiment ? » Une semaine plus tard, il ajoutait sur BFM-TV que « [lui], maire de Marseille », les drapeaux algériens auraient été interdits.
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Lui, maire de Marseille, promet également Stéphane Ravier dans ses cent mesures pour la ville, le référendum d’initiative citoyenne (RIC) serait instauré, les élus absents sanctionnés, 600 policiers municipaux supplémentaires recrutés dont 200 dès la première année… Fidèle à sa ligne identitaire et sécuritaire, le candidat RN jure aussi de « traquer les racailles, expulser les familles de délinquants, lutter contre l’islamisme, interdire les burkinis et le voile intégral ». Sans compter l’installation d’un commissariat municipal par arrondissement et la création d’une brigade antigang et d’une autre antisquat. « Il est à fond », résume, hilare, Dany Lamy, conseiller d’arrondissement RN en charge des questions de sécurité.
« Stéphane Ravier est grossier, sexiste, misogyne. Le combattre est dans mon ADN », tance Samia Ghali, tête de liste Marseille avant tout. Lasénatrice ex-PS des Bouches-du-Rhône a d’ailleurs déposé plainte pour injure publique sexiste contre Stéphane Ravier, qui l’avait qualifié de « point G de Marseille » lors de sa rencontre avec Eric Zemmour. Tout comme Lydia Frentzel, élue Europe Ecologie-Les Verts (EELV), à qui le frontiste avait donné rendez-vous « au même hôtel, le même jour, à la même heure » en plein conseil municipal, en février 2019.
Après les municipales de 2014, une dizaine de colistiers ont fini par siéger en indépendants, dénonçant l’autoritarisme de leur ex-leader et l’affublant du surnom de « dictateur nord phocéen »
Stéphane Ravier, lui, hausse les épaules. Même Marine Le Pen y a vu « une blague ». « On ne va peut-être pas faire une police de la blague de mauvais goût », balayait la patronne du RN, il y a un an sur France Inter. D’autant moins avec celui qui a apporté à son parti sa mairie la plus importante, avec ses plus de 150 000 habitants. Et qui pourrait faire oublier, par un bon score en 2020, les carences du parti d’extrême droite dans les autres grandes villes.
Veste de costume sur jean, croix marseillaise bleue sur fond blanc systématiquement accrochée au revers, cheveux désormais poivre et sel, Stéphane Ravier reste mordu de football. « Toujours croyant mais pas pratiquant », toujours « patriote marseillais ». Mais en six ans, certaines choses ont changé.
Son équipe, d’abord, s’est professionnalisée tout en collant à sa ligne. Son ex-assistant parlementaire Antoine Baudino – ancien de Génération identitaire qui se présente dans la ville voisine de Berre – structure son agenda. Emmy Font, formée à l’école de sciences politiques de Marion Maréchal, dirige sa campagne. « Le mariage de la fidélité et de la nouveauté » assure Stéphane Ravier.
Un mariage surtout dicté par les circonstances : en 2014, quelques mois seulement après les municipales, le groupe Front national avait volé en éclats à Marseille. Une dizaine de colistiers ont fini par siéger en indépendants, dénonçant l’autoritarisme de leur ex-leader et l’affublant du surnom de « dictateur nord-phocéen ».Parmi eux, Michel Cataneo a déposé plainte en 2017, accusant le sénateur de l’avoir forcé à démissionner sous la contrainte, et à se taire sous la menace. « Tu baigneras dans ta merde et ton sang », lui aurait lancé Stéphane Ravier, qui nie les faits. D’autres voix critiques soulignent une tendance au népotisme, entre sa nièce Sandrine D’Angio, à qui il a transmis son siège de maire du 7e secteur en devenant sénateur, et l’embauche de son fils comme agent municipal.
Maigre bilan dans son secteur
S’il ne pilote plus directement la mairie de secteur, le sénateur Ravier tente de valoriser l’action de son équipe depuis six ans. Convention avec l’association Voisins vigilants, brigade de la propreté, soutien aux écoles délaissées par la mairie centrale… Le bilan est bien maigre. Mais le candidat RN renvoie les critiques au peu de compétences que détiennent, à Marseille, les mairies de secteur. En 2020, il vise donc l’hôtel central, et rien de moins, adaptant au passage ses arguments pour grimper dans les quartiers moins favorables. Dans le très populaire 8e secteur, tout au nord de la ville, le voilà pointer du doigt snacks halal et restaurants kebabs en déversant son discours identitaire… Alors que dans le 6e secteur, plus bourgeois, il préfère fustiger l’urbanisation forcenée orchestrée par la municipalité de Jean-Claude Gaudin. Article réservé à nos abonnés Lire aussi Pour Marine Le Pen, l’échec de 2017 s’éloigne dans l’opinion
Une stratégie qui pourrait bien fonctionner dans des municipales marseillaises où la droite, comme la gauche, partent morcelées comme jamais. Fin janvier, un sondage le plaçait même en deuxième position au premier tour, à 22 % des intentions de vote, talonnant d’un point à peine Martine Vassal, la dauphine Les Républicains de Jean-Claude Gaudin.
Stéphane Ravier se garde d’ailleurs bien d’agresser verbalement le sortant. Lors du dernier conseil municipal du maire aux vingt-cinq années de mandat, le 27 janvier, il a même habilement choisi d’évoquer une anecdote de la campagne précédente. « Je n’ai toujours pas compris pourquoi vous m’aviez glissé dans la main quelques miettes de navette lors de la bénédiction de la Chandeleur. Est-ce que vous avez voulu me dire que vous m’accordiez une part du gâteau électoral ? Ou avez-vous voulu me faire comprendre que vous ne me laisseriez que les miettes dans les urnes ? » Jean-Claude Gaudin a ri, mais n’a pas répondu.
Lucie Soullier et Gilles Rof(Marseille, correspondant)
Source:© Stéphane Ravier, le frontisme à l’ancienne en embuscade à Marseille