FIGAROVOX/LECTURE – Alexandre Devecchio a lu Hillbilly Élégie, véritable phénomène éditorial aux États-Unis. Dans ce récit autobiographique J. D. Vance retrace la rude vie des « petits Blancs » de l’Amérique profonde qui ont voté pour Trump et fait entendre la voix d’une classe désillusionnée, sans jamais verser dans le misérabilisme.
Alexandre Devecchio est journaliste au Figaro, en charge du FigaroVox. Il vient de publier Les Nouveaux enfants du siècle, enquête sur une génération fracturée (éd. du Cerf, 2016) et est coauteur de Bienvenue dans le pire des mondes (éd. Plon, 2016).
Certains peinent, aujourd’hui encore, à y croire. Il y a un an presque jour pour jour, Donald Trump devenait le président américain le plus improbable de l’histoire. Phénomène éditorial aux Etats-Unis, où il a été l’un des best-sellers de l’année, Hillbilly Elégie, traduit en français par les Editions Globe, permet de mieux saisir cet événement qui a fait mentir tant d’observateurs. Pourtant, le livre de J. D. Vance n’a rien d’un essai politique traditionnel. Il a été écrit avant que Trump ne soit officiellement le candidat des républicains à la présidentielle et prend la forme d’un récit autobiographique.
Le livre de J. D. Vance n’a rien d’un essai politique traditionnel. Il a été écrit avant que Trump ne soit officiellement le candidat des républicains.
L’auteur y raconte son parcours atypique: celle d’un transfuge culturel, J. D. Vance, 33 ans, diplômé de la faculté de droit de Yale, l’une des plus prestigieuses du monde. Il habite une maison confortable sur la côte Est, est heureux en couple et a deux chiens en pleine forme. Mais, au fond de lui, il demeure un «plouc des collines», «un Hillbilly irlando-écossais». Vance vient d’une famille pauvre de la région industrielle de la Rust Belt (ceinture de la rouille). Ces grands-parents, «Papaw» et «Mamaw», issus des Appalaches, dans le Kentucky, se sont installés dans l’Ohio pour fuir la misère. Sympathisant du Parti démocrate, «le parti qui défendait les travailleurs», Papaw a connu une forme d’ascension sociale en devenant ouvrier dans l’industrie sidérurgique. Deux générations plus tard, tout a changé. L’Ohio est passé du camp démocrate au camp républicain, entraînant la victoire de Trump et une recomposition profonde du paysage politique américain.
A travers son histoire chaotique (père absent, mère toxico), J. D. Vance retrace le destin des «petits Blancs» de l’Amérique périphérique. Sa description de l’effondrement de Middletown, l’une des plus anciennes villes de l’Ohio, est saisissante de vérité. Le centre-ville, qui avait fière allure dans les années 1980, n’est plus qu’un pâle reflet de l’âge d’or de l’Amérique industrielle. Les centres commerciaux toujours pleins, les restaurants qui existaient depuis l’entre-deux-guerres et les bars où les ouvriers se retrouvaient pour aller boire un coup après l’usine, ont laissé place aux rues vides, aux boutiques aux vitrines barricadées et aux fast-foods chinois. Le terrain de basket n’est plus qu’un rectangle de béton envahi par les mauvaises herbes. L’usine Armco qui avait «téléporté les grands-parents de Vance des collines du Kentucky dans la classe moyenne américaine», a périclité. La valeur des logements a chuté et leurs propriétaires se retrouvent assignés à résidence dans des quartiers en décrépitude. Leur espérance de vie diminue.
Dans cet enfer postindustriel, la colère gronde contre une élite démocrate déconnectée et coupable de n’avoir d’yeux que pour les minorités.
Dans cet enfer postindustriel, la colère gronde contre une élite démocrate déconnectée et coupable de n’avoir d’yeux que pour les minorités. «Le président Obama a fait ses débuts en politique alors que beaucoup de gens dans ma communauté commençaient à croire que, dans l’Amérique moderne, la méritocratie n’avait pas été forgée pour eux», analyse Vance. Le destin de ces oubliés de l’Amérique profonde fait écho à celui des «sans-dents» de la France des invisibles. Mais, et c’est la force et l’originalité du livre, l’auteur ne verse jamais dans le misérabilisme ou la complaisance. Il connaît les siens: leurs grandes qualités comme leurs immenses défauts. Perdants de la mondialisation, ils sont aussi responsables de leur sort. Les Hillbillies sont dotés d’un vrai sens de l’honneur et de la famille. Ces durs à cuire ont le sang chaud et, si quelqu’un insulte leur mère, ils peuvent sortir leur colt ou leur «tronçonneuse». Mais beaucoup trop d’entre eux ont un penchant pour l’alcool et la drogue. Chaque soir, ils se hurlent dessus et se jettent à la figure tout ce qui leur passe par la main. Leur culture de l’assistanat et du ressentiment les enferme dans une forme de communautarisme victimaire. «Une tendance forte, chez les Blancs de la classe ouvrière, consiste à accuser la société ou le gouvernement de tous les maux, et elle ne cesse de s’étendre», déplore J. D. Vance. Son regard est à la fois sévère et juste. Car, malgré sa trajectoire brillante, il est resté l’un d’entre eux. «Là où les Américains voient des Hillbillies, des rednecks ou des white trash, je vois mes voisins, mes amis, ma famille, écrit-il. J’aime ces gens, y compris ceux auxquels j’évite de parler pour ma santé mentale. Car il n’y a pas de méchants dans cette histoire. Il y a juste une drôle de bande de Hillbillies qui luttent et cherchent leur voie.»
Hillbilly Elégie, de J. D. Vance, Editions Globe, 22 €. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Vincent Raynaud.
Source:© Splendeur et Misère des «petits blancs»