ANALYSE – Cette Française de confession juive tuée en avril dernier a été la proie d’un mal nouveau : l’antisémitisme arabo-musulman, exacerbé ces dernières années par la montée en puissance de l’islam radical dans certains quartiers.
Et Macron évoqua enfin Sarah Halimi. Lors de l’hommage aux victimes de la rafle du Vél’ d’Hiv‘ dimanche dernier, le président de la République a brisé le mur d’indifférence qui entourait le meurtre de cette Française de confession juive, torturée à son domicile aux cris d’«Allah akbar» puis défenestrée. «Malgré les dénégations du meurtrier, la justice doit faire désormais toute la clarté sur la mort de Sarah Halimi», a martelé Emmanuel Macron, déclenchant une salve d’applaudissements. Juste avant lui, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, avait évoqué l’affaire et le président du Conseil représentatif des institutions juives (Crif), Francis Kalifat, appelé à reconnaître le caractère antisémite du meurtre de Sarah Halimi.
Cette ex-directrice de crèche divorcée, décrite comme «discrète, gentille, serviable», avait 65 ans et était mère de trois enfants. Elle vivait dans une HLM du quartier de Belleville depuis une trentaine d’années.
Dans la nuit du 4 avril dernier, son voisin, Kobili Traoré, 27 ans,a pénétré chez elle vers quatre heures du matin, l’a agressée et a commencé ses sévices. «Le rapport de police confirme que ma sœur a subi des actes de torture, il l’a massacrée. Les dégâts sont tels que ma décence ne me permet pas de vous donner des détails», expliquera William Attal, le frère de Sarah Halimi. Le supplice de sa sœur a duré une quarantaine de minutes. Dans l’enquête que la journaliste d’Actualité juive, Noémie Halioua, a consacré à cette affaire, le témoignage d’un voisin glace le sang.
«La première chose qui m’a réveillée, c’est des gémissements d’un être vivant en souffrance, rapporte-t-il, choqué par la bestialité de l’agression. Au début, je pense que c’est un animal ou un bébé. Mais après, en ouvrant le rideau et en ouvrant la fenêtre, je comprends que c’est une femme qui gémit sous les coups qu’elle reçoit. À chaque coup, j’entends un gémissement, elle n’a même plus de force pour pousser un cri.» Pourtant, Kobili Traoré cogne et cogne encore. Tellement fort que son poing droit en est tuméfié. Tandis qu’il s’acharne sur sa victime, l’assassin la qualifie de sheitan («démon» en arabe), déclame des sourates du Coran, et crie «Allah akbar» plus d’une dizaine de fois. En définitive, après l’avoir laissée K.O, Kobili Traoré traîne sa victime par les poignets et la jette par la fenêtre du troisième étage. Puis, parfaitement calme, il fait une prière. Sarah Halimi elle, gît, morte, dans la petite cour intérieure de l’immeuble.
La politique de l’autruche
À la brutalité inouïe de ce meurtre a d’abord répondu un silence médiatique et politique assourdissant. À l’époque des faits, seule la presse communautaire et les réseaux sociaux s’intéressent à ce qui est alors considéré comme un banal fait divers. Le Figaroest le premier quotidien national à sonner le tocsin à travers l’appel de 17 intellectuels, dont Alain Finkielkraut, Michel Onfray, Pascal Bruckner, Jacques Julliard, Élisabeth Badinter ou encore Paul Thibaud. «Tout laisse penser, dans ce crime, que le déni du réel a encore frappé, écrivent-ils. Nous demandons que toute la vérité soit établie sur le meurtre de Sarah Halimi. Que toute la vérité soit dite sur la profondeur des fractures françaises. Il faut que la politique de l’autruche cesse et que nos dirigeants prennent conscience de ce qui se passe dans le pays. Pour Sarah et sa famille, mais aussi pour la France.»
En évoquant solennellement la mort de Sarah Halimi, le président de la République a répondu à cet appel. À l’heure où le caractère antisémite du meurtre n’a toujours pas été retenu par la justice, le geste est fort. Emmanuel Macron arrache définitivement l’assassinat de Sarah Halimi de la rubrique «fait divers» et fait apparaître sa dimension politique. S’il faut saluer cette prise de position, on peut cependant regretter que le président de la République soit resté en quelque sorte au milieu du gué. Pourquoi avoir laissé au seul président du Crif le soin de dénoncer la réalité du «nouvel» antisémitisme? Pourquoi ne pas nommer le danger spécifique que représente l’islam radical?
Problématique également est le fait d’évoquer le cas de Sarah Halimi après un long développement sur l’antisémitisme de la France de la IIIe République et du régime de Vichy. Adepte de «la pensée complexe», Macron a sans doute voulu faire une analogie entre les années 1930 et les périls contemporains. Mais ce rapprochement entre deux moments historiques profondément différents n’alimente-t-il pas au contraire la confusion? L’analogie historique «prétend nous éclairer: elle nous aveugle, aime à répéter Alain Finkielkraut. Au lieu de lire le présent à la lumière du passé, elle en occulte la nouveauté inquiétante», écrivait en 2014 le philosophe dans Le Figaro. Les fantômes de la Seconde Guerre mondiale sont loin.
Pas plus que d’un «déséquilibré», Sarah Halimi n’a été victime du retour de «la bête immonde». Elle a été la proie d’un mal nouveau: l’antisémitisme arabo-musulman, exacerbé ces dernières années par la montée en puissance de l’islam radical dans certains quartiers. Dès 2002, l’historien Georges Bensoussan avait dénoncé cet antisémitisme dans son livre, Les Territoires perdus de la République , qui réunissait les témoignages de professeurs de banlieue. C’est cet antisémitisme qui, il y a tout juste dix ans, a tué Ilan Halimi, 23 ans, torturé puis laissé pour mort par Youssouf Fofana, le chef du gang des barbares ; mais aussi Jonathan Sandler et ses deux fils Aryeh et Gabriel, assassiné par Mohammed Merah en 2012, ainsi que les victimes de l’attentat de l’Hyper Cacher en janvier 2015 par Amedy Coulibaly.
Cet antisémitisme d’importation pousse sur le terreau d’un antijudaisme culturel (décrit crûment par l’écrivain Boualem Sansal) relayé par les antennes paraboliques et Internet. Il est également le fruit de la désintégration d’une partie de la jeunesse française issue de l’immigration. Celle-ci se cherche dans l’islam radical une identité de substitution et fait du «juif» ou du «Blanc», le bouc émissaire de tous ses maux. La justice n’a pas conclu mais Kobili Traoré, le meurtrier de Sarah Halimi, qui a fait plusieurs séjours en prison, notamment pour des affaires de drogue, a le profil type de cette jeunesse désintégrée. Tout montre que l’affaire Sarah Halimi n’est pas une résurgence du passé, mais une histoire très contemporaine: celle du malaise français. De ce malaise, il aurait dû être question durant la campagne présidentielle. À l’époque pourtant, médias et politiques, y compris Macron, ont passé sous silence le meurtre de Sarah Halimi.
Source :© Le Figaro Premium – «Sarah Halimi : une tragédie contemporaine»