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Le 4 avril, dans une HLM de Belleville, Sarah Halimi, une retraitée juive de 65 ans, a été torturée, puis défenestrée aux cris de « Allah akbar » par Kobili Traoré, son voisin de 27 ans. La barbarie du crime a été aggravée par des semaines de déni médiatique et politique, et par le refus d’évoquer l’hypothèse antisémite. Enquête.

Marche blanche en hommage à Sarah Halimi, en bas de son immeuble du XIe arrondissement de Paris, 9 avril 2017. Crédit photo : Plume Heters Tannenbaum / Hans Lucas

« Tuer un juif en France n’a-t-il aucune importance ? » Cette question hante William Attal depuis presque deux mois. Depuis cette nuit tragique où sa grande sœur a été assassinée à son domicile par Kobili Traoré, son voisin de 27 ans. Sarah Halimi, 65 ans, était mère de trois enfants. Cette ex-directrice de crèche divorcée, décrite comme « discrète, gentille, serviable », vivait depuis plus de trente ans dans une HLM parisienne, au cœur de Belleville. Le 4 avril, elle a été battue, torturée, puis défenestrée du troisième étage aux cris de « Allah akbar ». Dans la courette intérieure du 26 de la rue de Vaucouleurs où son corps a été découvert sans vie, son frère scrute les fenêtres. « Forcément, tous les voisins l’ont entendue hurler, il aurait fallu seulement quelques secondes pour la sauver ! » répète le petit bonhomme, la voix brisée. La pelouse arborée sépare d’à peine une dizaine de mètres deux immeubles lépreux qui se font face. Dans cette petite cité, toutes les familles se connaissent. Malgré le regard inquisiteur de la concierge, William Attal, kippa dissimulée sous sa casquette, sonne aux portes. Pour la plupart celles-ci restent closes. Les voisins qui acceptent de lui ouvrir hésitent à parler. Certains bafouillent des condoléances gênées, d’autres avouent à demi-mot avoir peur. Beaucoup prétendent qu’ils n’étaient pas là la nuit du meurtre. Personne « n’a rien vu ni entendu ».

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La loi du silence qui règne dans le quartier fait écho à l’indifférence médiatique et politique qui a longtemps entouré cet assassinat. Il aura fallu sept semaines, la colère de quelques juifs et une conférence de presse au cours de laquelle les avocats ont dénoncé « une chape de plomb », pour que les médias généralistes s’y intéressent. En pleine campagne présidentielle, ces derniers n’avaient d’yeux que pour la garde-robe de François Fillon quand ce n’était pas pour celle de Brigitte Macron. Au lendemain du crime, l’AFP, reprise par Le Parisien, évoquait « la chute » d’une femme juive, Claude Askolovitch parlait dans sa chronique de Slate, de « cette vieille dame assassinée qui panique la communauté juive ». Tandis que Marine Le Pen, seule politique à dénoncer ce crime, était encore donnée en tête au premier tour par les sondages, les représentants communautaires tentaient de minimiser l’affaire. Le Crif, qui s’est depuis porté partie civile, faisait alors la chasse aux fausses rumeurs. Il est vrai que le procureur de la République de Paris, François Molins, avait déclaré trois jours après le meurtre : « Rien ne permet de retenir le caractère antisémite et rien ne permet de l’exclure. » Il n’en reste pas moins que les faits, d’une violence inouïe, n’ont rien d’anecdotique. Loin d’être un crime ordinaire, le meurtre de Sarah Halimi, par son extrême barbarie, ses protagonistes et son contexte politique brûlant, est le symptôme d’une profonde crise de civilisation.

« Au début, je pense que c’est un animal ou un bébé… »

Il est environ 4 h 30 du matin lorsque Kobili Traoré pénètre dans le F4 de sa voisine, situé au troisième étage. « Un monstre est entré dans l’appartement de ma sœur au milieu de la nuit et s’en est suivi ce qu’aucun être humain ne peut supporter », explique William Attal, le cœur serré. Nul ne sait s’il a surpris sa victime dans son sommeil. Cependant, il est probable qu’en voyant le visage de Kobili Traoré, Sarah Halimi a immédiatement compris le sort qu’il lui réservait. Elle connaissait son agresseur. Elle avait d’ailleurs confié à son fils être sur ses gardes et ne « respirer » que lors des séjours en prison de ce dernier. Lorsqu’il ne zonait pas dans le quartier, Kobili Traoré dealait dans les cages d’escalier. « Elle ne lui aurait jamais ouvert », affirment ses proches. Mais son agresseur n’a pas emprunté l’ascenseur. Il est passé par l’appartement voisin du bâtiment d’à côté, celui des Diarra dont le balcon jouxte celui de Sarah Halimi. La famille malienne est originaire du même village que les parents de Kobili Traoré. Le père lui ouvre. Tout se passe alors très vite. Le jeune homme, pieds nus, agité et violent, s’empare de la clef et referme la porte à double tour derrière lui. Il refuse de partir. Affolés, les Diarra et leurs quatre enfants se barricadent dans une chambre et appellent la police. Seul dans le salon, Kobili Traoré récite des sourates du Coran en arabe : « Ça va être la mort », conclut-il son invocation. Quelques minutes plus tard, il est dans l’appartement 45 : le supplice de Sarah Halimi commence.

Il va durer environ 40 minutes. Le désordre et les traces de sang dans le salon révèlent un premier déchaînement de violence. La scène se poursuit sur le balcon. Selon l’enquête de police, plusieurs témoins assistent, tétanisés, au massacre. « La première chose qui m’a réveillé, c’est des gémissements d’un être vivant en souffrance. C’était de la torture. », rapporte l’un d’entre eux, choqué par la bestialité de l’agression. « Au début, je pense que c’est un animal ou un bébé. Mais après, en ouvrant le rideau et en ouvrant la fenêtre, je comprends que c’est une femme qui gémit sous les coups qu’elle reçoit. À chaque coup, j’entends un gémissement, elle n’a même plus de force pour pousser un cri. » Pourtant, Kobili cogne et cogne encore. Il frappe tellement fort que son poing droit en est tuméfié. Tandis qu’il s’acharne sur sa victime, il la qualifie de sheitan (« démon » en arabe). Il alterne les « Allah akbar » ou « que dieu me soit témoin » et les insultes : « Tu vas la fermer ta gueule », « grosse pute ». Puis, il y a le silence. Kobili Traoré regarde sa victime : « C’est bon, tu bouges plus ? » lui lance-t-il. Sarah Halimi est inerte, mais toujours vivante. Les lampes des policiers de la BAC éclairent la cour. Les forces de l’ordre sont déjà sur place depuis un certain temps. Elles se sont d’abord positionnées derrière la porte de la famille Diarra. Mais effrayées par les invocations en arabe et craignant un attentat terroriste, elles réclament le renfort BRI pour intervenir. L’assassin comprend que la police est là. « Il y a une femme qui va se suicider ! » crie-t-il comme pour se couvrir. Il prend sa victime par les poignets et la soulève avant de faire basculer son corps par-dessus le balcon. Un voisin enregistre la chute avec le dictaphone de son portable. Il est environ 5 h 10 du matin. Sarah Halimi git, morte, dans la cour. Sa chemise de nuit blanche à fleurs bleues et sa robe de chambre écrue ne sont plus que chiffons écarlates.

Ce crime raconte une histoire. Celle du déni des médias et des politiques. Des juifs qui font leurs valises. Des « petits Blancs » interdits de séjours dans certains quartiers.

Parfaitement calme, Kobili Traoré est retourné prier dans l’appartement de la famille Diarra. Quelques heures après son interpellation, qui se déroule sans heurt, il est interné d’office en psychiatrie sans avoir été entendu. Le 14 avril, le parquet de Paris ouvre une information judiciaire pour « homicide volontaire ». Le caractère antisémite n’a pas été retenu. Une décision qui a déclenché la colère de sa famille et de ses avocats pour qui cette circonstance aggravante ne fait aucun doute. Ni sa préméditation. Ils réclament aujourd’hui la requalification en assassinat et que soit reconnus la circonstance aggravante à caractère antisémite, ainsi que la séquestration, les actes de torture et de barbarie. Kobili Traoré ne pouvait ignorer la judéité de Sarah Halimi. La retraitée était une femme pieuse qui portait la perruque caractéristique des juives orthodoxes. Ses petits-fils venaient lui rendre visite coiffés d’une kippa. « Elle était connue comme la juive de l’immeuble », explique William Attal. Il y a cinq ans, une des deux filles de Sarah Halimi, Elisheva, avait été bousculée dans l’escalier par une des sœurs de l’agresseur qui lui avait lancé : « Sale juive ! » Le 9 avril, quelques jours après le décès de Sarah Halimi, une marche blanche a été organisée à Belleville à sa mémoire. Dans les cités voisines, les désormais traditionnels « Morts aux juifs ! » et « Nous, on a les kalash ! » ont fusé.

L’affaire Sarah Halimi n’est pas sans évoquer une autre affaire Halimi. C’était il y a dix ans. Ilan Halimi, 23 ans, était séquestré, torturé, laissé pour mort par Youssouf Fofana, le chef du gang des barbares, qui affirma lors de son procès : « Maintenant, chaque juif qui se balade en France se dit dans sa tête qu’il peut être enlevé à tout moment. » Ilan et Sarah n’ont aucun lien de parenté, mais sont tous deux enterrés au cimetière de Givat Shaul à Jérusalem. L’assassinat de Sarah Halimi rappelle également une autre affaire, plus méconnue, celle de Sébastien Selam. En 2003, ce DJ, âgé de 23 ans lui aussi, est égorgé puis défiguré à coups de couteau par son voisin de palier et ami d’enfance, Adel Amastaibou, qui déclare immédiatement après le meurtre : « J’ai tué un juif ! J’irai au paradis », avant d’insister devant les policiers : « C’est Allah qui le voulait. » Comme Kobili Traoré, il sera placé en psychiatrie. Pour ce meurtre, il n’a pas fait un seul jour de prison.

La dimension islamiste du meurtre de Sarah Halimi pose également question. L’assassin était-il « possédé », « marabouté », comme le prétend sa famille ? Ou était-il radicalisé comme le soupçonne l’avocat de la famille Halimi, Gilles-William Goldnadel ? Pour les médecins psychiatres qui l’ont examiné après son arrestation, Kobili Traoré souffrait de « troubles mentaux manifestes » incompatibles avec une garde à vue. Mais Goldnadel refuse de croire à la thèse de la crise de démence. Il est vrai que l’assassin n’a aucun antécédent psychiatrique. « Il a le profil de tous les islamistes radicaux violents : son casier judiciaire est long comme un jour sans pain, avec des condamnations multiples et variées dans des histoires de drogue et de délinquance », constate-t-il. La veille du meurtre, Kobili a passé sa journée à la mosquée d’Omar qu’il fréquente de manière sporadique. La salle de prière de la rue Jean-Pierre-Timbaud, à quelques pas de la rue de Vaucouleurs, a la réputation d’être un temple de l’islam radical. Dès 2014, elle a nourri une filière de djihadistes en Afghanistan. « C’est une fabrique de tueurs », témoigne une voisine et amie de Sarah Halimi qui tient à rester anonyme. Cette femme d’origine kabyle n’était pas chez elle la nuit du meurtre. Pour elle, il n’y a aucun doute possible : cet assassinat est lié à la « terreur » qui règne dans le quartier. Une terreur qui lui rappelle « la décennie noire algérienne ». « Belleville a commencé à se transformer il y a une quinzaine d’années », explique-t-elle. Les délinquants et les barbus se sont alliés pour imposer leurs lois. « Ma fille s’est fait traiter de pute parce qu’elle venait à la maison avec son petit ami, mon fils a été agressé car il a la peau claire et les yeux bleus, s’étrangle-t-elle. Quand on n’est pas comme eux, on n’est rien ! » Depuis cinq ans, elle a entamé des démarches pour changer de logement, en vain. De même, la journaliste Géraldine Smith pensait aller au bout de son rêve de mixité social en s’installant à Belleville il y a vingt ans. Mais l’utopie diversitaire s’est transformée en cauchemar communautaire. Dans son livre, Rue Jean-Pierre Timbaud, une vie de famille entre barbus et bobos, elle décrit le quartier comme une enclave salafiste au cœur du Paris des bourgeois bohème. L’atmosphère est devenue pesante pour les musulmans eux-mêmes.

« Qu’est-ce que tu fais encore là-bas ? »

Les Kadda sont les voisins de palier de Sarah Halimi. Ils étaient au Maroc lorsqu’elle a été assassinée. Ils confient avoir beaucoup pleuré lorsqu’ils ont appris la nouvelle. « Si j’avais été là, je serais intervenu avec l’un de mes fils », jure le père Kadda encore bouleversé. C’était une femme qui ne faisait pas de mal à une mouche. On l’aimait beaucoup. Pour nous, c’était quelqu’un de la famille. Le samedi, jour du shabbat, il m’arrivait d’aller allumer le gaz chez elle. » Comme Sarah Halimi, la famille Kadda s’est installée à Belleville dans les années 1980 et a vu le quartier changer. « Autrefois, il y avait une vraie convivialité, explique le père Kadda qui nous reçoit dans son salon marocain. Aujourd’hui, les jeunes fument la chicha sur le trottoir, il y a des dealers à chaque coin de rue. Le pire, c’est la passivité des habitants. Hier, j’ai vu un jeune arracher le sac d’une femme asiatique, il l’a bousculée et fait tomber, mais personne n’a bougé. » Les Kadda ont élevé leurs huit enfants à Belleville, tous bac + 5. Désormais, ce ne serait plus possible. À la retraite, ils pensent quitter ce quartier qu’ils ne reconnaissent plus, cette France qui n’est plus la France. Partir, c’était également le souhait de Sarah Halimi, lassée de vivre dans la peur. Elle en discutait régulièrement avec son fils Jonathan qui habite en Israël. Quelques heures avant la nuit fatidique, elle en parlait à sa sœur Béatrice, qui a fait son alyah, elle aussi. « Qu’est-ce que tu fais encore là-bas ? » lui avait lâché cette dernière, prophétique.

Antisémite ou pas, prémédité ou pas, l’assassinat de Sarah Halimi raconte une histoire française. Celle d’une décomposition. Du silence coupable des médias et des politiques. Des juifs qui font leurs valises. Des « petits blancs » interdits de séjours dans certains quartiers. Des pauvres de toutes les origines pris en otage du communautarisme et de l’islamisme, abandonnés à eux-mêmes par un État aveugle et impuissant. Pour Georges Bensoussan, ce crime rassemble tous les ingrédients du malaise français. « L’affaire Sarah Halimi n’est pas seulement une énième illustration de l’antisémitisme “nouveau” (nouveau, vraiment ? depuis près de vingt ans…), plus encore est-elle emblématique du musèlement de l’opinion par une oligarchie intellectuelle, médiatique et financière qui est en réalité minoritaire dans le pays, explique l’auteur des Territoires perdus de la République et d’Une France soumiseCet abandon des juifs paraît emblématique d’un abandon plus large des classes populaires et des classes moyennes par des milieux dirigeants qui semblent avoir délaissé les concepts de nation et de peuple. » Le frère de Sarah Halimi, dont le père a servi dans l’armée française, quittera le pays « quand tout cela sera fini ». William Attal dit la même chose avec d’autres mots. « La France était un pays magnifique, mais ce qui s’est produit à Belleville, c’est ce qui va se passer dans la France entière. »

Source :© Sarah Halimi: une histoire française | Causeur

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