ENQUÊTE – Anciens journalistes, le maire de Béziers et la députée de l’Hérault forment un couple politique inédit à la répartition des rôles bien établie : à lui la provocation, à elle la discrétion. Pour un objectif : le rassemblement des droites.
C’est le couple que les bobos parisiens adorent détester. Evoquer le nom de Robert et Emmanuelle Ménard devant eux provoque une réaction de rejet immédiate quand ce n’est pas de l’effroi! Ils ne les connaissent évidemment pas, n’ont fait que lire ce que la presse de gauche a pu écrire sur eux et se désintéressent totalement de savoir ce qu’en pensent les Biterrois. Pour eux, le couple Ménard représente surtout ce qu’il y a de pire en politique!
Ça tombe bien, Robert et Emmanuelle Ménard n’ont que faire des bobos parisiens. Leur préoccupation principale, ce sont leurs électeurs de Béziers pour lui, de sa circonscription de l’Hérault pour elle. «Le nouveau monde, c’est nous, assure le maire. Emmanuel Macron, ce n’est pas la nouveauté, c’est le dernier habit du vieux système.» Fidèle à sa marque de fabrique, Robert Ménard, 65 ans, n’hésite pas à en rajouter dans la provocation. En face de lui, son épouse est plus réservée. Mais pas moins décidée. Beaucoup pensent qu’elle l’influence, le guide dans ses choix, qu’elle est à l’origine de son évolution et de son engagement politique. Il faut dire qu’il est passé du trotskisme à la droite extrême! «Je lui dois plus qu’elle ne me doit, reconnaît l’ancien patron de Reporters sans frontières (RSF). Elle a une rare intelligence des gens et des situations.» Emmanuelle Ménard proteste pour la forme – «arrête, ce n’est pas vrai» – et lui retourne le compliment: «Je ne serais pas là aujourd’hui sans Robert. Quand on s’est rencontrés, j’ai tout de suite vu trois qualités que j’ai appréciées chez lui: son courage, son intelligence, sa générosité.»
Aucun ne semble dominer l’autre, ils sont tous les deux à égalité et s’aident mutuellement. Avant d’envoyer un message sur son compte Twitter, Emmanuelle le montre à Robert pour avoir son avis. Quand il a une idée pour son journal municipal, Robert en parle d’abord à Emmanuelle, ancienne journaliste comme lui, pour savoir si elle approuve. Elle l’accompagne dans ses déplacements comme le 30 juin, quand il inaugure la place Jean-Jaurès qui donne sur les allées Paul-Riquet et qui a été entièrement rénovée. Il l’aide quand elle coince dans la rédaction de ses amendements.
«Ils sont aux antipodes de Royal-Hollande»
«C’est un couple fusionnel, confirme Guillaume Bernard, maître de conférences à l’Institut catholique de Vendée, qui les connaît depuis longtemps sans être toutefois un familier. Ils sont sur la même longueur d’onde. On est aux antipodes d’un couple comme Ségolène Royal et François Hollande.» Ils ne sont pas en concurrence pour savoir lequel des deux va réussir la meilleure carrière. Robert et Emmanuelle Ménard «sont dans une démarche commune avec une répartition des rôles». La provocation pour lui, la discrétion pour elle. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’agit pas. A l’Assemblée nationale, la députée a su trouver ses marques. Et forcer le respect de ses adversaires. «Elle est très présente, elle bosse, constate le Biterrois de naissance et député de La France insoumise Alexis Corbière. C’est une adversaire de choix car elle est aux antipodes de nous.» Mais c’est à droite qu’elle a su marquer des points. Dans l’Hémicycle, elle est assise à côté des élus Les Républicains. Elle essaye d’être un élément de convergence. Les contacts se nouent. Tant et si bien qu’en juin dernier, alors qu’elle est à Béziers, c’est un député LR qui la prévient par SMS des ennuis de la majorité LREM sur la révision constitutionnelle!

«Elle pourrait très bien être chez nous», a avoué un jour un député LR à un Biterrois installé à Paris. C’est mal connaître les Ménard. Ils ne veulent pas être encartés dans un parti, participer à des jeux d’appareil. Pour eux, les partis appartiennent à l’histoire ancienne. Ils jugent vaines les tentatives des uns et des autres à faire bouger les lignes sans quitter le confort des partis politiques installés. C’est la raison pour laquelle ils ont répondu favorablement à l’invitation de Guillaume Bernard à Angers en avril dernier. Ils étaient hésitants. Echaudé par l’échec du Rendez-vous de Béziers qu’il avait lancé en mai 2016 avec des personnalités de droite et d’extrême droite pour tenter de peser avant la présidentielle, Robert Ménard demande à Guillaume Bernard: «Ça en vaut vraiment la peine?» L’auteur de La guerre à droite aura bien lieu. Le mouvement dextrogyre (Editions Desclée de Brouwer) arrive à le convaincre qu’entre la présidentielle de 2017 et les européennes de 2019, les deux ans sans élections sont propices à la démarche. Le couple accepte de venir et Robert Ménard, homme de communication avant tout, propose, pour marquer le coup et encourager d’autres personnalités de droite à les rejoindre, de lancer à l’issue de leur rencontre, l’appel d’Angers.
«C’est un mensonge éhonté de dire qu’il y a un mur entre Laurent Wauquiez et Marine Le Pen. Mais ce n’est pas demain la veille qu’ils se retrouveront autour de la table, constate Robert Ménard, sans s’embarrasser des divergences sur les sujets économiques. Alors on leur met une baïonnette dans les reins et on passe par la base.» Au fond, les Ménard ont fait le même constat qu’Emmanuel Macron sur l’obsolescence des partis politiques. Ils veulent, comme lui, renverser la table et dépasser les clivages en repartant du terrain. Avec leurs amis de l’appel d’Angers, ils misent sur les élections municipales de 2020 pour démontrer que, localement, les lignes peuvent bouger et préfigurer la recomposition à droite.
«Il peut être élu sans le RN, mais il ne peut pas être élu contre le RN»
Robert Ménard a déjà annoncé qu’il ne demandera plus le soutien du Rassemblement national (RN) pour les municipales de 2020 à Béziers. A moins de deux ans de l’échéance, il se sent assez fort pour se passer des partis politiques. Marine Le Pen, furieuse qu’il passe son temps à la critiquer, laissera-t-elle faire? «Il peut être élu sans le RN, mais il ne peut pas être élu contre le RN», prévient un cadre du mouvement, qui doute cependant de la capacité actuelle de son parti à constituer une liste contre le maire sortant. «Ménard a une forte emprise électorale sur la ville», constate un opposant de gauche.
Localement, malgré les provocations, l’image des Ménard n’a rien à voir avec celle véhiculée à Paris. A tel point qu’Emmanuelle Ménard avoue se sentir bien quand elle arrive à Béziers: «Ici, les gens nous soutiennent.» Il faut dire qu’ils ont pu voir la ville changer concrètement. Comme le raconte un habitant: «Avant, je ne laissais pas ma fille sortir le soir, à cause des risques d’agression. Depuis le changement à la tête de la police municipale, on a vu l’amélioration.»«Il a mis le paquet sur le centre-ville, la vitrine de Béziers, remarque Alexis Corbière. Mais il n’a réglé aucun des problèmes.» Le député de La France insoumise pointe bien sûr la fin des subventions à certaines associations, les problèmes liés au chômage dans la ville et, surtout, les provocations du maire. Une spécialité de Robert Ménard! Sa marque de fabrique. Qu’il n’a pas l’intention d’abandonner. Tout d’abord parce que ça fait de la publicité à sa ville. «Béziers existe aujourd’hui grâce à mes provocations. Vous connaissez la blague? Un étranger demande où est Montpellier. On lui répond: “A côté de Béziers.”» Mais aussi parce qu’il est persuadé d’avoir raison sur le fond.
«Il y a des jours où on est découragés»
Emmanuelle Ménard n’a jamais voulu aller sur ce registre. Ce n’est pas son style. Elle préfère avancer sur ses dossiers, aller voir les entreprises de sa circonscription, discuter avec elles et plaider leur cause dans les ministères. Opposante déterminée au gouvernement, elle s’est toujours refusée à faire de l’opposition systématique. Même si la majorité, au lieu de voter certains de ses amendements, préfère les reprendre à son compte pour les adopter!
Robert et Emmanuelle Ménard savent qu’isolés ils auront du mal à mener à bien leurs projets. D’autant qu’ils sont persuadés que leurs idées sont majoritaires dans le pays. Cependant, ils ne sont pas prêts à tout. En tout cas pas à abandonner leur liberté de parole et de pensée. Et tant pis si le prix est élevé. «C’est cher payé, reconnaissent-ils en chœur. Il y a des jours où on est découragés. Heureusement qu’on est tous les deux.»
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Source :© Robert et Emmanuelle Ménard, le couple qui dérange