La verve doucereuse du «président philosophe» n’enthousiasme ni Ivan Rioufol, ni Harold Bernat, imperméables aux sirènes des temps nouveaux.
«Personnage de roman», «président philosophe», «homme providentiel», «nouveau Louis-Philippe»: les essais se succèdent pour tenter de saisir l’événement inouï et inattendu qui s’est produit en mai dernier. Parmi ce flot de publications, deux livres se distinguent par leur virulence à l’égard du nouveau président de la République.
Le premier, Macron. La grande mascarade (L’Artilleur), regroupe les chroniques d’une plume que les lecteurs du Figaro connaissent bien: celle d’Ivan Rioufol, qui n’hésite pas chaque semaine à porter un regard mordant et acéré sur l’actualité, sans se soucier des injonctions au politiquement correct. Dans ce bloc-notes allant de janvier 2016 à octobre 2017, le chroniqueur affranchi évoque des sujets aussi variés que la polémique Black M, Nuit debout, l’insécurité culturelle, l’élection de Trump, l’affaire François Fillon, le réveil catholique, ou encore les attentats islamistes. Et analyse le phénomène Macron sans concession.
Rioufol n’est pas de ceux qui se sont laissés endormir par les discours doucereux du président jupitérien. On ne l’aura pas! Il le confesse: «Je ne suis pas macronien. Je me sens pleinement solidaire des ploucs et des boulets, c’est-à-dire de ceux qui ne sont rien.» Les noms d’oiseaux fusent: «Bonaparte à la jactance humanitaire», et les comparaisons se succèdent: «Barack Obama blanc, Justin Trudeau intellectuel». Ce qu’il reproche le plus à Emmanuel Macron? D’être un gestionnaire hors-sol déconnecté des aspirations sourdes du pays tiraillé par la question de l’identité. Il fustige «l’univers comptable, aseptisé et sans affect du macronisme» et prophétise l’échec d’un président trop pusillanime pour les urgences du temps. «L’échec du quinquennat est inscrit, et la raison en est simple: l’idée neuve, qui reste à défendre, est dans la consolidation du pays millénaire, et non dans la poursuite de sa dilution liquide.»
Tous complices
Comme lui, Harold Bernat, auteur du Néant et le Politique (L’Echappée), reste sidéré par l’événement qui marque, selon lui, non pas la réconciliation des contraires, mais une rupture radicale et inédite. Pour ce jeune agrégé de philosophie, l’avènement de Macron acterait tout simplement la fin du politique. Citant Max Weber qui définissait l’essence du politique comme le polythéisme des valeurs et la guerre des dieux, soit une arène où s’affrontent des visions du monde antagonistes, il fait d’Emmanuel Macron celui qui nie la possibilité même du clivage. Remplaçant l’«agon» par une «bouillie idéologique syncrétique et managériale», il agit en «fossoyeur de la conscience historique» en ne proposant rien d’autre que l’adaptation au monde tel qu’il est.
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S’il cite volontiers des auteurs anticapitalistes (Debord, Castoriadis, Baudrillard ou Clouscard), la critique de Bernat est plus fine que la vulgaire dénonciation du «président des riches»: «La question de savoir si cette idiotie généralisée qui transforme les meetings politiques en speed datings collectifs sert les intérêts du CAC 40 est secondaire.» Pour lui, l’avachissement du politique n’est pas un complot des puissants, mais une convergence de démissions dont nous sommes tous complices.
Contre «l’affadissement du langage et des affects»
Rioufol et Bernat ne sont pas du même bord, mais ils ont au moins un point commun: ils revendiquent leur appartenance au monde ancien. Le premier assume d’être le défenseur inlassable de la France millénaire piétinée par le bougisme, le second a la nostalgie des vieux clivages, qui avaient tout de même l’avantage de présenter des points d’achoppement où pouvait s’accrocher la pensée critique. «Si le mot système, en grec composition, est devenu un repoussoir, c’est justement que la recherche d’un ordre est étrangère aux nouvelles formes d’hégémonie», écrit-il.
Contre «l’affadissement du langage et des affects» suscité par la vulgate macronienne, nos deux «résistants» veulent le retour d’une politique clivante, qui assume la dimension tragique de l’existence.
On peut reprocher à ces deux sceptiques les excès d’une verve pamphlétaire comme de n’avoir pas su voir ce qu’il reste de tradition dans le macronisme, et notamment l’attachement à une verticalité du pouvoir visible depuis sa prise de fonction. Attachés aux mâts de misaine de l’ancien monde, celui où les mots «révolution» et «France» avaient un sens, nos deux Ulysse restent sourds aux sirènes des temps nouveaux. Ils veulent opposer la rudesse des vérités radicales à l’illusion d’un monde réconcilié.
Macron. La grande mascarade. Bloc-notes 2016/2017, d’Ivan Rioufol, L’Artilleur, 550 p., 22 €.
Le Néant et le Politique. Critique de l’avènement Macron, d’Harold Bernat, L’Echappée, 160 p., 12 €.
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Source:© Rioufol et Bernat, les macronosceptiques