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« Comme toute institution à la légitimité fragile, le Sénat ne s’intéresse qu’à lui : combien de sénateurs, pour combien de temps » (Le président du Sénat, Gérard Lacher, quitte l’Elysée le 30 mars après une réunion avec le président de la République). LUDOVIC MARIN / AFP

Le juriste Thomas Clay écrit dans une tribune au « Monde » que la réforme des institutions représente une avancée démocratique. Le Sénat ne doit pas contraindre le gouvernement à en passer par la voie référendaire, au risque de surenchère démagogique.

Tribune. La réforme des institutions qui se profile offre une avancée démocratique incontestable. Elle correspond à ce que la plupart des partis éclairés appellent de leurs vœux depuis longtemps. Il serait dès lors incompréhensible que pour des raisons contingentes ils ne l’approuvent pas. Cela achèverait même de décrédibiliser ceux qui se livreraient à des calculs politiques qui ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Si la position des Républicains (LR) semble irrécupérable tant ce parti dérive désormais vers les extrêmes, la position du Parti socialiste (PS) n’est pas plus rassurante. Pour le dire sans détour, le PS se déshonorerait en ne votant pas cette réforme qui correspond à ce qu’il a toujours défendu. Il est pourtant déjà tombé dans ce travers il y a dix ans lorsqu’il s’est opposé à la précédente révision constitutionnelle. La reproduction d’une telle posture constituerait une faute politique indélébile. Le PS ne doit pas se tromper de combat et doit prendre garde à la « mélenchonisation » des esprits.

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Les conditions de la conquête du pouvoir par Emmanuel Macron ont percuté de plein fouet l’habitus de la Ve République. La nouvelle pratique des institutions, avec la régénération du personnel politique, aussi bien ministériel que parlementaire, la réussite de quelques ministres issus de la société civile, à l’éducation nationale ou à la justice par exemple, ou l’absence de couacs depuis près d’un an, a achevé de montrer qu’il était possible de faire autrement.

Mais il faut maintenant aller plus loin et marquer ces avancées dans le marbre constitutionnel, quitte à surmonter les obstacles des gardiens du statu quo qui tentent d’enrayer le processus de modernisation. A l’évolution proposée, ils préfèrent le maintien bien compris de leurs avantages aussi illégitimes que surannés.

Trois axes de réforme

De ce que l’on sait de la future réforme, trois axes se dégagent : d’abord, la modernisation du Parlement, avec l’amélioration du processus législatif, l’introduction d’une dose de proportionnelle, la réduction du nombre de parlementaires et la fin du cumul éternel de mandats ; ensuite, la réforme de la justice avec le renforcement du Conseil supérieur de la magistrature et de l’indépendance du parquet, la disparition de la Cour de justice de la République (CJR) et la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel ; enfin quelques mesures inclassables comme l’insertion de la lutte contre le réchauffement climatique dans le domaine de la loi, la diminution de moitié du nombre des membres du Conseil économique social et environnemental (CESE), qui gagnerait sans doute à être entièrement supprimé, ou la mention du mot « Corse », gadget dont on aurait pu se passer.

Mais le reste, comment être contre ? Le volet justice du projet fait l’objet d’un consensus, puisqu’il a été alternativement proposé par la droite et par la gauche et déjà voté en termes identiques par les deux chambres en 2016. Il suffit de reprendre le texte. S’y opposer aujourd’hui pour les partis des anciennes majorités serait simplement extravagant.

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Le volet parlementaire recueille en réalité le même consensus : tout le monde sait que la France n’a pas besoin d’autant de parlementaires, non par principe mais parce qu’ils sont trop nombreux pour être efficaces, sinon même utiles. Neuf cent vingt-cinq parlementaires pour un pays comme le nôtre, c’est trop. Calculer le nombre de parlementaires par rapport au nombre de citoyens « représentés » est spécieux précisément parce que les parlementaires ne représentent pas leurs électeurs, mais la nation.

Un pays comme l’Inde, décrite comme la plus grande démocratie du monde, compte sept cent quatre-vingt-dix parlementaires pour 1 milliard d’habitants. Il y a cent sénateurs aux Etats-Unis. En faut-il vraiment trois fois plus en France, même si les prérogatives diffèrent ? Il ne s’agit nullement d’affaiblir le Parlement, mais au contraire de le renforcer. Ce n’est pas tant le nombre qui compte que le pouvoir de chacun. Il faut comprendre que, dès lors que c’est à moyens constants et même accrus, moins il y a de parlementaires, plus chacun a de pouvoirs. Avec quatre cents députés et deux cents sénateurs, on serait au bon étiage. Surtout si certains députés étaient élus à la proportionnelle pour mieux représenter la diversité des opinions.

Thierry Mandon déjà en 2016

Moins nombreux et plus légitimes, les parlementaires pourraient mieux contrôler l’exécutif et améliorer la fabrique de la loi, gravement déficiente aujourd’hui. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la modification du droit d’amendement : les amendements noient aujourd’hui le débat sous leur nombre plutôt que de l’élever par leur qualité. Dix-huit mois en moyenne pour adopter une loi, quelle perte de temps !

C’est tout le processus législatif qui doit être revu, avec de meilleures études d’impact, une navette unique entre les deux chambres, la limitation du droit d’amendement, une clause de revoyure, etc. Thierry Mandon avait remis à François Hollande en septembre 2016 un rapport qui préconisait tout cela. Il doit encore garnir les étagères de l’Elysée. Il suffirait de s’en saisir.

Quant à la limitation du cumul des mandats dans le temps, qui concernerait aussi les exécutifs locaux, il faut avoir une certaine suffisance pour prétendre qu’après quinze ou dix-huit années à occuper une même fonction, par nature pourtant temporaire, on est éternellement irremplaçable.

Tout cela rend injustifiable la position du Sénat, à moins que ce ne soit celle de son seul président, lui-même concerné par cette limitation à trois mandats. Le bras de fer personnel qu’il engage au sujet de cette réforme relève de l’imposture. C’est une forme d’extrême corporatisme.

Caricature de lui-même

Comme toute institution à la légitimité fragile, le Sénat ne s’intéresse qu’à lui : combien de sénateurs, pour combien de temps. Il doit se garder de verser dans la caricature de lui-même. La Constitution n’a pas pour objet de protéger les carrières et les prébendes mais d’organiser la démocratie — dont les parlementaires ne sont que l’un des rouages. Ils ne sont pas là pour eux, mais pour les autres.

Certes, la réforme pourrait aller plus loin. Ainsi devrait-elle en profiter pour revoir la composition du Conseil constitutionnel, qui n’est plus conforme à ses attributions élargies, pour repenser l’immunité pénale du président de la République, laquelle ne se justifie que pour ce qu’il accomplit dans le cadre de ses fonctions et non pendant qu’il est en fonction, pour élever la justice au rang de « pouvoir » dans la Constitution pour qu’elle ne soit plus réduite au simple statut d’« autorité », qualificatif inutilement dépréciatif, et bien d’autres choses.

Si, pour la seule préservation de ses intérêts bien compris, le Sénat contraint le gouvernement à en passer par la voie référendaire au risque de surenchère démagogique, il achèvera de se décrédibiliser. Mieux, en cas de victoire au référendum, il aura en outre confirmé son inaptitude à représenter autre chose que lui-même.

Il est aujourd’hui à la croisée des chemins : attention à ce que le référendum qu’il voudrait transformer en « pour ou contre Macron » ne mute pas en référendum en « pour ou contre le Sénat », car, là, on connaît déjà la réponse. La Constitution, c’est notre maison commune. On ne joue pas avec. Sinon elle risque de s’effondrer et on sait comment cela finit.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/04/03/reforme-des-institutions-il-faut-surmonter-les-obstacles-des-gardiens-du-statu-quo-qui-tentent-d-enrayer-le-processus-de-modernisation_5280107_3232.html#0SifT2dkss2W3CLv.99

Source:©  Réforme des institutions : il faut « surmonter les obstacles des gardiens du statu quo qui tentent d’enrayer le processus de modernisation »

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