Skip to content Skip to sidebar Skip to footer

INTERVIEW – Pour l’essayiste, Emmanuel Macron sera «le dernier président de la Ve République». Face à lui, il appelle à un sursaut de la gauche.

Raphaël Glucksmann a lancé son mouvement politique, Place publique, en novembre.

LE FIGARO.- Le rassemblement de la gauche auquel vous travaillez à travers votre nouveau mouvement semble ardu. Y croyez-vous encore?

Raphaël GLUCKSMANN. – Il y a un sentiment de vertige face à la difficulté de la tâche. Mais l’attente est immense. Et c’est justement parce qu’il y a une situation de blocage et que toutes les structures existantes ont échoué, qu’il faut des acteurs nouveaux. Pour relancer la gauche, il faut repartir par les idées. Or, ça ne peut pas se faire à travers les épiceries électorales actuelles où les gens ne se parlent plus, où les haines sont immenses. Il nous semble inévitable de le faire depuis une structure nouvelle. Elle n’entend pas être une chapelle de plus mais le lieu de recomposition idéologique de la gauche française.

Vouloir réunir une gauche fragmentée, ce n’est pas nouveau. Qu’est-ce qui vous permet de croire que vous êtes le personnage idoine pour y parvenir?

Quasiment aucun des membres fondateurs de Place publique n’a appartenu aux mouvements et partis existants et nous avons voté pour des candidats différents aux dernières présidentielles. Ce qui nous permet aujourd’hui de créer un lieu «à côté» où discuter. La faiblesse actuelle de la gauche est une opportunité pour enfin rénover le fond de notre pensée et voir s’il y a un projet commun qui peut se dessiner. Pour nous, il est évident que cela se fera sous l’égide d’une pensée écologiste. C’est l’horizon tragique qui nous permettra de nous accorder et de refonder la légitimité du politique.

« Des pans entiers de la population ont été laissés dans une sorte de zone grise où ils n’avaient ni voix au chapitre ni présence de l’État autrement que par la forme de taxes »Raphaël Glucksmann

Vous visez l’échéance européenne pour accomplir ce rassemblement. C’est audacieux quand on sait que le référendum de 2005 a profondément fractionné la gauche…

Oui ces divisions sont encore vivaces. Mais je me souviens aussi de 2009, quand Europe Écologie-Les Verts avait présenté une liste ouverte qui rassemblait le héros de la gauche du «oui», Daniel Cohn-Bendit, et le héros de la gauche du «non», José Bové. Dix ans plus tard, il faut que les deux pensées se rencontrent de nouveau et produisent un projet européen. L’écologie peut permettre ces retrouvailles.

De quelle manière pouvez-vous y parvenir?

Prenons par exemple la question du calcul des déficits selon le traité de Maastricht, et les fameux 3 % à ne pas dépasser. Nous proposons l’exception écologique, c’est-à-dire de sortir du calcul les dépenses liées à la transformation écologique. Pour y parvenir, nous n’avons pas besoin d’un nouveau traité européen qui exige l’unanimité, mais simplement d’une majorité qualifiée. Ceux qui étaient pour un respect absolu des critères de Maastricht évoluent. Ça suppose que ceux qui sont pour une sortie inconditionnelle des traités évoluent aussi. Voilà un point de rencontre réaliste qui évite le «tout ou rien» qui mène l’Europe dans le mur.

La gauche n’a pas une lecture commune de la crise des «gilets jaunes». Que retenez-vous de cette séquence?

C’est une colère sociale absolument légitime face à une injustice et un abandon qui ne datent pas de l’élection d’Emmanuel Macron, bien que ses premières mesures ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Cette crise, c’est la conséquence de l’abandon de notre espace national par la politique. Et de la désintégration de notre République. Des pans entiers de la population ont été laissés dans une sorte de zone grise où ils n’avaient ni voix au chapitre ni présence de l’État autrement que par la forme de taxes. À nous de proposer un projet qui répond aux causes de cette crise. Mais j’ai trouvé limite et ridicule la course à la récupération d’un mouvement qui se voulait apolitique.

« La gauche a renoncé à la politique. Or ce sont justement les catégories populaires qui sont le plus en attente d’une puissance publique forte.»Raphaël Glucksmann

Cette crise n’est-elle pas la nouvelle illustration d’un rendez-vous manqué entre une certaine gauche et les catégories populaires?

Il est vrai qu’en abandonnant tout projet de transformation sociale et en devenant simplement le camp des libertés individuelles et des droits des individus, une fracture s’est installée avec les catégories populaires. La gauche a renoncé à la politique. Or ce sont justement les catégories populaires qui sont le plus en attente d’une puissance publique forte. De fait, la social-démocratie a offert les classes populaires à ceux qui incarnent une forme de réveil politique: le salvinisme, le lepénisme ou le trumpisme.

Vous appelez donc la gauche à ne plus faire des questions de société une priorité?

J’ai toujours été et je resterai toujours un ardent défenseur du mariage pour tous. Il ne faut pas opposer le social et le sociétal, mais on ne peut pas limiter l’horizon politique d’un pays républicain comme la France à la question des droits individuels. Il y a un déficit, à gauche, d’horizon collectif. C’est un immense paradoxe: ce qui a présidé à l’existence de la gauche c’était l’idée que le collectif primait sur l’individuel et qu’on devait définir et suivre un horizon commun. Il faut prendre cette question au sérieux. Ce ne sont pas quelques tweets énervés stigmatisant la xénophobie de Salvini ou le maquillage orange de Trump qui vont bloquer leur ascension.

« Nous lançons aujourd’hui un appel à la responsabilité et au sacrifice des meubles alors que la gauche française s’est muée en une rue d’antiquaires »Raphaël Glucksmann

Quel enseignement faites-vous de la crise des «gilets jaunes»?

C’est le grand retour de la question sociale et politique. La crise sociale s’est vite doublée d’une crise de régime. Emmanuel Macron a poussé au maximum les logiques de la Ve République. Un parti qui a fait 25 % des voix au premier tour de la présidentielle peut ensuite contrôler 80 % de l’Assemblée nationale et 100 % des pouvoirs. Mais ce qui ne peut plus s’exprimer dans les institutions s’exprime donc dans la rue. Je pense qu’il sera le dernier président de la Ve République. Je n’ai jamais crié «Macron démission» car je respecte le calendrier des institutions mais le macronisme est mort. Il voulait être Bonaparte, on va se retrouver avec Chirac. Emmanuel Macron est maintenant contraint d’acheter habilement la paix sociale jusqu’à la fin de son quinquennat plutôt que de prendre le risque de nouvelles explosions.

Face à cette faiblesse du pouvoir, vous appelez la gauche à la responsabilité?

Un texte de Romain Gary me suit depuis mon adolescence, dans lequel il demande pourquoi les élites françaises n’ont pas massivement suivi le général de Gaulle à Londres. C’est simplement qu’elles aimaient trop leurs meubles…! Parfois le meuble devient tellement important qu’on en est conduit à l’inaction et à la passivité quand la situation historique exige que l’on sorte de sa zone de confort. Nous lançons aujourd’hui un appel à la responsabilité et au sacrifice des meubles alors que la gauche française s’est muée en une rue d’antiquaires. Sinon elle se trouvera comme Félicité, dans un cœur simple de Flaubert, en adoration devant un perroquet empaillé sans se rendre compte qu’il est rongé par les vers et qu’il pourrit sur pieds.


«Place publique» peine à rassembler la gauche

Lancé il y a six semaines, le mouvement Place publique animé par l’essayiste Raphaël Glucksmann, l’économiste Thomas Porcher et l’écologiste Claire Nouvian entend être un carrefour de la gauche pour repenser son idéologie. Il revendique 20 000 inscrits, 50 groupes locaux et une centaine d’élus locaux affiliés. «Notre idée, c’est de créer un mouvement de fond et de masse», assure Raphaël Glucksmann. Mais pas question pour autant d’amplifier l’éparpillement de la gauche. Place publique plaide pour un large rassemblement à l’occasion des élections européennes.

«S’ils veulent sauver Emmanuel Macron, qu’ils le sauvent ! Et ensuite il y aura Marine Le Pen»Raphaël Glucksmann.

Pour l’instant, la proposition peine à trouver preneur. Le 20 décembre dernier, Place publique a invité les partis de la gauche proeuropéenne et écologiste à la Maison de l’Europe, à Paris, pour tenter de faire avancer les discussions. Mais, à l’exception du Parti socialiste qui était représenté par son premier secrétaire – Olivier Faure -, les autres mouvements n’ont pas dépêché sur place de tête d’affiche.

Le soutien d’Olivier Faure

La France insoumise et Europe Écologie-Les Verts ont même séché le rendez-vous. «La seule certitude d’échouer c’est si tout le monde y va séparé. S’ils veulent sauver Emmanuel Macron, qu’ils le sauvent! Et ensuite il y aura Marine Le Pen», avait réagi Raphaël Glucksmann.

Si Olivier Faure appuie l’idée d’une candidature commune aux européennes, les autres partis ne veulent pas être la planche de salut d’un PS à la peine. Yannick Jadot, le chef de file d’Europe Écologie-Les Verts, est crédité d’au moins 8 % dans les sondages. De fait, il préfère envisager une candidature en solo. De la même manière, le Parti communiste – qui a choisi Ian Brossat comme tête de liste – compte sur cette échéance pour retrouver de la visibilité après avoir longtemps été l’allié invisible de Jean-Luc Mélenchon.

Benoît Hamon, à la tête du mouvement Génération.s, ne veut plus entendre parler d’alliance avec le PS. Quant à La France insoumise, son leader Jean-Luc Mélenchon fustige de longue date le rassemblement des étiquettes. Tous s’interrogent surtout sur la légitimité de Place publique à vouloir jouer les arbitres à gauche.

«On sait que tout cela est une question de long terme. Si on peut définir dix ou quinze causes qui unissent cette sphère politique, on aura fait un premier pas vers une offre politique moins fragmentée», argue Raphaël Glucksmann qui précisera la stratégie de Place publique aux européennes d’ici à début février.

Cet article est publié dans l’édition du Figaro du 29/12/2018. Accédez à sa version PDF en cliquant ici La rédaction vous conseille :

Tristan Quinault-Maupoil

Journaliste

Source :© Raphaël Glucksmann : «Le macronisme est mort»

Leave a comment

C.J.F.A.I © 2025. All Rights Reserved.