William Attal explique qu’il ne peut ‘plus garder le silence’ face au meurtre brutal de sa soeur par un voisin musulman au mois d’avril dernier. Il s’emporte face au refus de la police de reconnaître le caractère antisémite de ce crime
PARIS — L’assassinat de Sarah Halimi en avril dernier et les efforts conséquents visant à nier le caractère antisémite de ce crime représentent un tournant pour la communauté juive française et doivent être considérés comme un « signal d’avertissement » indiquant un changement d’attitude du pays envers les Juifs.
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C’est là le message que William Attal, le frère de Sarah Halimi, cherche à transmettre aux communautés juives françaises et du monde entier.
Dans un entretien qu’il a accordé cette semaine au Times of Israel dans la banlieue de Paris où il a grandi et où il vit encore, Attal, 62 ans, a qualifié le meurtre et sa gestion par la police « d’affaire Dreyfus moderne », se référant au procès, survenu au 19e siècle, lors duquel un officier de l’armée française juif avait été reconnu coupable, à tort, de trahison après avoir été accusé d’avoir livré des informations secrètes à l’Allemagne.
« Ici aussi, il y a un refus volontaire de la part des autorités françaises à rendre la justice », a dit Attal.
La famille de Halimi a majoritairement préféré garder le silence alors que l’affaire déchaînait la communauté juive. Tandis que les Juifs français considèrent largement ce meurtre comme étant le dernier d’une série d’attentats islamistes commis contre l’importante communauté juive dans le pays (qui compterait, selon les estimations, entre 500 000 et 600 000 personnes), les autorités refusent de l’envisager comme étant un crime de haine.
Le 4 avril, dans le 11ème arrondissement de Paris, Halimi a été torturée et jeté du balcon de son appartement du troisième étage, chute qui lui a été fatale. Le suspect, Kobili Traoré, un voisin musulman de Halimi qui vivait dans le même immeuble, aurait été entendu par des témoins durant cette attaque sauvage en train de crier « Allah Akhbar », « Allah est le plus grand » en arabe, citant des extraits du Coran et déclarant qu’elle était « le démon » et qu’il était venu pour la tuer.
La semaine dernière, les procureurs ont inculpé Traoré, 27 ans, pour homicide volontaire, sans présence du facteur d’aggravation qu’est un crime de haine. Même s’il a reconnu le meurtre, Traoré, qui n’aurait aucun antécédent de pathologie mentale, est actuellement en hôpital psychiatrique où il a été placé par la police – conformément à son affirmation que cet assassinat a résulté d’un moment de folie passagère induit par la consommation de stupéfiants.
Macron s’exprime
Le CRIF, organisation-cadre de la communauté juive française, a utilisé un langage anormalement dur pour critiquer l’acte d’inculpation qu’il a qualifié d’ »omerta » – le terme italien utilisé pour couvrir un crime entre complices.
« Le CRIF est sidéré que le caractère antisémite du meurtre ait été omis », établit un communiqué de l’organisation. « Pourquoi le cacher ? Pourquoi ce déni de l’antisémitisme ? »
Venant donner un élan significatif à la campagne visant à reconnaître l’assassinat de Halimi comme un crime antisémite, le président français Emmanuel Macron a réclamé dimanche la « clarté » sur ce meurtre, impliquant que certains ont tenté d’ignorer la nature réelle de l’incident.
Prenant la parole aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu lors d’un événement commémorant le 75ème anniversaire de la rafle des Juifs français au Vel d’Hiv durant la Deuxième guerre mondiale, Macron a expliqué : « Et malgré les dénégations du meurtrier, la justice doit faire désormais toute la clarté sur la mort de Sarah Halimi ».

Ce discours a été accueilli avec une grande satisfaction par la communauté juive et Attal l’entrevoit comme une petite victoire remportée dans le combat mené par la famille pour une reconnaissance appropriée de ce qu’a été ce crime.
« C’est un pas réalisé vers la justice », a déclaré Attal quelques heures après l’allocution présidentielle. « Cela montre que cette histoire est devenue dorénavant un scandale national ».
Assis aux abords d’un commerce de proximité à Créteil, dans la banlieue de Paris, Attal indique que tandis que les mots prononcés par le président sont un progrès, ils ne peuvent suffire à réparer les dégâts causés par l’affaire jusqu’à présent. Seules des actions concrètes pourront guérir la plaie. « Chaque jour que ce meurtrier passe dans un hôpital psychiatrique plutôt qu’en prison, la douleur et le sentiment d’irrespect envers la famille montent d’un cran », dit Attal.
Ce meurtre demeure plus important que le combat mené par la famille pour la justice, souligne Attal. Selon lui, l’assassinat de Sarah Halimi n’est que « l’un des exemples brutaux » de tendances inquiétantes plus larges au sein de la société française.
« La société répète exactement la même chose que ce que mes parents ont subi en Algérie pour en faire partir les Juifs », estime ce propriétaire d’un magasin à la retraite, qui raconte comment ses parents ont fui le pays nord-africain en 1946.
« Personne ne peut nier que la situation s’est détériorée pour les Juifs », insiste Attal, notant des agressions croissantes au cours de la dernière décennies qui lui font douter de la sécurité des Juifs en France, notamment de celle de sa famille.

Vivre dans la peur
Une peur qui est par moment palpable – cela a été le cas à la fois lorsque nous avons arrangé notre entretien avec Attal et au cours de la conversation elle-même.

Souhaitant éviter d’attirer l’attention sur sa propre habitation, Attal – un homme corpulent, sourire chaleureux et petite barbe – a demandé que nous nous rencontrions plutôt dans un commerce avoisinant mais a refusé que des photos soient prises sur les lieux par crainte de devenir une cible.
Quelques minutes après le début de cette discussion d’une heure, il a été demandé au journaliste que je suis d’ôter ou de recouvrir sa kippa. Attal, qui se définit lui-même comme religieux, porte une casquette de base-ball pour couvrir sa tête et dit qu’il a interdit à ses enfants de porter la kippa en public.
La famille Halimi est largement restée à l’écart du débat public depuis la mort de Sarah, choisissant de faire part de ses inquiétudes directement à la police. Les deux filles de Halimi ont refusé un entretien enregistré avec le Times of Israel, évoquant le traumatisme émotionnel qu’elles sont en train de vivre.

Attal estime toutefois qu’il ne peut plus garder le silence. « Je n’ai pas voulu en parler pendant longtemps, mais je ne peux plus me taire face ce manque de justice. J’ai le sentiment de n’avoir aucun autre choix que de raconter l’histoire entière de ce qui est arrivé », dit-il, ajoutant qu’il espère que la mort de sa soeur représentera un « signal d’avertissement » pour les communautés juives française et du monde entier.
Lisant des extraits du rapport de police et de l’autopsie, la voix cassée, les larmes aux yeux, Attal partage certains des détails précédemment inconnus des derniers instants de la vie de sa soeur. Alors qu’il commence à lire, deux de ses enfants, âgés de 16 et 20 ans, qui sont venus avec lui pour l’interview, demandent à s’écarter de la table, incapables d’écouter ces descriptions éprouvantes.

Attal raconte que l’attaque a commencé aux environs de 4 heures du matin, le 4 avril, lorsque le suspect, qui vivait dans un appartement situé au-dessous de celui de Halimi, a pénétré dans son domicile via l’appartement d’autres voisins, une famille originaire du Mali.
Traoré aurait frappé à la porte puis l’aurait forcée. Il paraissait si agressif et agité, récitant des versets du Coran, que la famille se serait enfermée dans une chambre et aurait appelé la police. Transportant un tapis de prière et des vêtements de rechange, il a dit à la famille : « Aujourd’hui, il y aura la mort ». Il est alors passé dans l’appartement de Halimi par le balcon, selon le rapport de police.
« Elle a essayé d’appeler la police mais la batterie serait tombée du téléphone alors qu’il commençait à la frapper avec ses poings », dit le rapport. Le téléphone a été retrouvé plus tard sur le balcon, recouvert de sang. Des voisins, qui avaient encore téléphoné à trois occasions à la police, ont ultérieurement indiqué que les appels à l’aide de Halimi étaient audibles.
La police est arrivée trois minutes seulement après le premier appel, mais s’est tout d’abord trompée d’immeuble. Une fois à l’appartement, les forces de l’ordre ont décidé d’appeler des renforts plutôt que de forcer la porte fermée. Craignant un attentat terroriste, ils ont attendu la brigade anti-terroriste. Au moment où cette unité spéciale est arrivée, aux environs de 5 heures, Halimi était morte.
Des traces de sang et des cheveux trouvés sur le lieu de la tragédie suggèrent que Halimi a été frappée puis traînée, inconsciente, vers le balcon, d’où elle a été jetée dans le vide depuis le troisième étage, une chute qui lui a été fatale. L’autopsie a déterminé que son crâne, ses orbites et ses pommettes avaient été brisés sous la violence des coups donnés à son visage. Chuchotant presque, Attal explique que le médecin-légiste pense qu’elle était encore en vie lorsqu’elle a été jetée dans le vide, et qu’elle est morte de sa chute.
Un témoin oculaire, et notamment une vidéo de six minutes de l’incident filmée depuis l’immeuble opposé et donné à la police, attestent du fait que Traoré a crié « Allah Akbar » et qu’il a récité des versets coraniques tout en agressant Halimi. A un moment, on peut entendre Halimi crier « Appelez la police, appelez la police ».
Ce à quoi Traoré répond : « Appelez la police, le démon est là ».
Les détails macabres du meurtre et la manière dont il a été mené, selon Attal, ne « laissent absolument aucun doute sur le fait qu’il s’agissait d’un attentat terroriste islamique programmé » contre une femme connue par ses voisins comme étant juive.
« Il est impossible de le nier », poursuit Attal, exprimant le choc qu’il a ressenti lorsque les autorités françaises, malgré le rapport établi par la police, ont maintenu que l’attaque n’était pas un acte de terrorisme.
Le moment de partir
La famille n’abandonnera pas la lutte pour la reconnaissance officielle de la motivation antisémite de l’attaque, s’exclame Attal. Mais elle continuera à mener son combat de loin, à 5 000 kilomètres d’ici. En Israël.
Le mois prochain, en conséquence directe du meurtre, les deux filles de Sarah Halimi vont immigrer en Israël, faisant leur alyah avec l’Agence juive, probablement dans le cadre du programme d’immigration mis en place par la Fraternité internationale des chrétiens et des juifs (IFCJ).
Attal, accompagné de son épouse et de leurs quatre enfants, embarquera dans un vol de l’IFCJ un mois après ses nièces (C’est la Fraternité internationale des chrétiens et des juifs qui a arrangé cet entretien avec Attal).

Le programme de l’IFCJ a reçu une réponse mitigée. Des représentants de l’Agence juive ont critiqué Einstein de « profiter » du travail mis en oeuvre pour traiter les dossiers de chaque migrant. Un haut-responsable a indiqué au Times of Israel mardi que tandis qu’Attal et les filles de Sarah Halimi emprunteront un vol de l’IFCJ, leur alyah a été prise en charge et gérée par l’Agence juive.

Joelle Eckstein, épouse du rabbin, a rencontré Attal cette semaine au cours d’une visite en France en amont d’un vol qui a amené 150 nouveaux immigrants en Israël mardi. Madame Eckstein a précisé au Times of Israel qu’il n’y avait pas de désaccords avec l’Agence juive, spécifiant que l’IFCJ a déjà fait don de plus de 200 millions de dollars à l’agence officielle d’immigration israélienne.
« Dans cet exemple, nous avons vu qu’il y avait un vide et qu’on pouvait aider, et c’est pour ça que nous sommes venus », a-t-elle expliqué, notant que l’IFJC ne cherche pas à remplacer d’autres organisations travaillant dans ce domaine mais que l’organisation voulait plutôt appuyer les immigrants qui, comme Attal, ont besoin d’un soutien supplémentaire.
Attal indique qu’il avait déjà prévu de partir en Israël avant la mort de sa soeur mais que le drame a accéléré les choses, « me donnant la certitude absolue, ainsi qu’à toute ma famille, qu’il faut le faire dès maintenant ».
Selon Attal, sa soeur aurait également voulu partir en Israël.
« Elle avait toujours rêvé de faire son alyah et elle voulait vivre près de son fils en Israël mais elle était restée en France pour s’occuper de ses petits-enfants », regrette-t-il. « Maintenant ses filles font leur alyah sans elle et ne pourront dorénavant la voir qu’en se rendant sur sa tombe, à Jérusalem ».
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Journaliste
Raoul Wootliff s’est rendu en France en tant qu’invité de la Fraternité internationale des chrétiens et des juifs