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Les clients d'un café de Beyrouth regardent, dimanche, l'allocution de Saad Hariri, premier ministre libanais, retenu à Riyad depuis le 4 novembre.
Les clients d’un café de Beyrouth regardent, dimanche, l’allocution de Saad Hariri, premier ministre libanais, retenu à Riyad depuis le 4 novembre. – Crédits photo : ANWAR AMRO/AFP

RÉCIT – Depuis dix jours, le dirigeant libanais démissionnaire est retenu en Arabie saoudite, par les puissants parrains du monde sunnite.

À Beyrouth

«Une interview télévisée particulièrement étrange»… Ce commentaire sur Twitter, accompagnant l’entretien accordé dimanche soir par Saad Hariri, neuf jours après sa démission surprise, résume le caractère totalement inédit de la crise dans laquelle est plongé le Liban. L’histoire pourrait être tout autant celle d’un épisode de téléréalité que celle d’un film d’espionnage. Dimanche, comme rarement en pareil exercice, le déroulement de l’entrevue était analysé au même titre, si ce n’est davantage, que les propos du premier ministre. Il s’agissait de jauger l’incroyable scénario d’une démission imposée de force à Saad Hariri par le nouvel homme fort de Riyad, Mohammed Ben Salman, alias MBS.

Lorsqu’il apparaît à la télévision saoudienne, il est évident pour ceux qui le connaissent, qu’il n’est pas l’auteur de la déclaration de démission lue d’une voix blanche

Selon divers témoignages recueillis au Liban et diverses sources citées par des médias libanais ou étrangers, il est établi que le premier ministre a brutalement coupé tout contact avec ses conseillers les plus proches et qu’il n’avait averti personne de son intention de démissionner, au moment où il a été convoqué à Riyad, le 2 novembre. Dès son arrivée, Saad Hariri aurait été privé de son téléphone, de sa montre intelligente, et traité sans les égards dus à son rang. Lorsqu’il apparaît à la télévision saoudienne, à 14 heures le 4 novembre, sans sa montre, il est évident pour ceux qui le connaissent, qu’il n’est pas l’auteur de la déclaration de démission lue d’une voix blanche.

Le dirigeant libanais aurait ensuite passé une à deux nuits à l’hôtel Ritz-Carlton, où sont retenus les princes saoudiens accusés de corruption par MBS, avant de revenir dans sa villa, sous haute surveillance, et de donner des «signes de vie» épars, par médias sociaux interposés. Une photo de lui, reçu par le roi, avec sa montre à nouveau au poignet, est alors largement utilisée pour attester l’hypothèse de plus en plus plausible d’un premier ministre contraint dans ses mouvements. Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, est l’un des premiers à y donner publiquement du crédit. Avant que ne s’y rangent aussi le parti de Saad Hariri et sa famille, révoltés que Riyad leur demande même d’accepter son remplacement au pied levé par son frère aîné, Bahaa.

Étrange moment télévisuel

C’est désormais aussi la version officielle des autorités libanaises. Au point que le président de la République, Michel Aoun, a fait savoir avant même la diffusion de l’entretien, qu’il s’interrogeait par avance sur la fiabilité de propos n’étant pas exprimés, selon lui, en totale liberté. C’est pourquoi Paula Yaacoubian, la journaliste de la Future TV, la chaîne appartenant à la famille Hariri, a, dès le départ, dû s’atteler à prouver l’authenticité du direct. Tout au long de l’entrevue, elle a rendu compte d’informations venues de l’extérieur, comme le séisme qui a secoué l’Irak dimanche soir. «Le climat est tel qu’on me soupçonne de participer moi-même à une mise en scène», a-t-elle dit d’emblée, avant de chercher à confronter son interlocuteur au film des événements.

«Avez-vous écrit vous-même votre lettre de démission ? Portez-vous votre montre aujourd’hui ? Êtes-vous libre de retourner au Liban?»

Paula Yaacoubian, journaliste de la Future TV

«Avez-vous écrit vous-même votre lettre de démission? Portez-vous votre montre aujourd’hui? Êtes-vous libre de retourner au Liban? Avez-vous été emmené au Ritz-Carlton? Pourquoi avoir coupé tout contact, y compris avec vos proches?»… À toutes ces «interrogations, Saad Hariri a eu des réponses destinées à démentir la thèse d’une contrainte quelconque exercée sur lui. Mais, au-delà de ses mots, tout, dans son attitude, paraissait contredire son propos. De même que l’extrême sollicitude manifestée par Paula Yaacoubian à l’égard de son interlocuteur, à un moment au bord des larmes – «prenez mon verre d’eau je n’y ai pas touché» – totalement abattu, incapable de la moindre esquisse de sourire – «vous êtes fatigué, vous avez envie d’arrêter, donnez-moi encore quelques minutes».

Un épisode résume à lui seul cet étrange moment télévisuel, décrit comme humainement pénible par beaucoup de Libanais, qu’ils approuvent ou pas le personnage politique: la caméra capte, par inadvertance, l’image d’un homme debout derrière l’intervieweuse, un papier blanc entre les mains ; puis le regard noir de Saad Hariri, les yeux tournés vers lui. Des messages diffusés en direct sur Twitter croient lire de la terreur sur son visage et échafaudent toutes sortes de scénarios sur des pressions saoudiennes exercées en direct sur le dirigeant libanais. Après une pause publicitaire, ce dernier s’est senti obligé d’y apporter un démenti.

Saad Hariri a affirmé qu’il rentrerait à Beyrouth «dans les prochains jours». Il n’a, pour autant, pas fixé de date précise. Pas plus qu’il n’a véritablement justifié sa démission

Au final, la prestation télévisée du premier ministre démissionnaire n’a pas contredit le récit des événements tel qu’il s’est progressivement imposé au fil des jours, et son intervention n’a pas, non plus, totalement clarifié la situation sur le plan politique. Saad Hariri a affirmé qu’il rentrerait à Beyrouth «dans les prochains jours». Il n’a, pour autant, pas fixé de date précise. Pas plus qu’il n’a véritablement justifié sa démission, quand il a expliqué avoir voulu créer un «choc positif, dans l’intérêt du Liban».

Le leader sunnite a même évoqué la possibilité de revenir sur sa démission, si le Liban se résout à appliquer une véritable politique de «distanciation», et de neutralité dans les conflits régionaux. Un message qui vise explicitement le Hezbollah, allié et bras armé de l’Iran dans la région, qui intervient ouvertement en Syrie depuis des mois au côté du président Bachar el-Assad et que l’Arabie saoudite rend responsable du tir de missile lancé par les houthistes yéménites contre Riyad le 4 novembre. Un acte de guerre selon les autorités du royaume saoudien.

Volonté de désescalade

Ces propos ont été diversement interprétés à Beyrouth, dans l’attente de nouveaux messages émanant d’Arabie saoudite, où s’est rendu lundi le patriarche maronite, Boutros Raï. Pour les uns, le ton nettement plus modéré de Saad Hariri envers le Hezbollah, comparé à celui qui fut le sien lors de sa déclaration de démission, est le signe d’une volonté saoudienne de désescalade, voire une porte ouverte à des négociations. Pour les autres, même si le ton du premier ministre libanais démissionnaire a changé, sur le fond l’équation qu’il pose reste insoluble, étant donné l’état actuel du rapport de force politique au Liban.



Source :© Le Figaro Premium – Comment le premier ministre libanais Saad Hariri a été piégé chez les Saoud

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