Abbas dénonce un contournement de la cause palestinienne, mais tous ses potentiels successeurs sont également furibonds face au retour de Mohammad Dahlan sur le devant de la scène
L’Autorité palestinienne est furieuse, révoltée par l’accord entre Israël et les Émirats arabes unis. Elle est tellement en colère qu’elle pourrait faire penser à un enfant qui fait une crise, se jette par terre et hurle sans raison réelle.
En apparence, cette semaine aurait dû être merveilleuse pour l’AP. Son objectif numéro un de ces derniers mois – contrecarrer l’annexion par Israël de certaines parties de la Cisjordanie – a été atteint, avec l’aide de nul autre que le Premier ministre Benjamin Netanyahu lui-même, soutenu par l’administration Trump. Un effort diplomatique énorme, qui fait suite à des manifestations préparées des semaines à l’avance et à des voyages à l’étranger pour tenter de persuader l’Union européenne et les pays arabes de faire pression – tout cela semble avoir porté ses fruits.
De plus, l’annulation de l’annexion aurait dû conduire à une reprise de la coopération en matière de sécurité entre l’AP et Israël. Jusqu’au 1er juillet, date à laquelle Netanyahu devait procéder à l’annexion unilatérale des implantations et de la vallée du Jourdain, les 30 % du territoire de Cisjordanie alloués à Israël dans le cadre du plan Trump de janvier, toute la coordination financière, sécuritaire et civile entre Israël et l’AP s’était déroulée sans heurts. L’Autorité palestinienne a mis un terme à cette situation afin de faire pression sur Israël pour que le pays annule l’annexion, ce qu’il a fait. Par conséquent, pourquoi ne pas reprendre immédiatement la coordination entre Israël et l’AP, tout en saluant l’accord entre Israël et les Émirats arabes unis ?
Il y a deux raisons principales pour lesquelles l’accord entre Israël et les Émirats arabes unis a provoqué des réactions aussi furieuses à Ramallah. La première, politique, est bien connue : la perte de prestige du conflit israélo-palestinien. Soudain, les EAU, qui sont un acteur de premier plan dans le monde arabe sunnite, font passer leurs propres intérêts avant ceux des Palestiniens et s’efforcent, la tête haute, de normaliser leurs relations avec Israël. Dans une large mesure, la réaction de l’AP rappelle la réaction de l’OLP suite à l’accord de paix israélo-égyptien. De plus, l’une des carottes régulièrement agitées devant Israël lors des négociations avec les Palestiniens est que, si un accord de paix est conclu, la paix avec les États arabes sunnites suivra bientôt. Or, cela ne s’est pas avéré être le cas. Cela signifie que la motivation déjà faible d’Israël pour reprendre les négociations avec les Palestiniens a pratiquement disparu.
Des Palestiniens agitent des drapeaux alors qu’ils protestent contre la décision des Émirats arabes unis de normaliser leurs relations avec Israël, dans le village de Turmus’ayya, près de la ville de Ramallah, le 19 août 2020. (JAAFAR ASHTIYEH / AFP)
La deuxième raison, qui peut avoir un poids psychologique plus important, est liée à Mohammad Dahlan, conseiller de Mohammed bin Zayed, prince héritier des Émirats arabes unis, également connu sous son acronyme « MBZ ». Dahlan est considéré par beaucoup comme la Némésis du président de l’AP, Mahmoud Abbas. Le vieil homme, comme il est connu dans son cercle, considère cet accord comme une tentative particulièrement conspiratrice de Dahlan pour l’évincer une fois de plus de la présidence et, cette fois, pour nuire également à l’Autorité palestinienne elle-même.
La haine entre Abbas et son ancien chef de la sécurité de Gaza et conseiller clé est profonde. Elle a commencé à la fin de l’année 2010, lorsque Dahlan a divulgué à des médias arabes des rapports alléguant la corruption des deux fils d’Abbas, Tarek et Yasser, et que des rumeurs ont commencé à circuler sur son intention de monter un coup d’État. En 2011, Dahlan, qui était l’un des principaux candidats à la succession d’Abbas, a été contraint de quitter la Cisjordanie – trois ans après que le Hamas a expulsé ses hommes de Gaza –, avant de partir s’installer aux Émirats arabes unis.
Des Palestiniens de Ramallah, en Cisjordanie, brûlent des photos du prince héritier émirati le cheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan (en haut) et du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, lors d’une manifestation contre l’accord EAU-Israël visant à normaliser les relations diplomatiques, le 15 août 2020. (Abbas Momani / AFP)
Depuis, il est devenu un ami proche et un conseiller de MBZ et participe à une myriade de projets financiers, non seulement dans le Golfe mais aussi dans toute l’Europe (ce qui lui a d’ailleurs permis d’obtenir la citoyenneté serbe). Tout homme d’affaires israélien travaillant aux EAU ou dans le Golfe persique ces dernières années est conscient de l’immense influence que Dahlan exerce. Dans une région saturée d’hommes d’affaires fortunés, il est l’un des plus riches. En même temps, il a veillé à maintenir ses canaux de pouvoir à Gaza et en Cisjordanie.
Abbas et ses associés directs ne sont pas les seuls à attaquenr l’accord. Tous les autres hauts responsables du Fatah considérés comme candidats pour succéder à Abbas en temps voulu – le chef de l’AP est âgé de 84 ans – voient cela comme un coup de poignard dans le dos orchestré par Dahlan. Eux aussi ont compris que cet accord pourrait marquer le retour de ce dernier au centre de la scène palestinienne. Largement rayé de la liste des héritiers possibles, il fait maintenant son retour – tacitement soutenu non seulement par les pays arabes, mais aussi par l’administration Trump. Les cartes ont été redistribuées.
Dahlan a toujours d’importants liens avec les militants du Fatah dans la bande de Gaza. Le problème est que le Fatah est pratiquement sans pouvoir dans le territoire, en raison de la domination du Hamas et de son régime sanguinaire. Aucun groupe, aussi loyal qu’il soit envers Dahlan, n’ose y défier le Hamas. En Cisjordanie, en revanche, sa situation est plus complexe. Il bénéficie d’un certain soutien parmi les soldats de Tanzim (une branche armée du Fatah qui a été profondément impliquée dans le terrorisme de la seconde Intifada) dans les camps de réfugiés. Mais il doit faire face à une concurrence féroce de la part d’autres membres haut placés du Fatah, tous espérant utiliser le Tanzim pour prendre le contrôle des institutions du Fatah pour la succession d’Abbas.
Le haut responsable du Fatah Jibril Rajoub, dans la ville de Ramallah en Cisjordanie, assiste par vidéoconférence à une réunion avec le chef adjoint du Hamas Saleh al-Arouri (sur l’écran depuis Beyrouth) pour discuter du plan d’annexion de certaines parties de la Cisjordanie par Israël, le 2 juillet 2020. (ABBAS MOMANI / AFP)
L’un des premiers à affirmer et à attaquer l’implication de Dahlan dans l’accord a été Jibril Rajoub, qui est sans aucun doute un candidat de choix pour succéder à Abbas. La rivalité entre Rajoub et Dahlan est encore plus grande que celle entre Abbas et Dahlan. Les deux, qui étaient de bons amis, se sont brouillés en 2002, lors de l’opération « Rempart » d’Israël, qui visait à lutter contre le terrorisme en Cisjordanie au plus fort de la seconde Intifada. Dans un geste qui aurait pu être tiré directement de la série « House of Cards », Dahlan a « déposé » Marwan Barghouti, le chef de Tanzim qui tentait de fuir les forces israéliennes à ces heures cruciales, au quartier général des forces de sécurité préventive palestiniennes à Bitunia.
Marwan Barghouti. (Crédit : Flash90)
Rajoub était alors commandant des forces de sécurité préventive, et le stratagème de Dahlan visait à attirer Israël pour qu’il attaque le quartier général. L’armée israélienne a effectivement attaqué le centre de commandement, et alors que Barghouti lui-même s’était échappé quelques heures auparavant, ses fidèles ont été contraints de se rendre et de remettre leurs armes. Dahlan a immédiatement accusé publiquement Rajoub de s’être honteusement rendu et d’avoir remis les troupes à Israël. Rajoub comprit parfaitement ce qui s’était passé, et l’étendue de la duplicité de Dahlan ; ils sont maintenant des ennemis mortels. (Barghouti a finalement été capturé, il est emprisonné à vie en Israël pour sa participation à de multiples meurtres et actes de terrorisme, et il est régulièrement désigné comme le choix préféré des Palestiniens pour remplacer Abbas.)
Contrairement à Dahlan, Rajoub bénéficie d’une très large base de soutien populaire, en particulier dans le sud et le centre de la Cisjordanie. Hébron et Bethléem sont considérées comme des bastions de l’homme, qui a grandi à Doura, dans le sud des collines d’Hébron. Il est très populaire au sein du mouvement de jeunesse du Fatah (Ash Shabiba), et il gagne également une position politique importante, notamment à la lumière de ses actions contre l’annexion, où il a été à l’avant-garde du réchauffement des relations du Fatah avec le Hamas.
Mahmoud al-Aloul, membre du Comité central du Fatah, en janvier 2010. (Issam Rimawi/Flash90)
Un autre concurrent pour le poste d’Abbas est Mahmoud al-Aloul, de Naplouse, vice-président du Comité central du Fatah. Il bénéficie bien sûr d’un fort soutien à Naplouse, mais bien que son bureau le place à la tête des milices Tanzim, elles ne lui rendent pas toutes des comptes. Parmi ses partisans, on compte actuellement Hussein al-Sheikh, chef de l’Autorité générale des affaires civiles, dont le frère a été tué par des tireurs palestiniens il y a deux semaines, et Majed Faraj, chef des services de renseignements généraux.
Tawfik Tirawi, un autre membre haut placé du Fatah, insiste également pour se considérer comme candidat malgré ses lointaines perspectives. Autre rival de longue date de Rajoub, Tirawi s’attache à susciter le soutien des militants armés de Tanzim dans les camps de réfugiés tels que Balata et Askar.
Chacun de ces acteurs de haut rang s’efforce maintenant de consolider une base de soutien, de recruter des militants armés et, bien sûr, de constituer des stocks d’armes, en prévision du lendemain. Et nouvelle donne : Dahlan est revenu sur le devant de la scène.
Lorsque le moment sera venu, ces rivaux pourront-ils travailler ensemble et choisir un candidat digne de diriger les Palestiniens, ou assisterons-nous à une désintégration de l’AP au milieu de batailles sanglantes pour le leadership ? Comment la bataille pour le leadership et son résultat pourraient-ils affecter les interactions avec le Hamas ? Jusqu’à récemment, Dahlan entretenait de bonnes relations avec Yahya Sinwar, l’un des acteurs les plus puissants du Hamas, basées sur leur enfance commune dans le camp de réfugiés de Khan Yunis. Mais le frère de Jibril Rajoub, Nayef, est considéré comme un homme de premier plan au sein du Hamas.
Il est trop tôt pour répondre à de telles questions. Mais elles se posent dans le contexte de l’explosif accord des EAU avec Israël. Et avec l’indignation suscitée par la prétendue « trahison » politique des Émirats, les rivalités internes entre les dirigeants palestiniens expliquent en grande partie la réaction hystérique de Ramallah à la normalisation entre Abou Dhabi et Jérusalem.
Source:© Pourquoi l’AP est si furieuse contre l’accord entre Israël et les Émirats