GRAND ENTRETIEN – Un an après l’incendie de Notre-Dame de Paris, l’ancien ministre revient sur cette nuit d’angoisse où la cathédrale faillit disparaître dans les flammes. Il y voit un symbole à l’heure où la France doit affronter une crise sanitaire et économique sans précédent.
Un an après l’incendie de Notre-Dame de Paris, Philippe de Villiers se souvient de cette nuit d’angoisse où la cathédrale aurait pu disparaître dans les flammes, mais est restée debout. Il y voit un symbole alors que la France doit affronter une crise sanitaire et économique sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale.À lire aussi : Le coronavirus plonge la France dans une brutale et inédite récession économique
L’ancien ministre souligne que tout au long de son histoire, notre pays a su se relever des épreuves les plus tragiques. Cependant, pour que les conditions du sursaut soient réunies, il faut, selon lui, que les élites renoncent à l’idéologie de la «mondialisation heureuse» pour revenir aux fondamentaux de «l’ancien monde» qui, à ses yeux, garantissaient notre protection: la frontière, la souveraineté, le local et la famille.
Philippe de Villiers observe que l’ampleur et la brutalité de la crise bousculent la vision politique d’Emmanuel Macron, en particulier sur la question européenne. Il fustige cependant l’imprévoyance de l’exécutif et redoute beaucoup les conséquences du confinement prolongé sur l’économie concrète de la France.
LE FIGARO. – Il y a un an jour pour jour brûlait Notre-Dame de Paris. Quel souvenir gardez-vous de cette nuit?
Philippe DE VILLIERS. – Le souvenir d’une nuit blanche. Une nuit d’effroi. Une nuit allégorique aussi. D’abord il y eut les flammes, le ciel assombri par les nuages de soufre, le silence sépulcral, – un silence de cathédrale -, tout autour de cette arche de feu, immolée, sans défense ni secours. La foule des errants de la postmémoire, qui regardait, bouche ouverte, incrédule: «Notre-Dame brûle!» Puis, brandies par des nacelles, comme des coquilles de noix face à la mer de feu, les lances sont arrivées, trop courtes, dérisoires. On aurait dit des seaux d’eau du Moyen Âge. La bataille semblait perdue d’avance. Les flammes grandissaient. On voyait de très loin, au-dessus des immeubles, une danse infernale sur le pont du grand vaisseau de haut bord. C’étaient les chênes de saint Louis qui se consumaient. La grande nef du monde pour la plèbe de Dieu allait s’effondrer. Il était minuit.
La première dame de France nous a ainsi rappelés à nos racines, au mystère d’un peuple insouciant mais tourné vers les grands embarquements
Au petit matin, on entend, qui vibre, l’invisible France des hautes nefs immémoriales, un grouillement d’âmes simples qui entonne un hymne à l’unité profonde de la symphonie millénaire, l’accord parfait du burin sur la pierre et du souffle de l’esprit. Notre Dame a sauvé Notre-Dame. La première dame de France nous a ainsi rappelés à nos racines, au mystère d’un peuple insouciant mais tourné vers les grands embarquements.
Dans les jours suivants, cette catastrophe a déclenché une émotion nationale sans précédent. Comme l’expliquez-vous?
Notre-Dame de Paris, c’est la France. Pour le peuple français, longtemps elle fut sa maison. Elle l’est encore un peu pour les chasseurs d’images désaffiliés qui n’ont plus les clefs pour comprendre. Notre peuple y a déployé les expressions les plus pures de son génie créateur. Au temps des croisades, quand la lumière commandait à la pierre, il a entassé dans cette arche de Noé, dans ce vaisseau renversé, nos forêts, nos jardins, nos soleils levants, mais aussi sculpté nos chimères et glissé dans les tuyaux d’orgue jusqu’à nos tempêtes intimes. C’était le nombre d’or d’un peuple croisé qui donne des ailes à la pierre. On ferait bien de relire Marcel Proust, qui écrivait dans Le Figaro du 16 août 1904: «Nos cathédrales sont probablement la plus haute mais indiscutablement la plus originale expression du génie de la France.»
Un an après, quelles leçons doit-on retenir de ce drame?
Dans toutes les grandes épreuves, la France retourne à ses enfances, retourne à Notre-Dame du dernier recours. Le peuple vient supplier, prier la Couronne d’épine pour éloigner les fléaux, les épidémies.
Plus près de nous, je repense au président du Conseil, Paul Reynaud qui, le 19 mai 1940, quand le pays roule à l’abîme, se dirige à la tête de tout son gouvernement vers Notre-Dame puis qui, le 13 juin, dans une allocution radiodiffusée au pays, s’écrie: «S’il faut un miracle pour sauver la France, alors je crois au miracle!»
Aujourd’hui, Notre-Dame gît, entrailles ouvertes, elle est vide, silencieuse. Une plaie béante. Jadis, les ouvriers s’y rendaient pour guérir. Avec le virus, ils font valoir leur droit de retrait
Aujourd’hui, Notre-Dame gît, entrailles ouvertes, elle est vide, silencieuse. Une plaie béante. Jadis, les ouvriers s’y rendaient pour guérir. Avec le virus, ils font valoir leur droit de retrait pour ne pas y risquer d’attraper le virus. Les temps changent. Avec le «nouveau monde», nous vivons une rupture allégorique de civilisation et aussi un renversement symbolique de tous les paradigmes de la chrétienté millénaire. La piété populaire et les cierges de supplication entrent dans l’ère du virtuel. On assiste à la «messe en ligne». Et Antigone, bien qu’elle ait signé une attestation dérogatoire pour sortir, n’aura pas le droit d’aller enterrer son frère.
Pour vous, cette nuit était comme le symbole de notre pays et de sa capacité à toujours renaître comme le phénix?
La France est retournée au Moyen Âge, la foi en moins. Il y avait la peste et la lèpre. Le coronavirus les vaut bien. Au Moyen Âge, on confinait les mal portants. Aujourd’hui, on confine les bien portants. Notre confinement est très inégalitaire: il y a les innocents qui sont menacés de prison s’ils sortent ; il y a les condamnés qu’on fait sortir de prison où ils étaient confinés. Et il y a ces cités insurgées que Sibeth Ndiaye veille à «ne pas stigmatiser».
On parle des «féodalités». Mais nous aussi, nous avons les nôtres, plus puissantes que les États. Elles ne paient pas la gabelle et nous préparent une transhumanité déshumanisée, ce sont les Gafa.
Quant au petit phénix, pour que la France sorte de ses braises ardentes, il faut refaire un peuple amoureux. Et donc avoir, pour cela, des historiens du feu sacré. Il y a, parmi eux, tant de médecins légistes! Toutes les sociétés obéissent à la même loi: quand elles ont cessé de vivre de leur raison d’être, que l’idée qui les a fait naître leur est devenue étrangère, elles se démolissent de leurs propres mains.
La défaite intellectuelle des mondialistes signale la fin du nouveau monde et le retour en force de l’ancien monde
À quelles conditions la France peut-elle se relever du coronavirus?
Elle peut se relever, à condition que nos élites méditent avec humilité la signification de l’épreuve que nous vivons. La défaite intellectuelle des mondialistes signale la fin du nouveau monde et le retour en force de l’ancien monde. Après la chute du mur de Berlin, on nous a expliqué que nous allions entrer dans une nouvelle ère, postmoderne, postnationale, postmorale, une ère de paix définitive. Ce nouveau monde nous débarrasserait des souverainetés et des États, puisqu’il serait posthistorique, postpolitique.
Ce serait la fin définitive des guerres, de l’histoire, des idées, des religions et l’avènement du marché comme seul régulateur des pulsions humaines et des tensions du monde. Les citoyens allaient se muer en consommateurs sur un marché planétaire de masse. Excitant, non? Et puis le nouveau monde organiserait enfin le primat ricardien de l’économie sur la politique, portant ainsi l’idée pacifique d’une réallocation des ressources au niveau du «village global» et d’un monde d’ouverture multiculturelle. On pensait que les grandes organisations supranationales suffiraient à la supervision de ce nouveau monde qui tiendrait dans la main invisible du libéralisme les bonheurs et prospérités. Ainsi s’organisa la dérive sémantique: on ne parlait plus de gouvernement mais de gouvernance, de loi mais de régulation, de frontière mais d’espace, de peuple mais de société civile. Aujourd’hui, cette logomachie est en train de mourir du coronavirus.
Comment en sommes-nous arrivés là?
Il suffit d’observer les saltos arrière d’Emmanuel Macron, pour le comprendre. Il y a encore quelques semaines, il déclarait ne pas vouloir céder «au repli nationaliste». Et lundi soir, il a entonné l’hymne à «l’indépendance». C’est le grand retour à la souveraineté, derrière lui, à l’écran, on ne voyait plus le drapeau européen! Quel chemin de Damas!
La souveraineté, c’est la compétence de la compétence. On est souverain ou on ne l’est pas. On ne peut pas l’être à moitié. Quand de Gaulle a accepté le traité de Rome, il a exigé que la nouvelle institution ménage les «intérêts vitaux des nations».
La mondialisation, dont Bruxelles n’a jamais été qu’un cheval de Troie, aura favorisé quatre crises mortelles, sanitaire, migratoire, économique, et bientôt financière
Avec les traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Marrakech, nous avons aliéné notre souveraineté. La souveraineté se définit par le primat du politique. L’aliéner, c’est permettre à l’économie de s’organiser comme elle l’entend. Cette dernière va toujours là où vont ses intérêts. Nous avons donc vu se déployer un capitalisme débridé qui a choisi dans un premier temps l’aliénation américaine et désormais l’aliénation chinoise. Les gens qui ont prôné cette idéologie de la soi-disant division internationale du travail savaient ce qu’ils faisaient.
Ils ont laissé derrière eux une France en pièces détachées, un pays qui n’a plus d’industrie, et qui a favorisé une agriculture dégradée en un processus agrochimique suicidaire, un pays qui confie à la Chine le soin de produire pour elle ses médicaments. La mondialisation, dont Bruxelles n’a jamais été qu’un cheval de Troie, aura favorisé quatre crises mortelles, sanitaire, migratoire, économique, et bientôt financière.
Qu’est-ce que cette épreuve nous apprend d’autre sur nous-mêmes?
Le tragique est revenu dans nos vies. Quand le malheur est de retour, que rôdent la guerre (par exemple à la frontière gréco-turque) ou la mort de masse (avec la pandémie), on retrouve les protections régaliennes. Il y a encore quelques semaines, le nouveau monde continuait à désigner la frontière comme le mal absolu, mais on a bien été obligés d’inventer ce qu’on appelle le geste barrière. Or, qu’est-ce qu’un geste barrière? Une frontière, entre individus.
Et puis on a inventé les «clusters». Qu’est-ce qu’un «cluster»? Un foyer délimité par des contours. Puis on a inventé la «frontière pour tous» avec le confinement, dont l’étymologie signifie cum finis : avec des frontières. Ce fut d’abord, rappelons-le, un confinement à l’échelle de départements: le confinement du Haut-Rhin, le confinement du Morbihan. Les frontières départementales seraient donc le bien, les frontières nationales le mal? C’est une curiosité épidémiologique pour les chercheurs de l’après-politiquement correct.
Pour sortir des impasses où les élites nous ont engagés depuis mai 1968, il faut revenir au carré magique de la survie
Hélas, on a toujours tort d’avoir raison trop tôt. Quand j’ai prononcé pour la première fois, en 2004, devant l’Académie des sciences morales et politiques, le mot «souverainisme», il y eut un haut-le-cœur. Dès 1994, lors de la campagne des élections européennes, je me souviens que, dans nos réunions publiques, Jimmy Goldsmith et moi avions cette formule qui faisait rire les salles: «Quand toutes les barrières sanitaires seront tombées et qu’il y aura une grippe à New Delhi, elle arrivera dans le Berry.» C’était un rire d’incrédulité: «Ils exagèrent…».
Je racontais tous les soirs, devant nos assemblées de curieux, la même histoire métaphorique sur la «jurisprudence du Titanic»: «Le Titanic a coulé à cause d’une seule lame de glace qui a percé la coque. Parce que la carène du navire n’avait prévu qu’un caisson seulement. Lorsque nous avons créé le Vendée Globe, nous avons imposé sept compartiments étanches dans la coque de chaque bateau. Si l’un des sept se remplit d’eau, il en reste six… Les compartiments étanches empêchent le bateau de couler. Eh bien, chers amis, la jurisprudence du Titanic, c’est que les nations sont les compartiments étanches de la mondialisation.» Mais la réaction des élites était toujours la même: «On ne peut s’opposer à la mondialisation. Elle est dans le sens de l’histoire.»
«Le jour d’après ne ressemblera pas au jour d’avant», a toutefois promis Emmanuel Macron…
Pour sortir des impasses où les élites nous ont engagés depuis mai 1968, il faut revenir au carré magique de la survie. Le premier point du carré, c’est la frontière, c’est-à-dire la protection, ce pour quoi les États ont été inventés. Le deuxième, c’est la souveraineté, c’est-à-dire la liberté des peuples pour prendre des décisions rapides et ajustées. Le troisième coin du carré, c’est le local, donc le contrôle au plus proche des intérêts vitaux. Le quatrième point, c’est la famille, puisque, quand on décide de confiner un pays, la «République de la PMA» ne confie pas les enfants des écoles aux fonds de pension mais à leurs parents.
À la pandémie sanitaire s’ajoute la pandémie économique, je ne suis pas sûr que le tissu conjonctif de la France industrieuse s’en relève un jour
À la suite du Brexit hier, et du coronavirus aujourd’hui, l’institution bruxelloise est en phase terminale. L’OMC, l’Otan, tout cela, c’est fini. Le nouveau monde, c’est l’ancien temps. La grande question qui est à l’ordre du jour, c’est de faire autre chose, c’est-à-dire un concert des nations. Dans un concert, on ne cherche pas tous à emboucher la même trompette, mais à mettre en harmonie nos sonorités instrumentales, à raison même de leurs singularités. Il faut cesser d’être toujours à courir après l’histoire qui se fait sans nous.
À la pandémie sanitaire s’ajoute la pandémie économique, je ne suis pas sûr que le tissu conjonctif de la France industrieuse s’en relève un jour. Dans l’affaire du coronavirus, vous avez pu remarquer que la France a suivi avec une sorte d’esthétique du temps de retard. On suit le virus et on suit les autres pays. J’ai peur que ce soit pareil pour la question européenne.
Bientôt, la France sera la seule à y croire encore. L’Europe charnelle du groupe de Visegrad n’y croit plus. L’Italie s’en moque. L’Angleterre est partie. L’Otan se traîne. Erdogan nous fait des pieds de nez et exige des pourboires en milliards pour nous protéger. Merkel est en assistance respiratoire politique. Et voilà qu’Emmanuel Macron nous parle, en plein coronavirus, de la nécessité d’une «souveraineté européenne»… Une souveraineté sans peuple, c’est aussi concret que l’amour à distance.
En freinant la vague épidémique, on ne fait que retarder le moment où suffisamment de Français seront immunisés pour stopper définitivement la propagation du coronavirus
Qu’avez-vous pensé de l’allocution télévisée d’Emmanuel Macron lundi soir?
Le confinement prolongé est une erreur grave. Certes, il permettra de lisser la courbe des entrées en réanimation, du fait du manque de lits en Île-de-France. Mais, en freinant la vague épidémique, on ne fait que retarder le moment où suffisamment de Français seront immunisés pour stopper définitivement la propagation du coronavirus. Tel sera le cas lorsque 60 % de nos compatriotes auront été en contact avec le virus. On n’est qu’à 15 %. Donc la sortie du confinement sera dramatique. Si nous avions fermé les frontières, si nous n’avions pas bradé nos stocks stratégiques de masques et de tests, nous serions comme les Allemands, les Autrichiens et les Suédois. Le gouvernement fait payer au peuple français son imprévoyance et son impéritie.
Source:© Philippe de Villiers: «Comme Notre-Dame, la France se relèvera!»