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INTERVIEW – En mars de cette année-là, marquée par les grèves, le propriétaire de Vaux-le-Vicomte ouvrait le château au public. Une révolution.

Construit en 1656 pour Nicolas Fouquet, Vaux-le-Vicomte et ses jardins à la française font partie des incontournables du patrimoine. Le propriétaire du château, le comte Patrice de Vogüé, 89 ans, revient sur cinquante ans d’ouverture au public, cinquante ans de «plaisir renouvelé».

LE FIGARO. – Vous souvenez-vous du 22 mars 1968?

Patrice de VOGÜÉ. – Et comment! J’avais reçu Vaux-le-Vicomte en cadeau de mariage de la part de mon père, et nous nous y étions installés, avec ma femme, Cristina. Nous avons pris la décision d’ouvrir le château aux visiteurs. Le 22 mars, nous avions prévu une grande inauguration. Un buffet avait été dressé pour 400 personnes. Mais le chahut avait tout juste démarré, à Nanterre et à Paris, ce que nous n’avions pas intégré. Résultat, seuls six invités ont répondu présent. Les semaines suivantes, il n’y avait plus d’essence et toujours pas un touriste. Nous avons mangé le buffet, avec le personnel, pendant au moins une semaine. Et nous avons totalement raté notre période d’inauguration.

[perfectpullquote align=”full” bordertop=”false” cite=”” link=”” color=”” class=”” size=””]«Cet endroit a été conçu par trois génies : Le Nôtre, Le Brun et Le Vau. Il inspire par son équilibre et sa beauté. Chacun le sent en venant»[/perfectpullquote]

Ce n’était pas courant, à l’époque, de faire visiter ses parties privées. Dans le fond, vous meniez aussi une petite révolution…

Du temps de ma grand-tante, mon père s’inquiétait souvent de l’avenir du château. Je lui répondais toujours: on fera comme les Anglais, on ouvrira les portes au public. C’est vrai, dans les années 1960, il n y avait pas grand monde pour raisonner de la sorte. Seuls Chenonceaux ou Villandry avaient déjà pris ce tournant. Ma grand-tante, elle, faisait visiter les jardins de Vaux, que l’on doit à Le Nôtre et qui attiraient près de 40.000 personnes par an. Nous ne pouvions pas en rester là, d’autant que le tourisme commençait à prendre son essor et que nous n’avions pas un sou en caisse. Nous n’habitions pas encore les dépendances, Cristina et moi. Nous avons fait de la place pour les visiteurs et la cohabitation s’est installée.

Quelles ont été les grandes étapes de cette vie au château?

En 1968, j’ai pris la place du régisseur, et je me suis mis au travail. J’ai lancé des travaux, restauré des plafonds et des décors, mis du chauffage. Notre idée était de remettre Vaux en l’état, d’en faire un témoignage du classicisme. Il a fallu sans cesse travailler sur le monument, se poser des questions sur les options à prendre. Ma femme a ouvert un restaurant, qui a démarré avec six clients et sert désormais jusqu’à 600 couverts par jour. Elle s’est aussi occupée de la boutique, avec le même succès. Dans les années 1980, nous avons lancé les soirées aux chandelles, des dîners éclairés par la belle lumière vacillante de deux mille bougies. Cela a marché et contribué à notre réputation. Nous n’avons pas eu besoin d’art contemporain pour séduire. Petit à petit, les visiteurs ont trouvé le chemin du château, même si nous n’avons pas le RER à nos pieds. Je n’ai jamais eu à m’en plaindre, ils ont toujours été respectueux des lieux. Cet endroit a été conçu par trois génies: Le Nôtre, Le Brun et Le Vau. Il inspire par son équilibre et sa beauté. Chacun le sent en venant.

«Vaux est sans doute une charge, mais c’est surtout un bonheur. Être propriétaire est une vie d’engagement et j’ai vécu chaque jour comme s’il était aussi important que le précédent»

Vous avez cédé la main à vos trois fils, Jean-Charles, Alexandre et Ascanio, en 2015. Il n’est pas évident de transmettre, n’est-ce pas?

Transmettre est très important et je me suis retiré de la gestion quotidienne. Mon épouse dira que je suis encore très présent: je suis d’une tradition paternaliste, qui n’est pas celle de la jeunesse, voilà tout. Le plus difficile, au bout de toutes ces années, est de savoir s’adapter à l’évolution du monde. L’élitisme n’est pas très favorisé aujourd’hui. Autrefois, accueillir les gens était plus facile, car ils venaient voir un beau château, de beaux décors et des jardins renommés. Aujourd’hui, la clientèle est sollicitée, elle réclame des événements, des feux d’artifice – que sais-je? La nouvelle génération maîtrise mieux ce langage-là, sans parler des réseaux sociaux. Je souhaiterais que des notions comme la qualité, la rareté et l’agrément perdurent à Vaux-le-Vicomte. Je sais malheureusement que maintenir un lieu comme le nôtre est à risque: des centaines de domaines sont à vendre en France. Il faudrait que le pays prenne exemple sur l’Angleterre et son National Trust. Cette fondation privée a deux millions d’adhérents, qui financent le patrimoine. Regardez ma cravate: elle est à motif de feuilles de chêne, celles du National Trust!

La vraie leçon de ces cinquante ans?

Vaux est sans doute une charge, mais c’est surtout un bonheur. Être propriétaire est une vie d’engagement et j’ai vécu chaque jour comme s’il était aussi important que le précédent. Nous avons eu des moments de doute, des moments forts. Des vedettes ont tourné des films chez nous, d’autres s’y sont mariées, mes trois enfants y sont nés. Quelle que soit la période, le plaisir a sans cesse été renouvelé. Il m’a suffi pour cela de regarder par la fenêtre.

Château de Vaux-le-Vicomte, Maincy (77). Tél.: 01 64 14 41 90. Ouvert tous les jours jusqu’au 4 novembre de 10 heures à 19 heures. Dernier accès au château à 17 h 15. Soirée aux chandelles tous les samedis du 5 mai au 6 octobre.


Source:©  Patrice de Vogüé : « En 1968, je me suis mis au travail »

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