FIGAROVOX/ENTRETIEN – Le Front national a annoncé d’importants changements au sein de son parti, notamment l’abandon de la sortie de l’euro, sur fond de guerre interne entre Florian Philippot et certains cadres du mouvement. Bruno Bernard analyse la stratégie du parti de Marine Le Pen.
Bruno Bernard est ancien conseiller politique à l’ambassade de Grande-Bretagne.
FIGAROVOX.- Après la double défaite des présidentielles et des législatives, le Front national semble déterminé à opérer d’importants changements au sein de son parti, en abandonnant notamment la sortie de l’euro qui serait un «repoussoir». Un tel changement pourrait-il élargir l’électorat du Front national?
Bruno BERNARD.- En introduction de votre question vous parlez de «double défaite», permettez-moi donc de rebondir là-dessus et de vous donner une analyse que j’espère objective des résultats électoraux récents du Front national.
Si on comprend la déception d’un parti arrivé second à l’élection suprême, il est essentiel de rappeler quelques faits.
Tout d’abord, obtenir 10,6 millions de voix au second tour d’une élection présidentielle, être la troisième force politique du pays en nombre de voix après les législatives, passer de 2 à 8 députés sans bénéficier de triangulaires, faire réélire le seul député qui se représentait et faire entrer sa tête de file à l’Assemblée pour la première fois, ne sont pas des résultats d’un parti en déroute.
Ensuite ne pas pouvoir parvenir à former une groupe parlementaire alors que tous les partis qui ont réalisé des scores inférieurs ont plus de députés, est certes rageant politiquement mais permet d’illustrer la défaillance de notre système représentatif, cela n’est pas inutile.
En conclusion les résultats du Front national sont bons voire excellents. Un observateur extérieur considérerait qu’avec la République En Marche et peut-être la France Insoumise, il est le seul parti, à avoir le vent en poupe et l’avenir devant soi.
Analyser les résultats de 2017 comme autant de défaites cinglantes montre un parti immature et impatient, voulant ignorer que le chemin à suivre est celui d’une progression lente mais constante. En effet les chiffres témoignent que l’élargissement de l’électorat Front national a eu lieu.
Dans ces conditions la sortie de l’euro est-elle le frein ultime qui permettra la conquête du pouvoir? Depuis Maastricht, les Français ont montré qu’ils savaient prendre des décisions courageuses en matière de construction européenne et seraient capables d’en prendre d’autres pour sauver ce qui peut encore l’être de cette Europe dévoyée. Voilà donc pourquoi pour deux raisons je ne pense pas que le caractère anxiogène d’une sortie de l’euro soit un plafond de verre.
Comme l’a très bien expliqué Aquilino Morelle au Figaro Magazine en faisant référence aux résultats du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel, «la France est un pays du Non gouverné par le camp du Oui» pour la simple raison que le parti du Oui offre un front uni et pas celui du Non. Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle en témoignent avec une majorité de voix pour les nonistes regroupés. Suivre le même chemin pro-européen que Jacques Chirac avait fait emprunter au RPR lors du vote au référendum sur le traité de Maastricht serait donc une erreur découlant d’une mauvaise appréciation de la situation politique actuelle.
En abandonnant ce symbole le Front National donnerait l’impression, non pas d’évoluer, mais de se renier sous la pression de résultats électoraux considérés comme mauvais. Ce serait un message mortifère envoyé à ses électeurs. Que le parti recherche une meilleure cohérence idéologique c’est naturel, qu’il abandonne en rase campagne certains de ses marqueurs et il subira le destin des partis qui à force de reniements et de honte de ce qu’ils sont disparaissent sans laisser de trace.
On parle également d’un changement de nom, mesure souvent évoquée mais jamais réalisée. Changer de nom suffira-t-il au Front national pour devenir crédible? N’est-ce pas un simple toilettage?
Le Front national devrait demander aux Républicains si un changement de nom et de logo suffit pour devenir crédible et remporter des élections.
Plus sérieusement il est évident que de simples artifices de communication ne suffiront pas à crédibiliser ce parti surtout après le débat désastreux d’entre deux tours de Marine Le Pen qui était, pour le coup, une véritable opportunité d’être crédible.
Si le nom Front National disparaît, le nom Le Pen devra disparaître avec lui car il est le premier des repoussoirs pour les électeurs d’autres partis, notamment à droite. N’oublions pas qu’Emmanuel Macron n’a été choisi au deuxième tour que pour empêcher Marine Le Pen de l’emporter, comme Jacques Chirac en 2002 avant lui face à Jean-Marie.
En écho à mon propos introductif, depuis 2002, la droite française de gouvernement a changé de nom deux fois et a perdu deux élections présidentielles en ne cessant de rétrécir sa base électorale. Conclusion si on ne fait que changer que la devanture et rien dans le magasin cela ne sert à rien, on ne change pas les rayures du zèbre.
La guerre interne fait toujours rage au sein du parti et Florian Philippot s’est dit inflexible sur la question de l’euro, dont il veut sortir. La crise interne ne va-t-elle pas au-delà de ce point précis? Y a-t-il véritablement «deux lignes» au sein du FN?
S’il existait deux lignes du temps de la scission Le Pen – Mégret au sein du Front National, il apparaît qu’actuellement les lignes se confondent avec les personnes et qu’est ouverte une chasse «au Philippot et à ses amis». Ceux-ci payant le fait de considérer qu’une vie politique est possible en dehors du parti et pour certain de manquer de légitimité historiques. A entendre certains, on oublierait presque que c’est la stratégie Philippot ou du moins présentée comme telle qui a permis Marine Le Pen d’en être là où elle est. «La malédiction des numéros deux du FN» aurait-elle encore frappée pour prendre le mot de David Desgouilles dans son interview de Sophie Montel pour Causeur ?
Cet entretien éclairant montre que le FN vit une crise de croissance où Marine Le Pen croit devoir faire preuve d’autorité quitte à couper des têtes trop rapidement et ainsi pouvoir désigner à la vindicte partisane des responsables de son échec à la présidentielle autres qu’elle.
Il n’y a pas deux lignes au sein du FN, il y a deux camps et l’un est en train de prendre le pas sur l’autre avec l’aide d’un chef qui semble toujours sonné par son débat raté face à Emmanuel Macron et surtout dans l’incapacité de donner un cap pour les 5 années à venir à son parti.
Alors que Les Républicains ont du mal à se relever d’une présidentielle douloureuse, tout semble à reconstruire à droite. Le FN, s’il opère une mue efficace, peut-il devenir la principale force de droite du pays?
Certains vous diraient qu’aujourd’hui la principale force de droite du pays s’appelle La République En Marche, que les Républicains, incapables de se différencier sur le fond, perdent chaque jour un peu plus leur raison d’exister mais aussi que le Front national est finalement plus proche de la France insoumise que d’un parti de droite libéral – conservateur.
Ce n’est donc pas la droite qu’il convient de reconstruire, elle est au pouvoir. Ce qu’il faut bâtir, en reprenant le raisonnement de Morelle, c’est le camp du Non, souverainiste, républicain, euroréaliste et patriote. Mais dans cette entreprise, le Front national, croquemitaine du système, constitue le premier obstacle. Il n’est pas question d’une simple mue mais d’une refondation entière d’un pan politique de la France.
La victoire d’Emmanuel Macron est une merveille tactique pour le camp du Oui mais aussi une bénédiction politique pour le camp du Non qui a enfin la chance d’avoir en face un adversaire unifié et digne de ce nom. En rassemblant autour de lui les talents du Oui Emmanuel Macron a mis fin aux oppositions de postures et a donné vie à l’UMPS si décrié par le FN, l’appelant LREM. Le diagnostic du Front national sur les partis de gouvernement interchangeable s’est retrouvé validé par le nouveau Président qui a ainsi enlevé l’un des meilleurs arguments au FN en exposant ce parti pour ce qu’il est: une organisation politique totalement incapable d’exercer le pouvoir.
En guise de devoir de vacances le Front National pourrait se pencher sur cette question essentielle pour la vie démocratique de notre pays: «dois-je disparaitre pour permettre à une véritable opposition de naître?».
Espérons que les chaleurs de l’été porteront conseil.
Source : «Si le nom Front national disparaît, le nom Le Pen devra disparaître avec lui»