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Par Alexandre Devecchio et Etienne Campion

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Selon l’éditorialiste Nicolas Domenach, Emmanuel Macron peut profiter du grand débat et de l’absence de rival pour rebondir. Pour l’essayiste Barbara Lefebvre, le chef de l’Etat est en train d’affaiblir les «gilets jaunes» et l’opposition sans répondre au sujet de fond: l’insécurité économique et culturelle.

Nicolas Domenach, dans Le Tueur et le Poète, votre coauteur Maurice Szafran explique qu’il croyait dès le départ à l’élection d’Emmanuel Macron, contrairement à vous. Avec le recul, ne pensez-vous pas avoir eu raison? Son élection était-elle finalement un grand malentendu?

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Nicolas DOMENACH – Je crois que Maurice Szafran avait profondément perçu l’écroulement de la social-démocratie et de la droite républicaine, beaucoup plus que moi qui étais trop au contact du «soleil», c’est-à-dire du président de la République François Hollande et de ceux qui préparaient sa candidature. Ce que Maurice Szafran avait bien perçu également tenait du besoin d’une régénérescence de la monarchie républicaine et de la société française. Macron avait réfléchi à ce besoin d’incarnation que ressentait le peuple français en parlant de l’«imaginaire français», et en repérant que le ciel était vide depuis Sarkozy, de même qu’il avait perçu le tragique de la période et les fractures qu’il fallait combler. Le mystère? Il n’a pas su jusque-là réparer ces fractures…

Barbara LEFEBVRE – L’élection de Macron s’est faite sur une triple méprise. D’abord la menace fasciste au second tour, or étions-nous à un point de dangerosité correspondant à la «peste brune»? Ensuite, le «nouveau monde» promis n’est pas là: sauf à considérer que la «révolution», c’était l’avènement d’un pouvoir ultratechnocratique. Enfin, beaucoup ont voulu voir en Emmanuel Macron un fin «économiste» alors qu’il n’est qu’un banquier d’affaires, donc un bon négociateur de contrats, rien de plus. On a fait croire aux électeurs qu’en élisant un jeune président «expert», prétendant faire table rase d’un vieux système politicien, on allait rénover la France. Aujourd’hui, on voit la fragilité de l’ensemble, ça navigue à vue.

Macron était-il un candidat «antisystème», comme vous l’écrivez dans votre livre, Nicolas Domenach, ou au contraire l’ultime cartouche du «système»?

Nicolas DOMENACH– Il y a des éléments de sa vie qui le situent en dehors. Il n’a pas accompli le parcours du combattant présidentiel classique. Il a refusé les offres électorales de gauche et les places à droite. Il a choisi un chemin hors normes. Il a quand même inventé quelque chose. L’ado de 15 ans qui, par amour pour une adulte, va contre la bourgeoisie locale et brise les codes était aussi hors système. Cependant il a, malgré tout, les codes des technocrates de Bercy, et il n’a pas fait la rupture révolutionnaire à laquelle il prétendait dans son livre.

«Je ne vois pas du tout où est la rupture antisystème. Macron est l’homme d’une oligarchie, d’un réseau de pouvoir comme il y en a toujours autour des gouvernants»Barbara Lefebvre

Barbara LEFEBVRE – En effet, les hauts fonctionnaires gouvernent malgré les ministres «experts». LREM, c’est l’auberge espagnole, des gens de gauche, de droite, et les novices en politique lui doivent tout, ils sont hypnotisés. Je ne vois pas du tout, à ce titre, où est la rupture antisystème. Il a simplement renouvelé les règles de l’étiquette et le profil des courtisans…

Emmanuel Macron est l’homme d’une oligarchie, d’un réseau de pouvoir comme il y en a toujours autour des gouvernants. Cela ne signifie en rien qu’il est leur marionnette, néanmoins il a intégré ce milieu-là où n’existent ni droite ni gauche. Cela n’a aucune importance au regard du besoin de puissance. Et l’argent, c’est le nerf de la guerre en politique. Finalement, Macron est un bourgeois de province transgressif, très balzacien, fasciné par ce monde-là depuis son arrivée à Paris.

Nicolas DOMENACH – Il n’est pas l’otage des puissances d’argent. S’il a l’étiquette de président des riches, c’est parce qu’il y avait une surface adhésive… Mais son but n’est pas de faire de l’argent comme Sarkozy. L’interrogation tient à sa conception trop libérale classique du ruissellement, du premier de cordée, titre d’un roman dont la suite est La Grande Crevasse.

Barbara LEFEBVRE – Un court instant, face aux «gilets jaunes», le Président a semblé prendre la mesure des enjeux mais il est vite retombé dans ses vieux travers: il sature l’espace, il sature la parole, il prive les Français de l’expression qu’il disait leur accorder. Le grand débat aurait dû être un moment collectif. Au lieu de cela, on a cinq ou six heures de Macron show en direct par jour. Si la Commission nationale du débat public l’avait organisé, aurait-on autant entendu le président? Pour moi, cet envahissement médiatique relève de la propagande d’Etat.

Nicolas DOMENACH– Vous ne pouvez pas dire cela! Ce sont des chaînes privées qui font le spectacle. C’est le spectacle qui domine!

Barbara LEFEBVRE – Le Président peut très bien répondre aux maires ou aux citoyens à huis clos. Les journalistes de la presse écrite locale et nationale feraient leur job en rapportant les échanges avec un regard critique. Alors que là, il n’y a aucun filtre, c’est le «pouvoir icônomique» comme dit Maffesoli. L’image en continu et la fausse transparence de la com’.

«L’affaire Benalla, c’est une affaire d’incompétence avec un mariole au milieu des branquignols»Nicolas Domenach

Il y avait une volonté de renouveler et de moraliser la vie politique. L’affaire Benalla ne jette-t-elle pas un voile là-dessus?

Nicolas DOMENACH– Je ne crois pas que ce soit une affaire morale, je crois que c’est une affaire d’incompétence avec un mariole au milieu des branquignols, d’un individu qui joue un trop grand rôle dans une équipe qui n’a pas mis de coupe-feu. Ils se sont conduits comme des gosses arrogants. L’ivresse des hauteurs ne fait plus toucher terre…

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Barbara LEFEBVRE – On en a connu, des vraies affaires d’Etat sous Mitterrand, Chirac ou Sarkozy! Mais le problème, c’est la gestion calamiteuse de l’affaire Benalla. Et je n’arrive toujours pas à comprendre le manque de vigilance et de lucidité du cercle des conseillers autour du Président. Je suis sidérée que, sur une affaire au fond peu grave, ils aient été si nuls en gestion de crise. Cet amateurisme est inquiétant. Le «Qu’ils viennent me chercher!» était d’un ridicule accompli. Je pense que la posture du Président, et donc de sa majorité godillot, a beaucoup envenimé l’affaire Benalla.

N’est-il pas trop jeune pour exercer la fonction?

Barbara LEFEBVRE – L’apprentissage de la prudence et de la sagesse comptent. Nos rois étaient souvent jeunes en accédant au pouvoir mais ils observaient leurs mères régentes, écoutaient leurs ministres-conseillers. Peut-être manquait-il un Mazarin ou un Richelieu à Macron! Son problème, c’est que son Richelieu, c’était François Hollande…

Nicolas DOMENACH – Il faut toujours compter l’âge du capitaine et l’âge de l’équipage. Les deux doivent s’équilibrer en politique. Je pense donc que ce qui compte n’est pas l’âge du capitaine, mais plutôt qu’il fallait l’entourer de gens ayant roulé leur bosse, de vieilles canailles, des types dont le boulot est de dire quand on déconne, or il y a seulement des jeunes qui croient que tout va vite.

«Le Président devrait se garder de galvauder la notion d’Etat-nation pour en faire un fourre-tout au service de son européisme. L’avenir, c’est l’Etat-nation !»Barbara Lefebvre

A l’heure des «populismes» et de Donald Trump, n’incarne-t-il pas le vieux monde?

Barbara LEFEBVRE – Emmanuel Macron est isolé en Europe comme à l’échelle internationale. Tous les acteurs de poids sont des Etats-nations au sens fort du terme, des Etats souverains… S’arc-bouter en disant qu’on est «le camp du bien», celui du progressisme, ne nous conduira pas bien loin. Les souverainistes aussi sont pour le progrès, sauf qu’ils veulent réinterroger ce concept pour le mettre au service du collectif national. Le Président devrait se garder de galvauder la notion d’Etat-nation pour en faire un fourre-tout au service de son européisme. L’avenir, c’est l’Etat-nation!

Nicolas DOMENACH – La guerre économique avec les géants que sont la Chine et les Etats-Unis condamne les Etats-nations microscopiques. On ne fait pas le poids! D’ailleurs, est-ce qu’Orbán a quitté l’Europe? Non. Les Italiens veulent-ils un Itaxit? Non. Pire encore, ils vont à Bruxelles se coucher. Regardez les sondages: les peuples ne veulent pas sortir de l’Union européenne et de l’euro. Et il faudra qu’on m’explique un jour pourquoi les souverainistes, qui étaient majoritaires lors du référendum de 2005, n’ont pas su transformer leur majorité d’un temps. Pourquoi ce mouvement n’a-t-il jamais pris corps?

Barbara LEFEBVRE – Mais les Etats-nations peuvent parfaitement faire des alliances économiques! Des entreprises étrangères peuvent s’unir pour être plus fortes sur leur segment. La CEE fonctionnait avec les Etats-nations disposant d’une souveraineté économique, politique et de frontières. Cet espace économique du Marché commun, il fallait le renforcer sans céder sur la souveraineté politique. En outre, la libre concurrence effrénée et le dumping social produits par Maastricht et les traités suivants ont tué le projet européen. On doit coopérer entre alliés européens, mais pas diluer notre souveraineté dans le magma technocratique européen. Emmanuel Macron n’est pas clair sur cela.

Comment analysez-vous la crise des «gilets jaunes»? Comment Macron la gère-t-il, selon vous?

Nicolas DOMENACH – Il y a de multiples raisons à cela, déjà évoquées: fractures politiques, sociales, territoriales… J’en rajouterais une à laquelle je tiens. Depuis toujours il y a un devoir de noblesse à l’égard des gens d’en bas, et aujourd’hui, ce devoir de noblesse des gens d’en haut à l’égard des gens d’en bas a été bafoué.

Barbara LEFEBVRE – Quand le mouvement est apparu, c’était un élan citoyen profond. Hélas, il s’érode. L’absence de culture politique au sein de ce mouvement en révèle les limites. Il n’y a pas de structuration intellectuelle, c’est la foire des «moi je veux», «moi j’ai le droit». La politique du guichet de l’Etat providence, en somme. Et on commence aussi à entendre la petite musique victimaire qui personnellement me hérisse. Le Président est en train de les affaiblir mais sans répondre au sujet de fond: l’insécurité économique et culturelle. Cela pourrait mal finir car le malaise est ancien et profond.

Nicolas DOMENACH– Il faut en effet savoir pourquoi ce mouvement n’a pas réussi à se structurer politiquement. Il n’y a pas de pensée de l’autre, ils n’ont pas réussi à coaliser les étudiants, les fonctionnaires, les banlieusards…

Barbara LEFEBVRE – Ils ont tourné en rond sur les réseaux sociaux, là où toutes les paroles se valent. Hébert et ses Enragés auraient adoré Twitter! Certaines revendications sont nobles et justes, d’autres terrifiantes. Mais tout se vaut, c’est le monde liquide. Les réseaux sociaux nous montrent que nous allons vers une société de tribus. Mais, entre la tribu et l’empire, qui ne sont pas des modèles viables, il y a la nation.

«Au-delà du «débat» libérateur psychanalytiquement et théâtralement, il y a quelque chose qui se construit et qui s’articule en faveur de Macron. Surtout qu’aucun rival ne se dresse»Nicolas Domenach

Le grand débat peut-il lui permettre de rebondir?

Nicolas DOMENACH– Il a déjà rebondi. Au-delà du «débat» libérateur psychanalytiquement et théâtralement, il y a quelque chose qui se construit et qui s’articule en sa faveur. Surtout qu’aucun rival ne se dresse.

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Barbara LEFEBVRE – On verra le rebond après le grand débat. Il fait de belles figures, de jolies arabesques mais quid des réponses concrètes? Si Macron compte encore s’en sortir par défaut, grâce à l’absence d’une opposition structurée intelligente, c’est une erreur politique. Mélenchon et Le Pen servent de chiffon rouge qu’on agite pour détourner l’attention. Et les deux jouent le jeu car ils sont dans la lumière. Ils peuvent lui dire «Merci pour ce moment!». Les autres forces d’opposition doivent se réveiller, se forger de nouvelles colonnes vertébrales idéologiques au lieu de la com’ et du ressassement de vieilles lunes politiciennes. Si, en 2022, Emmanuel Macron était réélu par défaut avec une abstention record, cela serait extrêmement dangereux pour le pays. Un désastre démocratique pourrait en résulter.  La rédaction vous conseille :



Alexandre Devecchio

Journaliste au Figaro et au FigaroMagazine en charge du FigaroVox. Me suivre sur Twitter : @AlexDevecchio

Source: ©Nicolas Domenach et Barbara Lefebvre: Macron, le sursaut ou la chute?

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