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CHRONIQUE – Cette séquence politique marque la victoire du renouveau sans risque, de l’éviction des élites politiques pour mieux préserver les élites économiques. Rien à voir avec un réveil démocratique de la Nation tout entière.

C’est le principe du raisonnement par l’absurde: décliner les conséquences logiques d’une proposition pour en démontrer le caractère aberrant et donc l’invalider. Par exemple, un scrutin majoritaire uninominal en période de défiance du peuple envers les institutions et les partis, qui aboutirait à ce que 15% des inscrits disposent de plus de 75% des sièges à l’Assemblée nationale. Absurde, en effet. C’est pourtant le visage de notre démocratie. Une question s’impose: ce que nous appelons démocratie ne serait-il pas devenu le sympathique habillage d’une forme de despotisme plus ou moins consenti? Certes, il nous est rappelé tous les matins par des médias soucieux de nous montrer le droit chemin que nous avons la chance infinie de ne pas vivre en dictature et qu’il nous faut donc applaudir à ce système qui garantit si bien nos libertés et droits fondamentaux.

«Nous savons depuis Tocqueville que des institutions, si équilibrées soient-elles, ne sauraient définir à elles seules un régime démocratique. La démocratie est une pratique»

Offrons-nous le frisson de quelques minutes hors des chemins balisés de la communion obligatoire. La démocratie serait donc une affaire d’institutions, et les nôtres joueraient bon an mal an leur rôle: exprimer la volonté du peuple. Qui peut écouter sans rire Benjamin Griveaux, porte-parole d’En marche! expliquer qu’il n’y a aucun problème et que la démocratie consiste à ne se soucier que des votes exprimés (ou des survivants LR et PS se scandaliser d’un système qu’ils défendaient quand il les maintenait au pouvoir malgré une assise électorale de plus en plus restreinte)? Les institutions ne sont qu’un outil, l’architecture permettant de traduire, dans une loi fondamentale qui tient compte de l’histoire et de la culture politique de chaque peuple, ses aspirations et ses choix. Celles de la Ve République ont visiblement atteint leurs limites.

Mais nous savons depuis Tocqueville que des institutions, si équilibrées soient-elles, ne sauraient définir à elles seules un régime démocratique. La démocratie est une pratique. Élire tous les cinq ans le prince pour mieux se rendormir une fois qu’il est acquis, couvertures de magazines à l’appui, qu’il marche sur les eaux, n’a que peu à voir avec cela. C’est bien le paradoxe de ce moment politique. La promesse du jeune prodige était un renouveau démocratique par la libération des énergies individuelles. Une forme de libéralisme tocquevillien qui prétendait rompre avec les pesanteurs de la sphère administrative pour rendre aux hommes la liberté dans les «petites affaire», seul vaccin contre le despotisme. Ainsi a-t-on vu ces «marcheurs» exaltés retrouver l’envie de participer à la chose publique et se porter candidats pour renouveler des élites sclérosées. Bouleversant.

Ouragan jupitérien

Hélas, le bel élan démocratique n’a fait que nourrir l’ouragan jupitérien. Pourquoi? Parce que la démocratie est avant tout un état social. Et parce que cette séquence politique a marqué la victoire du renouveau sans risque, de l’éviction des élites politiques pour mieux préserver les élites économiques. Rien à voir avec un réveil démocratique de la Nation tout entière.

«La part des citoyens que leur statut social protège des ravages du libre-échange consentira à bien des abandons pour préserver sa tranquillité»

Dans une société fondée sur le bien-être et l’extension indéfinie du domaine de la consommation, la plus grande peur est de perdre le peu que l’on a. La part des citoyens que leur statut social protège des ravages du libre-échange (désindustrialisation, destruction des structures traditionnelles…) consentira à bien des abandons pour préserver sa tranquillité. Surtout si, par ce choix, le miroir médiatique lui renvoie l’image valorisante de la modernité et de la résistance au populisme.

Une société authentiquement démocratique n’a rien à voir. Elle repose sur des institutions équilibrées, dans lesquelles le législatif ne serait pas inféodé à l’exécutif, sur l’articulation entre l’expression du peuple et le poids des corps intermédiaires. Elle repose surtout sur la reconquête par les individus de leur autonomie, la possibilité de maîtriser leur vie sans dépendre d’un système imposé ou d’une puissance extérieure. Elle repose sur l’idée que tout abandon de souveraineté individuelle et collective doit être consenti. En ce sens, une société où les paysans dépendent de quatre multinationales pour obtenir des semences n’est pas démocratique. Une société où l’attention des individus devient une richesse vendue par des fournisseurs Internet contre des espaces publicitaires n’est pas démocratique. Une société dans laquelle 25 % des enfants de 10 ans ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux n’est pas démocratique. Une société où les citoyens ont abandonné tout espoir de maîtriser leur destin collectif et de modifier un système économique qu’ils jugent injuste, au point de cesser de voter, n’est pas démocratique.

Ce n’est pas seulement une réforme institutionnelle qui renversera le despotisme mou, c’est une révolution économique et culturelle partant, non pas des sphères jupitériennes, mais de la base, c’est-à-dire de chacun de nous.

Source :© Le Figaro Premium – Natacha Polony: «Du bon usage de la démocratie»

0 Comments

  • jean dufour
    Posted juin 18, 2017 22h49 0Likes

    Qui possède les média possède le pouvoir; l’illettrisme entretenu fait le reste.
    Le web reste une tribune pour les contestataires, il doit s’attendre à une purge.
    Dormez braves gens on s’occupe de tout.

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