CHRONIQUE – La bougeotte réformatrice et l’agitation permanente d’Emmanuel Macron au 13h de TF1 dissimulent mal un triste constat : la politique mise en oeuvre est la même qu’on sert au peuple depuis des décennies.
Il n’était plus question de «pensée complexe» ni de mots précieux. On avait remisé les concepts philosophiques, habituellement lancés comme autant de leurres pour mieux sembler couvrir le champ intellectuel de l’adversaire. Emmanuel Macron se voulait pédagogue et enveloppant, égrenant pour ces Français qu’il était venu chercher jusqu’au cœur de leur monde les messages censés les convaincre qu’un véritable chef les guide vers des lendemains qui chantent. «J’irai jusqu’au bout», mais avec empathie… Certes, mais au bout de quoi?
L’objet de cet exercice de communication était, selon l’expression si chère aux communicants, de «donner du sens», de «mettre en perspective», de convaincre ces classes populaires si rétives que la politique menée suit une logique cohérente qu’on ne saurait résumer au qualificatif ravageur de «président des riches». Alors, quel est cet horizon que les plus modestes ne pouvaient distinguer avant que Jupiter n’écartât la brume d’ignorance qui le voilait?
À vrai dire, ce n’est pas qu’ils aient mauvais esprit, les pauvres, mais avec tous les efforts du monde, ils auront encore du mal à percevoir autre chose que la continuité absolue de ce qu’on leur propose depuis des décennies. Et pour cause: le président lui-même n’a cessé de répéter durant cet entretien que «depuis vingt ans, on sait que…», «depuis trente ans, tout le monde est d’accord pour…». La seule différence, donc, avec ses prédécesseurs, c’est la volonté de dépasser les réticences des classes populaires. D’ailleurs, quiconque ne partage pas ce projet est un homme du passé, un ringard, puisque «depuis vingt ans on sait que…». Nous ne sommes pas face à des choix politiques orientés en fonction des intérêts et des valeurs que chacun décide de privilégier, il n’y a qu’une vérité que les gens raisonnables connaissent.
Mais il est un leitmotiv qui rend compte, plus encore, de la vision macronienne du politique. Car l’explication ultime dont nous a gratifiés notre président pédagogue, celle qui est censée justifier les choix douloureux qu’il impose, est revenue comme une ritournelle au long de l’entretien. «Le monde bouge», «le monde accélère», «le monde change». Toutes les déclinaisons y sont passées. Là non plus, il n’est pas question de choix, de politique, ni finalement de démocratie. Nous sommes dans l’ordre des lois naturelles. Les organismes qui ne s’adaptent pas mourront. Mais à quoi sommes-nous sommés de nous adapter? Nul ne le saura. Au «monde» qui «accélère». Pour aller où? Peu importe. Que ce soit vers le gouffre, vers un mur planté devant nous, vers la destruction de tout ce que notre civilisation a porté de progrès humains, il ne s’agirait pas de se laisser dépasser. Il faut être compétitif. On prenait ce président pour Jupiter, il se vit comme un amphibien menacé d’extinction par la sélection darwinienne.
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Emmanuel Macron a plusieurs fois employé l’image d’une maison dont il ne faudrait pas poser les murs sans avoir consolidé les fondations. Il a précisé que son objectif était de préparer le «progrès des cinquante prochaines années». L’ambitieux réformateur considère que la France a conservé le mode d’organisation issu de l’après-guerre, dans un monde qui n’a plus rien à voir. Ce qui n’est pas faux. À ceci près qu’il voit dans ce changement un produit des lois naturelles quand il est l’application d’une idéologie, celle de la dérégulation et du libre-échange imposés depuis la fin des années 1970. Mais notre président oublie que la principale caractéristique du programme du CNR ou des réformes gaulliennes de 1958 n’est pas à chercher dans leur dimension technique, dans le compromis entre syndicats et partis politiques, mais dans le fait qu’ils étaient le reflet, non d’une supposée loi naturelle, mais du choix délibéré de promouvoir souverainement certaines valeurs d’égalité, de solidarité, en continuité de la civilisation française.
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C’est d’avoir oublié cela qu’Emmanuel Macron s’est pris les pieds dans ses formules si bien ciselées. «Président des riches? Mais les riches n’ont pas besoin de président, eux, ils se débrouillent. Je suis le président de tous les Français.» Cette phrase a fait l’objet d’un contresens plus ou moins sincère. Emmanuel Macron ne prétendait pas que les pauvres ont besoin d’assistance quand les riches, eux, sont des adultes. Il voulait sans doute faire référence à cette sécession des élites mondiales qui les a détachées des intérêts des nations et des peuples. C’est oublier que ces élites ont besoin, pour «se débrouiller», de lois qui leur soient favorables – cette fameuse dérégulation, cette mise en concurrence des espaces économiques – et qu’elles savent très bien reconnaître les hommes politiques qui leur serviront ce genre de plat.
Bon sens populaire
La sociologie du vote en faveur d’Emmanuel Macron et la ferveur dont il a été l’objet dans certains milieux nous le prouvent assez. Au sortir de cet entretien, la fleuriste de Berd’huis, prénommée Maryse, a interrogé le président: «Savez-vous ce qui fait la différence entre un désert et un jardin? Ce n’est pas l’eau, c’est l’homme.» Une fleuriste de l’Orne sait parfois mieux qu’un président ce qui doit guider nos choix politiques.
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Source:© Natacha Polony : «Macron ou les leurres du bougisme»