En opposant un mépris suffisant aux légitimes aspirations corses d’une démocratie plus proche du peuple, Emmanuel Macron est passé à côté de l’Histoire.
On attendait de Gaulle, il n’y eut que Guy Mollet. De toute évidence, Emmanuel Macron n’a pas compris les Corses et ne sait pas ce qui s’est passé là. Les conditions semblaient pourtant réunies pour inventer autre chose que les postures qui prévalaient de part et d’autre depuis des décennies. Une lassitude, certes, mais aussi une espérance. L’horreur unanime provoquée par l’ignoble assassinat du préfet Érignac a décrédibilisé toute violence et permis l’émergence d’un mouvement autonomiste libéré de la pression des terroristes et des mafieux. Et les vingt ans passés ont totalement déplacé le débat. Les élections territoriales ont traduit une aspiration. Celle d’une large majorité du peuple à voir la démocratie se rapprocher des citoyens et leur offrir, face aux bouleversements civilisationnels qui gagnent la société corse – qui ont nom consumérisme, destruction des liens de solidarité traditionnels – la possibilité de reprendre en main leur destin. Mais une telle aspiration ne sert visiblement pas les intérêts jupitériens.
On pouvait attendre, dans une forme d’équilibre après les accents de fermeté républicaine de l’hommage à Claude Érignac, un discours présidentiel posant les bases de ce «pacte girondin» promis pendant la campagne présidentielle. Il n’en fut rien. Emmanuel Macron choisit le ton professoral du grand civilisateur venu, tel Jules Ferry, rappeler les règles à des peuplades rétives. Il se paya même le luxe de les tancer sur leurs choix électoraux du mois de mai. Les 48,5 % pour Marine Le Pen: cela valait un petit sermon. Et pour l’occasion, le Président raviva ces oppositions binaires par lesquelles il assigne généralement ses opposants au camp du mal. «ouverture» contre «fermeture» et apologie du «métissage»: ainsi résumée, la question corse a le mérite de la simplicité. Rarement aura-t-on vu plus grand mépris d’un président pour une part du peuple qu’il est censé représenter. Sans doute lui fallait-il se racheter une virilité après les accusations de faiblesse sur le dossier Notre-Dame-des-Landes. Les Corses sont moins populaires que les zadistes.
Rappelons donc quelques réalités historiques: bien que propriété de la république de Gênes, la Corse constitua une nation souveraine, avec constitution, diplomatie et monnaie, de 1755 à 1769, sous l’autorité de Pascal Paoli, humaniste déclaré, adulé par Jean-Jacques Rousseau, disciple de Montesquieu et inspirateur de la première constitution des États-Unis d’Amérique. Vendue pour 2 millions de livres par Gênes à Choiseul en 1768, l’île fut conquise militairement par les troupes françaises en 1769 après une résistance acharnée de l’armée corse. Voilà qui ne remet pas en cause l’appartenance de la Corse à la République, mais interdit de faire comme si Corse, Essonne ou Lozère étaient interchangeables.
«Il était possible de refuser toutes les demandes des nationalistes, tout en servant la France»
Plus encore, il faut se souvenir que, le 12 avril 1991, Pierre Joxe, Michel Rocard et François Mitterrand faisaient voter par le parlement un statut qui reconnaissait le «peuple corse, composante du peuple français». La mention fut retoquée par le Conseil constitutionnel, mais le juridique ne peut effacer la validation par l’exécutif et le législatif de cette idée d’un peuple corse. Un peuple qui n’aspire pas à l’indépendance ni au «repli», n’en déplaise à Emmanuel Macron, mais à la préservation de ses spécificités.
Il était possible de refuser toutes les demandes des nationalistes, tout en servant la France. Refuser l’amnistie tout en rapprochant certains prisonniers, refuser la co-officialité de la langue corse tout en posant les bases d’un travail de préservation des langues historiques de la France, refuser le statut de résident tout en reconnaissant partout en France le droit à vivre et travailler au pays, qui doit inciter à penser une régulation du marché immobilier. Il eût fallu pour cela mener une véritable réflexion sur les aspirations démocratiques qui pointent, un peu partout, sur ce besoin de s’appuyer sur le local pour mieux partager des valeurs universelles et résister à une globalisation fondée sur l’éradication de tout ce qui contrevient au marché, cette globalisation que le Président préféra vanter aux Corses dans un étonnant mélange de néolibéralisme naïvement moderniste et d’autoritarisme archaïquement crispé.
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Dans ce ratage historique dont la pire conséquence serait de fragiliser, à travers Gilles Simeoni, ceux qui croient en une Corse apaisée dans une France une et diverse, est apparu le vrai visage du macronisme. Un «en même temps» qui n’est qu’un art d’avancer masqué, plutôt qu’une pensée dialectique capable d’intégrer ce que des adversaires politiques peuvent apporter d’intelligence et de lucidité. Ou comment passer à côté de l’Histoire. Car à travers la Corse, c’est la France qui sera privée d’une réflexion pourtant nécessaire sur son identité, et de ses moyens de perdurer face à une globalisation qui détruit toute mémoire pour nous changer en individus consommateurs.
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Source:© Natacha Polony : «Macron, le côté obscur de la Corse»
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Dominique Martelli
Bonjour chère consoeur. Votre article détone, sans mauvais jeu de mot, par rapport à ce que l’on lit fréquemment. C’est à votre honneur de vous donner la peine de nous comprendre. Cependant, au sens strict de l’appartenance, la France ne comprend pas vraiment la Corse. Si c’était le cas, l’histoire de France enseignée dans les écoles rappellerait que, du temps où elle était encore un royaume, sa première expérience républicaine est née dans un de ses départements, la Corse. Plus récemment j’ai appris par la presse que mon regretté père, qui était un terroriste au sens ordinaire, avait libéré sa propre terre en 1943 mais que le premier département français libéré autait été la Normandie, en juin 1944. Au demeurant, celà n’empêcha pas mon père de débarquer avec les américains pour les aider à libérer l’hexagone. Cette incompréhension de la Corse ne doit rien au hasard, et, comme vous le dites si bien, les émules de Jules Ferry continuent de penser que le territoire de la Gaule s’est étendu jusqu’à Tamanrasset. De telles inepties historiques et culturelles sont à la racine du déclin actuel de la France. Son colonialisme intérieur à fini par dissoudre ses identités régionales historiques en les fusionnant administrativement. Les petites patries chères aux romains ne font plus partie du paysage français.
La résignation et l’apathie des régions françaises, à ce sujet, n’ont pas gagné la Corse. L’histoire a ancré sur notre terre et dans nos coeurs un profond esprit de résistance à l’injustice. En 1943, nos pères ont protégé les juifs, qui sont nos frères, et pratiqué une violence politique dont on nous dit aujourd’hui qu’elle serait illégitime par essence. Nourrir la pensée de contradictions violentes ne peut que nous désorienter davantage, surtout si l’on admet que les pires violences ne sont pas toujours physiques. La France ne s’est pas débarassée de son fardeau colonial, au point que celui-ci lui revient violemment par un peu surprenant coup de balancier de l’histoire. Elle choisit la fuite en avant en préférant une diversité malheureuse et acculturée à celle des peuples qui l’ont constituée à l’origine. Les corses semblent avoir décidé de laisser la France seule face à ses contradictions et à ses difficultés pour maintenir la cohérence de son ciment national.
Chez nous, quand un récit devient trop long, on dit “e fune longhe diventanu serpi”, les longues cordes deviennent des serpents. Je vais donc vous épargner davantage de lecture, si vous avez eu le courage de me suivre jusqu’ici. Je veux, néanmoins attirer votre attention sur un point que vous semblez ignorer. Il est vrai que la presse française ne s’en est pas faite l’écho. La violence politique n’a pas cessé à la suite d’un simple rejet populaire mais du fait qd’un choix politique délibéré. Certaines dérives graves que vous avez évoquées sont bien de nature terroriste car le sang a malheureusement coulé, mais pour l’essentiel ce que l’on englobe dans le terme de terrorisme corse est constitué de destruction d’édifices sans réelle intention de tuer. L’Algérie des années 60 et la France des années 2000 ont donné au mot terrorisme une connotation liée à une férocité effrayante et bien différente. Vous qui aimez les mots me vomprenez. La Corse vous semble-t-elle aussi effrayante?
Des violences physiques extrêmes ont bien eu lieu en Corse. Elles ont même fait craindre une guerre civile inexpiable. Puis les hostilités entre corses ont mystérieusement cessé. Pour ma part, j’y vois l’action du bon génie de notre peuple. Un groupe de vieux militants respectés par toutes les factions en lutte s’est constitué et s’est approché des familles endeuillées pour leur faire entendre la voix de la raison. En substance le message était celui-ci: “votre enfant, votre frère, est mort du fait d’une lutte fratricide absurde. Nous ne vous demandons pas de pardonner à ses assassins mais de réfléchir à une chose. Si vous considérez que le sang appelle le sang, beaucoup d’autres mères vont pleurer leurs enfants, ressentir la peine que vous ressentez aujourd’hui. Est-ce vraiment ce que vous voulez? Vous seuls pouvez arrêter cette spirale infernale”.
Pensez-vous toujours que les hostilités aient pu cesser d’elles-même, que la violence politique ait cessé par lassitude? Ce n’est pas le cas, et il faut tout faire pour qu’elle ne revienne pas.
Tante salute à Voi, o Madama Polony.
Pierucci Antoine
Merci, merci merci! Quel billet parfait!
jacques nicolai
Quelle lucidité! La prof est terrible avec l’élève Macron. Interdisons lui de redoubler.
Bouland jean jacques
merci pour ce commentaire ,si juste
francis
Salut Natacha,je suis flamand
d’origine en corse depuis 30 ans , observateur inexpérimenté
de la prose journalistique mais…je salue votre honnêteté
et votre analyse perspicace qui
tranche fortement avec l’esprit
habituellement très critique de la sphère parisienne !
Merci pour la corse ,qui mérite
mieux que macron….
francis vaneck
Sammarcelli
Merci et… Continuez
Heimatrechtler
…et pourquoi faudrait-il récuser aux Corses leur droit primordial à la coofficialité de leur propre langue sur leur propre territoire ??? Quel Français oserait s’opposer au droit inaliénable des dialectophones Québécois et des patoisants Acadien à la coofficialité de leur langue régionale francophone au Canada et même à son officialité exclusive dans la province particulariste du Québec ? Quel Français s’opposerait à la coofficialité de la langue minoritaire française en Belgique (Wallonie), en Suisse (Romandie) ou en Italie (Val d’Aoste) ? C’est curieux, lorsqu’il s’agit de minorités régionales francophones à l’étranger, le discours de nos jacobins tricolores n’est plus du tout le même… Imposer l’usage et l’hégémonie de la langue anglaise aux Québécois et aux Acadiens relèverait de “l’impérialisme anglo-saxon”, tandis qu’imposer l’usage et l’hégémonie du français aux Corses, aux Bretons, aux Catalans, aux Basques, aux Occitans, aux Flamands ou aux Alsaciens-Mosellans relèverait de “l’égalité républicaine” et du “vivre ensemble”… Quelle imposture et quel foutage de G… La France triture sont idéologie linguistique en fonction des lubies du chauvinisme panfrancophone et de l’irrédentisme Grand-Gaulois…
COLOMBANI Bruno
Merci Natacha … c’est une première et enfin on remet un peu de vérité …. cette vérité qui est cachée, spoliée, oubliée depuis 250 ans … sciemment écartée des livres d”histoire au mépris de .. l’histoire justement.
Macron s’est planté … quoique je me demande si tout cela n’est pas fait exprès ..
je caressais le naïf espoir d’une certaine empathie pour le 9 février 2018, nous avons eu une trahison et une vraie provocation. L’idée lointaine d’une possible sécession à terme semble placer les corses au rang des ennemis potentiels, préférant les fustiger, confondant affirmation identitaire et repli identitaire, confondant nationalisme corse (voire régionalisme) et extrémisme/terrorisme politique, et tentant de replonger la corse dans ses années noires …
merci pour cet article, qui déjà reprend le b à ba de ce qui devrait être connu de tout un chacun. Nous avons besoin de ça …