CHRONIQUE – Pouvons-nous aujourd’hui ignorer que l’afflux de populations venues de sociétés où les mœurs et les constructions culturelles sont radicalement différentes fragilise, à terme, l’Europe ?
Dans La Stampa, journal italien de centre gauche, mercredi 13 juin, Riccardo Barrenghi, ancien directeur du quotidien communiste Il Manifesto, écrivait: «Brûlez cette chronique immédiatement après l’avoir lue», mais «cette fois, Conte a raison». Face à la décision du gouvernement italien de ne pas accueillir l’Aquarius dans ses ports, de très nombreux citoyens de tout bord ont estimé que leur gouvernement avait raison de placer les autres pays européens devant leurs responsabilités. Dans ce moment de vérité, la lumière crue du réel vient dépouiller de leur faste les grands discours empreints de lyrisme. Restent les actes. L’ode macronienne à la souveraineté européenne, les appels à la jeunesse d’Europe lancés depuis une salle de la Sorbonne ou un hémicycle à Strasbourg se sont noyés dans ce naufrage.
Reste un silence assourdissant, suivi d’invectives à l’adresse de l’Italie puisque, selon le droit maritime, nos voisins n’ont qu’à se débrouiller. De quoi offrir une victoire bien plus éclatante, aux prochaines élections, à l’alliance de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles.
Dans cette crise dramatique, on aurait attendu de la part du président qui se veut philosophe des actes et des paroles laissant penser qu’il avait pris la mesure de ce qui se jouait pour l’Europe: la survie de sa civilisation. Le drame de l’Aquariusnous montre comment les crises migratoires dessinent la contradiction entre la traduction en actes de cette idée de notre humanité commune qui est au cœur des valeurs européennes (et rend nos sociétés plus vivables que toutes les autres) et notre capacité à perpétuer ces valeurs en assurant la pérennité des Nations et des peuples dans lesquelles elles se sont épanouies.
Cette attention aux individus nous distingue fondamentalement d’autres civilisations dans lesquelles les êtres humains sont enserrés dans une collectivité qui les écrase.
Ce qui fait l’Europe comme civilisation, ce sont ces principes qui émergent avec l’Humanisme, puis se déploient dans la philosophie des Lumières et qui nous obligent à considérer nos frères humains comme d’autres nous-mêmes, à les voir comme des individus intrinsèquement dignes. Cette attention aux individus nous distingue fondamentalement d’autres civilisations dans lesquelles les êtres humains sont enserrés dans une collectivité qui les écrase. Et c’est elle qui nous dicte de ne pas laisser mourir dans l’indifférence des malheureux sur un radeau de fortune.
Mais pouvons-nous aujourd’hui ignorer que l’afflux de populations venues de sociétés où les mœurs et les constructions culturelles sont radicalement différentes fragilise, à terme, cet édifice? Pouvons-nous continuer à ne pas voir que les valeurs qui nous obligent à regarder en face les déstabilisations causées par notre Histoire, et à en prendre notre part, nous ont fait perdre de vue la perpétuation même de ces valeurs. C’est tout le paradoxe de cette tension entre universalisme et identité qui est au cœur de la vision européenne du monde.
Une action contre les passeurs
Plutôt que d’insulter des voisins italiens qui ont vu passer 700.000 personnes depuis 2013, dont 150.000 recueillis dans le cadre de l’opération «Mare Nostrum» en 2013-2014, durant laquelle l’armée italienne se chargeait de ce que fait aujourd’hui l’Aquarius, le président français se serait montré à la hauteur de ses prétentions en accueillant les malheureux de l’Aquarius, tout en annonçant solennellement que la France ne pouvait ouvrir ses frontières à tout vent mais invitait ses partenaires européens (tous ses partenaires européens, même ceux qui ont le mauvais goût de vouloir à tout prix préserver leur identité) à agir sur trois points.
Premièrement, une action contre les passeurs et leurs navires ancrés dans les ports libyens – quitte à se passer de la communauté internationale, ce que nous savons faire quand il s’agit de frapper la Syrie, ou même la Libye de Kadhafi. Deuxièmement, le lancement à l’échelle européenne d’une véritable politique de coopération et de développement pour anticiper la bombe démographique qui explosera bientôt au Nigeria ou en Côte d’Ivoire. Troisièmement – et c’est la condition sine qua non de ce qui précède -, un réarmement culturel et moral de l’Europe par le refus absolu de toute forme de culpabilité postcoloniale ou de multiculturalisme compassionnel.
Les discours de haine contre l’Occident que distillent certaines associations, certains chanteurs – comme
le sympathique rappeur Médine, que des journalistes bien intentionnés présentent comme un «intellectuel» et un «rempart contre Daech» mais qui remplit ses textes de considérations sur l’Occident sanguinaire – doivent être combattus pied à pied, non pas par la censure, mais argument contre argument, pour que les enfants de ceux à qui nous ouvrons nos portes aujourd’hui ne retournent pas un jour contre nous ce ressentiment qui leur fait oublier que c’est l’Europe qui a inventé ces droits de l’homme sans lesquels ils n’auraient pas la parole. Faute de quoi nous perdrons tout: cet universalisme qui fait la grandeur de l’Europe et ces libertés pour lesquelles des hommes sont prêts à braver les flots.
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Journaliste
Source : © Natacha Polony : «Brûlez cette chronique après l’avoir lue»
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Michèle Pons
Tout est dit
Marie France Ellouz
Toujours excellente