
ENTRETIEN – La chef de file des députés RN a annoncé que son groupe voterait en faveur de la motion de censure déposée par la Nupes contre le budget du gouvernement, en plus de la sienne. David Desgouilles analyse les conséquences politiques de ce choix.
David Desgouilles est chroniqueur à Marianne. Il a publié Dérapage (éd. du Rocher, 2017) et Leurs guerres perdues, (éd. du Rocher, 2019).
LE FIGARO. – Marine Le Pen a annoncé que le RN votera la motion de censure de la Nupes, après l’utilisation de l’article 49.3 par le gouvernement sur la première partie du projet de loi de finances pour 2023. Quelles seront les conséquences politiques de cette décision ?
La plus grande conséquence c’est que le RN apparaît comme le parti d’opposition le plus cohérent et le plus clair. En votant toutes les motions de censure et pas seulement celle qu’il a déposée, le groupe RN se distingue de la Nupes qui ne souhaite voter que sa propre motion, et surtout de LR qui n’en votera aucune pour se réfugier dans l’abstention. En effet, quels sont les moments privilégiés pour se classer dans l’opposition ? Il s’agit du refus de voter la confiance, des votes sur des motions de censure, et enfin s’opposer au budget. Alors qu’Élisabeth Borne n’a pas sollicité de vote de confiance en juin, le RN a eu l’occasion ici de cocher les deux autres cases en une seule journée. De surcroît, en votant une motion de censure qu’il n’a pas lui-même déposée, il est non seulement un opposant radical mais refile le mistigri du sectarisme à la Nupes qui ne lui renvoie pas l’ascenseur. Cette décision s’avère donc un coup de maître pour le groupe dirigé par Marine Le Pen.
Une dissolution de l’Assemblée est-elle plausible ?
Il n’y aura pas de dissolution cette fois car le gouvernement n’a pas été renversé, du fait de l’abstention du groupe LR. C’est ce dernier, s’il déposait une motion de censure votée à la fois par le RN et la Nupes, qui pourrait provoquer la chute du gouvernement Borne et donc la dissolution. La menace d’Emmanuel Macron face à cette hypothèse est très claire et s’adresse principalement au groupe LR qui pourrait perdre des plumes lors de nouvelles élections. Les députés de LR prendront-ils ce risque ? Ce n’est pas ce que Nicolas Sarkozy préconise, puisqu’il préfère l’intégration de LR dans la majorité parlementaire. Les trois candidats à la présidence du parti refusent cette hypothèse, mais ils n’étaient pas favorables à la censure du gouvernement. Emmanuel Macron n’a donc plus le monopole du «en même temps».
De nouvelles élections avantageraient alors le duopole qui s’est imposé en avril dernier, matérialisé par le vote de cette motion de censure : les partisans d’Emmanuel Macron versus l’opposant intégral.
Davis Desgouilles
En annonçant que le RN votera la motion Nupes, Le Pen s’assure-t-elle que LR s’abstiendra ? La droite risque, en outre, de passer pour l’alliée du gouvernement…
Je crois plutôt qu’elle met la pression sur LR, qui apparaît donc comme un opposant qui n’en est pas vraiment un. Mais il me semble que Marine Le Pen aurait annoncé cette décision même si LR l’avait votée et qu’elle avait une chance de renverser le gouvernement. En effet, je ne pense pas que la présidente du groupe RN craigne une dissolution, contrairement à la Nupes et à LR. Ma conviction, c’est que de nouvelles élections avantageraient alors le duopole qui s’est imposé en avril dernier, matérialisé par le vote de cette motion de censure : les partisans d’Emmanuel Macron versus l’opposant intégral. La majorité actuelle reviendrait plus nombreuse et le RN augmenterait encore le nombre de ses sièges, aux dépens de la Nupes et surtout de LR.
Ce choix met-il aussi la Nupes dans l’embarras qui doit désormais se justifier des votes RN que les députés n’ont même pas sollicités ?
La Nupes n’a pas pu faire autrement que de voter sa propre motion de censure même si le RN est venu lui donner un score inattendu. Cela la met dans l’embarras puisqu’elle n’avait de cesse de se proclamer première opposition de l’Assemblée nationale, alors que le RN se positionne plus clairement en votant toutes les motions de censure. Alors bien entendu, les députés de gauche ont eu beau jeu de dire que c’est leur motion qui a obtenu le plus de voix et que le RN acceptait leur leadership. Ils ne manquent pas d’humour, laquelle relève parfois de la politesse du désespoir.