
Le jury de la Mostra, présidé par Guillermo del Toro, a primé Roma, première production Netflix couronnée à Venise. Jacques Audiard, les frères Coen, Olivia Colman et Willem Dafoe sont récompensés.
Décerné à l’unanimité à Roma, du Mexicain Alfonso Cuaron, le lion d’or de la 75e Mostra est posé sur sa plateforme numérique comme le lion de Saint-Marc sur sa colonne. Le triomphe deRoma n’est pas seulement celui d’un réalisateur, c’est celui d’un système de production et de diffusion qui révolutionne le vieil Hollywood et défie le protectionnisme français de la salle de cinéma. Pour la première fois, une production Netflix, destinée à être diffusée directement sur le Web pour des millions d’abonnés, remporte la récompense suprême dans un temple du 7e art.
«Netflix n’est pas la fin du cinéma, c’est la poursuite d’un processus qui a commencé il y a un siècle»
«Neflix n’est pas la fin du cinéma, c’est la poursuite d’un processus qui a commencé il y a un siècle», a déclaré le président du jury, Guillermo del Toro, compatriote de Cuaron et Lion d’or l’an dernier pour La Forme de l’eau.
Il est assez symbolique que ce changement de régime se passe à Venise, où Giuseppe Volpi a inventé d’exposer les films comme des œuvres d’art. La plus ancienne manifestation internationale de cinéma en a gardé le nom unique de «Mostra», quand toutes les autres se sont appelées «festival». En dehors de toute considération économique et commerciale, on peut estimer que la Mostra remplit son rôle d’éveilleur artistique en faisant place aux nouveaux supports de la création (ainsi, la réalité virtuelle y a désormais son île).
Retour aux origines
Roma n’est plus dans Rome. Le titre même du film d’Alfonso Cuaron a un effet de leurre, comme ces productions Netflix qui, pour certains, détourneraient le cinéma. Roma est le nom du quartier résidentiel de Mexico où le cinéaste a grandi. Après le triomphe hollywoodien de Gravity, avec ses sept oscars, Cuaron revient à ses origines. Sa longue saga familiale en noir et blanc fait revivre une maisonnée bourgeoise des années 1970, en s’attachant particulièrement au personnage de Cleo, jeune servante indienne nounou des enfants. Malgré quelques outrances, l’œuvre captive par sa puissance, sa sensibilité, sa générosité, et mérite indéniablement la reconnaissance.
Les deux westerns de la compétition sont à l’honneur, celui de Jacques Audiard, Les Frères Sisters, avec le lion d’argent de la mise en scène, celui des frères Coen, La Ballade de Buster Scruggs(autre production Netflix), avec le prix du scénario. On aurait pu inverser les prix, ça marche aussi. Les deux films fraternisent par le talent et l’originalité.
« Je pense qu’il faut plus de femmes, mais les quotas sont une forme inversée de sexisme»
On est moins convaincu par le grand prix donné à La Favoritede Yorgos Lanthimos, mais le réalisateur grec de The Lobster et de Mise à mort du cerf sacré est depuis quelques années la coqueluche des festivals. Son brio maniériste a la cote. Il le met cette fois-ci au service d’aventures rocambolesques autour de la reine Anne d’Angleterre. Jeux de pouvoir et de sexe, entre la reine lesbienne et ses deux favorites rivales, traités avec une préciosité ironique mais complaisante. En tout cas, le film est un bon vecteur des représentations féministes en vogue. Des «femmes puissantes», qui dominent et mystifient les hommes, de l’érotisme lesbien. Il faut dire qu’Olivia Colman, Emma Stone et Rachel Weisz forment un trio d’actrices sensationnel. Olivia Colman remporte le prix d’interprétation féminine dans le rôle de la reine.
À propos de féminisme, la seule réalisatrice de la compétition 2018 n’a pas été oubliée. Jennifer Kent repart avec un prix spécial du jury pour The Nightingale, qui raconte la traque vengeresse d’une servante irlandaise violée par un officier anglais qui a tué son mari et son bébé. Accompagnée d’un Aborigène, elle parcourt le bush australien, à la poursuite des criminels.Les revendications féministes ont fait tant de vagues sur la lagune qu’on peut se demander si la dénomination «prix spécial du jury» ne doit pas aussi s’entendre comme une façon de les prendre en compte. Mais Jennifer Kent est d’accord avec le directeur de la Mostra, Alberto Barbera, pour s’opposer aux quotas: «Je pense qu’il faut plus de femmes, mais les quotas sont une forme inversée de sexisme.»
Prix d’interprétation masculine, Willem Dafoe est au-delà de toute contestation: il incarne un Van Gogh émouvant et inspiré dans At Eternity’s Gate de Julian Schnabel.
Le Palmarès
Lion d’or: Roma, d’Alfonso Cuaron, élu à l’unanimité par le jury présidé par Guillermo del Toro
Lion d’Argent de la mise en scène:Les Frères Sisters, de Jacques Audiard
Prix du scénario:La Ballade de Buster Scruggs, de Joel et Ethan Coen
Grand prix du jury:La Favorite, de Yorgos Lanthimos
Prix spécial du jury: The Nightingale, de Jennifer Kent
Coupe Volpi d’interprétation féminine:Olivia Colman pour son rôle de la reine Anne d’Angleterre dans La Favorite, de Yorgos Lanthimos
Coupe Volpi d’interprétation masculine: Willem Dafoe pour son rôle de Van Gogh dans At Eternity’s Gate, de Julian Schnabel
Prix Marcello-Mastroianni du meilleur espoir : Baykali Ganambar dans The Nightingale, de Jennifer Kent.
Prix des 15es Giornate degli autori:C’est ça l’amour, de la réalisatrice française Claire Burger.
La rédaction vous conseille :
- Mostra de Venise: Lion d’or pour Roma d’Alfonso Cuarón
- Alfonso Cuarón: «Je crois en un cinéma pur»
- La Mostra de Venise met l’art en tête de gondole
- La Mostra de Venise déroule son tapis pour les stars
Journaliste
Source : ©Mostra de Venise : le lion d’or numérique d’Alfonso Cuaron