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DISPARITION – À 90 ans, ce professeur d’histoire de l’art italien s’est éteint des suites d’une mauvaise grippe.

Le petit monde international des grands connaisseurs de Léonard de Vinci est en deuil. Son autorité suprême, Carlo Pedretti, est décédé le 5 janvier des suites d’une mauvaise grippe. Il s’est éteint à la veille de ses 90 ans dans sa villa italienne de Castel Vitoni, à Lamporecchio (ouest de Florence). Professeur émérite d’histoire de l’art italien, titulaire de la chaire d’études léonardiennes à l’Université californienne de Los Angeles (UCLA), il dirigeait depuis sa création le centre Hammer des études vinciennes dont le siège italien se trouve à Urbino.

Avant sa retraite ce natif de Bologne vivait sur la côte ouest des États-Unis l’été et l’automne, et en Europe le reste de l’année, essentiellement à Florence et autour. Il avait créé une fondation à Lamporecchio, proche du hameau de Vinci, et transformé sa villa en un centre d’étude à l’attention des étudiants qu’il accueillait parfois en séminaires.

«Il nous emmenait dans ses théories en nous prenant par la main avec une grande humanité et compétence», a dit le maire de Florence, Dario Nardella avant de rappeler que Carlo Pedretti avait été fait citoyen d’honneur de la cité en 2010. En septembre dernier plus de 2000 personnes avaient assisté à ses conversations sur la génèse de la Joconde donnée dans le village de Vinci.

«Le plus grand léonardologue de notre temps»

L’Anglais Kenneth Clark, l’un des historiens de l’art les plus importants de l’après-guerre, mort en 1983, voyait en lui «le plus grand léonardologue de notre temps». «Sa réputation était mondiale, confirme en France Jacques Franck, consultant permanent pour l’Europe de la Pedretti Foundation. Il associait en effet un immense savoir de l’art et de la science du maître avec celui de son temps, la Renaissance».

À l’âge de 13 ans, Carlo Pedretti avait appris à écrire de la main gauche et à lire à l’envers, comme Léonard. Ses premiers articles scientifiques ont été publiés quand il avait 16 ans. En 1952, un portrait de lui paru dans les colonnes du quotidien Corriere della Sera était titré: «À l’âge de vingt-trois ans, il sait tout de Leonard».

Carlo Predretti a été l’ami et le protégé du philanthrope, collectionneur et patron de l’Occidental Petroleum corporation Armand Hammer. Celui-ci l’a aidé à créer le plus grand centre d’études vinciennes au monde au début des années 1980 à Los Angeles. C’est Pedretti qui a conseillé Hammer d’acheter le Codex Leicester en 1980, acquis pour 5,2 M$. Ces 72 pages d’écrits scientifiques avec 360 croquis, sont le seul manuscrit de Léonard dans cet hémisphère et le seul en mains privées. Il a été cédé en quinze ans plus tard à Bill Gates pour environ 31 M$ ce qui fait de cet ouvrage le livre le plus cher de tous les temps.

Parmi la cinquantaine de livres et les quelque 700 cents essais et articles, on compte, d’important commentaires sur l’œuvre peint, la mise à jour du catalogue des dessins des Windsor édité par Kenneth Clark, le catalogue des feuillets du Codex Atlanticus, un Léonard de Vinci architecte en 1978. Le dernier ouvrage, paru en 2000, concerne Léonard et la science.

La plus haute reconnaissance d’Italie

Autrement, ces dernières années, le Pr Pedretti avait participé à la tentative, finalement infructueuse, de redécouverte de la fresque sur la bataille d’Anghiari dans les parois de la salle principale du Palazzo Vecchio à Florence. Ses ultimes conférences portaient sur l’influence du génie syracusain Archimède sur le Toscan.

En Italie il était membre de la commission ministérielle pour l’édition nationale des manuscrits et dessins de Vinci. Il avait reçu la médaille d’or pour la culture du président de la République italienne en 1972, et la même année la Citation du Congrès américain, qui est la plus haute reconnaissance décernée dans ce pays. Carlo Pedretti était également citoyen d’honneur des villes d’Arezzo et de Vinci, docteur honoris causa des universités de Ferrare, Urbino, Milan et Caen (2002). Membre de multiples institutions en Italie et ailleurs, il collaborait régulièrement aux pages culturelles du Corriere della Sera et de L’Osservatore Romano. Les dernières expositions à rayonnement international portaient sur les études de draperies, en 1989 au Louvre (avec Françoise Viatte). Et, en 1992, sur les études de ponts de Leonard. Elle s’était tenue à Malmö (Suède) en appoint du projet d’ingénierie du pont de l’Øresund.

Son rôle d’expert était évidemment important. En 1985, Carlo Pedretti a attribué à Léonard un modèle de cire d’un cheval avec son cavalier, peut-être un portrait équestre de Charles d’Amboise, le gouverneur français de Milan entre 1503 et 1511. La pièce a été publié dans le catalogue des œuvres de Vinci de la collection de la reine d’Angleterre en 1987, un projet spécial qui lui avait été confié. Mais même les connaisseurs les plus expérimentés peuvent se tromper. C’est le cas en 1998, quand il assure reconnaître une étude préparatoire de la bataille d’Anghiari dans ce qui est en fait un dessin de jeunesse du peintre maniériste moderne Riccardo Tommasi Ferroni (1934 – 2000). Ces derniers mois, Carlo Pedretti travaillait la préparation du 500e anniversaire de la mort de Léonard, de 2019.

Vers la fin des «léonardologues»?

Depuis sa disparition et celle d’Augusto Marinoni (1911-1997) il n’y a plus de grands «léonardologues» dans le monde. De tels spécialistes étaient des «codicologues» et des archivistes paléographes qui s’étaient spécialisés dans l’édition critique des nombreux manuscrits de Vinci. Parmi les rares savants dans ce domaine, citons Carlo Vecce qui a coédité et commenté avec Pedretti en 1995 le Traité de la peinture (Codex Urbinas Latinum 1270, l’une des meilleures éditions de la transcription de l’élève et compagnon de Vinci, Francesco Melzi, des textes originaux dont certains feuillets sont perdus). Il y a aussi Pietro Marani qui a supervisé dans les années 2000 la traduction critique en anglais (par John Venerella) des manuscrits de l’Institut de France.

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Les autres spécialistes sont plutôt des biographes qui ont compilé l’ensemble des études publiées sur Léonard depuis un demi-siècle pour des monographies détaillées et, dans le cas du Pr Frank Zöllner, un catalogue raisonné (éditions Taschen, révisé régulièrement). Au sujet de la technique picturale Jacques Franck prépare depuis plusieurs années une thèse à l’École pratique des hautes études. Mais qui fera autorité quand il s’agit d’appréhender toutes les facettes de Léonard? Carmen Bambach du Met de New York, Martin Kemp professeur à Oxford ou encore les milanais Maria Teresa Fiorio et Pietro Marani? Ce dernier s’est trouvé récemment médiatisé comme porte-parole du groupe d’experts ayant authentifié le Salvator Mundi acquis récemment 382 M€ et devenu de ce fait le tableau le plus cher de tous les temps.

Notons que Carlo Pedretti avait défendu le caractère plus autographe d’un autre Christ rédempteur à Naples en 1922… Il estimait le bois passé aux enchères de Christie’s à New York plutôt comme une belle œuvre d’atelier. Carlo Pedretti laisse une veuve, Rossana. Dans la commune de Vinci, une chambre ardente a été installée ce week-end à la bibliothèque Leonardiana di Vinci et le service religieux aura lieu ce lundi 8 janvier à 11 heures à l’église de Santa Croce di Vinci.


 

Source:© Mort de Carlo Pedretti, le meilleur connaisseur de Léonard de Vinci

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