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Nocturne en bleu et argent: les lumières de Cremorne (1872) James Abbott McNeill Whistler. – Crédits photo : Joe Humphrys/Tate

En 1870, la guerre franco-prussienne et la Commune poussent des artistes à rejoindre l’Angleterre. Mais ils étaient déjà quelques-uns à exercer outre-Manche. L’exposition du Petit Palais nous le rappelle.

Ne vous fiez pas au titre de cette exposition en 140 œuvres montée au Petit Palais, en partenariat avec la Tate Britain. Certes «Les impressionnistes à Londres, artistes français en exil» inclut Monet, Pissarro et Sisley (un Britannique quoique né à Paris) chassés par la guerre franco-allemande de 1870 et la Commune. Mais, d’une part, ils n’ont été appelés impressionnistes qu’à partir de 1874. Surtout il n’y a pas que ce «reliquat» des habitués du café Guerbois actif outre-Manche à cette époque. Le parcours mentionne une trentaine de noms et montre la diversité des motivations et des situations dans la capitale anglaise, de 1870 aux toiles fauves du Derain de 1906.

Passé un prologue sur les ravages du conflit et les 20.000 victimes de la «semaine sanglante» – avec une scénographie rappelant les ruines du palais des Tuileries et le rouge pompéien à la mode du temps – on comprend d’ailleurs vite que les plasticiens réfugiés économiques ou politiques ne sont pas légion. Pilier de la diaspora, Alphonse Legros – un réaliste au trait ingresque qui n’a fait que côtoyer le groupe impressionniste – travaillait à Londres dès 1863. Officier d’un bataillon de fédérés, ayant fui Paris au printemps 1871, il a rejoint les berges de la Tamise pour huit années fructueuses. Autre exemple, le sculpteur Jules Dalou (présent notamment par sa grande terre cuite Paysanne française allaitant de 1873, Victoria and Albert Museum de Londres) n’a rien d’un avant-gardiste. C’est un réaliste académique. Il a trouvé le succès sur l’île.

Le parcours ménage pareillement en son sein une large et belle place à James Tissot, l’inverse du migrant maudit. Très intégré au gotha victorien qu’il fréquente depuis 1863, il a même anglicisé son prénom de Jacques-Joseph dès 1859. Les clubs les plus huppés et la rédaction du Vanity Fair lui sont ouverts. Ses exquises scènes de genre, concerts, bals, pique-niques, promenades en bateau sur la Tamise, visent très explicitement la clientèle haut de gamme. L’exposition rappelle aussi qu’avec Ernest Meissonier, Tissot a été le meilleur chroniqueur des rigueurs de la guerre de 1870 (l’aquarelle Le Soldat blessé date de cette année) et de l’insurrection parisienne. Rien sur Degas ni sur Manet, canonniers volontaires puis douillettement mis au vert durant la Commune; en Normandie pour le premier, dans les Pyrénées pour le second. Rien sur Bazille, tué trop tôt sur le front, mais dont les amis entretiennent le souvenir. En revanche Gustave Doré, enrôlé volontaire dans la Garde nationale puis réfugié à Versailles, est là: c’est à lui qu’on doit les plus dantesques vues du Londres de la première révolution industrielle. Si cet artiste plante le décor, il ne faudrait toutefois l’inclure ni parmi les réfugiés ni chercher à le reconnaître parmi ses personnages à la Dickens. Ses reportages gravés remontent quelques années avant 1870, quand son œuvre lui assure déjà une reconnaissance internationale et l’accès aux cercles mondains.

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On le constate, l’exposition ne s’intéresse pas qu’aux peintres. Avec le jeune Dalou, actif comme Courbet à la gestion des institutions artistiques sous la Commune, gracié en mai 1879 et qui est revenu à Paris avec un projet de monument à la République (finalement installé au centre de la place de la Nation en 1899), d’autres sculpteurs sont évoqués. Un peu Rodin aux amitiés communardes, mais qui a pris la tangente à Bruxelles et ne débarquera à Douvres qu’en 1881 pour conquérir le marché local. Plus Carpeaux dont le principal mécène était Napoléon III. Il l’a suivi dans son exil à Chislehurst. Et aussi dans son déclin.

Amis étrangers

Cette diaspora française est en outre décrite en compagnie de ses amis étrangers. Ne parlons pas du cas de Sisley, de nationalité britannique. Ni de Giuseppe de Nittis, Italien de naissance. L’Américain Whistler se distingue aux cimaises par trois de ses Tamise, nocturnes diaphanes, bleu et argent. On passe également devant des œuvres… britanniques. Celles des préraphaélites Alma-Tadema, Burne-Jones ou Watts, personnalités qui participent du réseau de solidarité. En témoignent, installées dans plusieurs salles, des bornes de téléphone vintage. Elles permettent d’écouter les conversations d’un journaliste anglais avec sa jeune cousine et de se faire une idée des débats artistiques de l’époque.

Finalement donc, nos futurs impressionnistes représentent bien peu en 1871, tant en nombre qu’en qualité. Leurs toiles sont à la fois frileuses, de format modeste, produites pour séduire la gentry, et nouvelles puisque exécutées dans le plein air de la vie moderne. Le marchand Durand-Ruel est la tête de pont. Sa galerie peine à écouler ces paysages tranquilles de Covent Garden, Hyde Park, Kew Green, hauts lieux de la bourgeoisie triomphante. Son poulain qui vend le mieux est Daubigny, pionnier dans l’île dès les années 1860.

Débarqué à la mi-septembre 1870 Monet est un trentenaire avec femme et enfant. Le ménage survit à peine. Il rentrera seulement un an plus tard. On retrouve Monet en gloire, de 1899 à 1901 devant le palais de Westminster. Cinq huiles de sa série de 19 vues peintes depuis une fenêtre du Savoy Hotel forment une section magnifique. Le fog mêlé aux fumées de charbon occasionne de fantastiques jeux de lumières. Vive la pollution! Avec Charing Cross et Waterloo, c’est plus d’une centaine de toiles que le maître a exécutées alors.

Cette maturité est comparée à la fougue du jeune Derain. Un rapprochement passionnant. À seulement six ans d’écart, le fauve défie le patriarche sur son terrain. Mais a-t-il vu, trop discrètement accrochée au Petit Palais, Leicester Square la nuit (Musée Granet d’Aix-en-Provence) de l’aîné? Une toile électrique, incandescente, quasiment abstraite…

«Les impressionnistes à Londres, artistes français en exil, 1870- 1904», jusqu’au 14 octobre au Petit Palais, av Winston-Churchill – 75008 Paris. Catalogue Paris Musées 272 p., 35 €. Tél.: 01 53 43 40 00.


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Eric Biétry-Rivierre 82 abonnés Suivre

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Source : Monet, Pissarro, Doré: l’appel de Londres

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