INTERVIEW – Pour l’Ancien président du Parlement européen, «Il est temps de se mobiliser et de créer un vrai mouvement de gauche européen».
Propos recueillis par Nicolas Barotte (Le Figaro), Ana Carbajosa Vicente (El Pais) et Tonia Mastrobuoni (La Repubblica)
Le candidat du SPD contre Angela Merkel aux élections législatives de septembre 2017 veut défendre une Europe ouverte face à l’Europe des nationalismes.
L’Europe vit un moment critique. Quels sont ses principaux défis?
L’idée européenne repose sur trois concepts clés: solidarité, respect et dignité. Mais depuis des années, nous vivons un phénomène de désolidarisation non seulement dans les sociétés, mais aussi à cause de l’arrivée au pouvoir de propagandistes de la désolidarisation. En Europe, seul le respect mutuel permet à chacun d’être traité avec dignité. Le respect entre les nations assure la paix. Mais nous vivons un manque de respect. C’est un problème fondamental.
Avez-vous un exemple?
On peut observer en Italie l’agitation populiste contre les minorités pour obtenir des succès à court terme. C’est presque du fascisme quand on voit un ministre de l’Intérieur italien vouloir «enregistrer les Roms». Ce que nous vivons, c’est une brutalisation du langage politique dans laquelle toute forme de solidarité, de respect et de dignité est démolie. Cela signifie la fin de la démocratie. Pendant longtemps, ce n’était qu’un phénomène marginal. Mais depuis un certain temps, cela commence à pénétrer la démocratie parlementaire et les gouvernements. C’est dangereux.
«Il est indécent de constater comment y compris dans les politiques européennes des minorités sont harcelées avec des méthodes populistes»
Que peuvent faire les partis sociaux-démocrates contre cela?
Nous les sociaux-démocrates, les forces progressistes et humanistes en Europe, nous devons reconnaître que les droites radicales, c’est-à-dire autoritaires, antidémocratiques et populistes, se sont organisées. Il est indécent de constater comment y compris dans les politiques européennes des minorités sont harcelées avec des méthodes populistes. Il est indécent de voir comment le plus grand projet de paix du monde, la démocratie transnationale européenne, est devenu un bouc émissaire de tous les problèmes.
Des gens comme Matteo Salvini veulent détruire l’Europe. Ce sont les mêmes personnes qui voulaient monter les peuples les uns contre les autres au début du XXe siècle. Une rhétorique anti-européenne et une renationalisation exagérée des politiques nous ramènera vers l’abîme. Ces gens sont irresponsables. Il y a malheureusement dans la rhétorique d’extrême gauche la même évolution préoccupante. En Allemagne, nous avons un ministre président de Bavière populiste, Markus Söder, qui suit cette stratégie. Il parle de la fin du multilatéralisme dans un moment où rien n’est plus important: si l’on veut que notre pays se porte bien durablement il faut plus de coopération et pas moins.
Salvini, Strache, Kurz, Orban et tous les autres populistes sont déterminés à défaire l’Union européenne et ils y travaillent ensemble. Et face à des gens déterminés, il ne faut pas agir de manière frileuse. Nous avons besoin d’un contre-mouvement, d’une révolte de la dignité. Rappelons-nous la phrase du philosophe Edmund Burke: «Pour que le mal l’emporte, il suffit que le bien ne fasse rien». Il est temps de se mobiliser et de créer un vrai mouvement de gauche européen.
«On peut dire ce que l’on veut d’Emmanuel Macron mais il a des valeurs européennes»
Est-ce qu’Emmanuel Macron n’a pas déjà pris les devants?
Le président français a prouvé que c’est possible. En Allemagne, j’ai essayé d’apporter dans notre accord de coalition une réponse à l’initiative française et de revitaliser l’Europe. C’était nouveau. L’Allemagne dit enfin qu’elle veut «défendre le projet européen»! Si l’Allemagne et la France s’unissent pour défendre la démocratie transnationale, c’est un signal fort. Les deux pays représentent 50 % de la zone euro. Mais des individualités ne suffisent pas. Des partis et des gouvernements doivent s’élever contre les droites autoritaires.
On peut dire ce que l’on veut d’Emmanuel Macron mais il a des valeurs européennes. Il a parlé de souveraineté européenne, alors que dans aucun autre pays qu’en France le concept de souveraineté nationale n’est aussi sacré. C’est un homme politique du centre et un libéral habile. Il pense tactique. Il sait que les jeunes Français attendent d’un jeune président qu’il soit pour l’Europe. Il est courageux. Il contredit Donald Trump. La différence entre Angela Merkel et lui, c’est que la chancelière est une championne de l’à-peu-près. Ce dont on a besoin en Allemagne aujourd’hui, c’est quelqu’un qui rappelle que l’Europe est une raison d’État pour le pays, comme la reconnaissance de l’Otan l’a été.
Dans le contrat de coalition entre la CDU/CSU et le SPD, il est question d’un «nouveau départ pour l’Europe». En faisant le bilan du bras de fer entre la chancelière et la CSU, ces derniers jours, avez-vous le sentiment que c’est le cas?
Assurément que non. Mais la politique est une question de rapports de force. Qui a finalement aidé Angela Merkel à Bruxelles? Macron, Sanchez, Costa, les pro-européens de gauche convaincus. Malheureusement, les sociaux-démocrates pro-européens ne disposent pas actuellement d’une majorité à Bruxelles. C’est l’esprit destructeur des anti-européens qui a poussé Merkel dans sa position actuelle. Mon parti doit être très clair à ce sujet. Le chapitre européen de notre accord de coalition s’intitule «Un nouveau départ pour l’Europe» et non la démolition de l’Union européenne.
Mais qu’en reste-t-il après l’accord entre Angela Merkel et la CSU sur les migrations?
La direction du SPD a déjà dit que la base de ce dont nous discutons est l’accord de coalition. Le compromis entre Angela Merkel et la CSU a surgi à cause des attaques égocentriques de Horst Seehofer et de la rage pleine de testostérone de Markus Söder. Nous avons rejeté les centres de transit en 2015 parce que nous ne voulions pas que des personnes qui cherchent notre protection finissent en prison. C’est une question de principe. Et je suis également très clair sur le principe de ne pas remettre en cause la libre circulation en Europe. Ce que décident Angela Merkel et Horst Seehofer n’est pas automatiquement la position de l’Allemagne. L’Allemagne n’est pas Angela Merkel, l’Allemagne c’est un parlement et une coalition.
«Je crois toujours que nous pouvons trouver de bonnes solutions au niveau européen»
Que faire pour résoudre durablement la question migratoire?
Je crois toujours que nous pouvons trouver de bonnes solutions au niveau européen. Cependant, nous devons devenir plus audacieux et plus clairs. Si nous ne pouvons pas parvenir à une répartition contraignante des réfugiés en Europe, nous devrions nous concentrer davantage sur l’action volontaire. Cela devrait être lié à des mesures incitatives. Les pays les plus durement touchés par la crise des réfugiés, qui agissent en solidarité, devraient également être mieux lotis financièrement que ceux qui n’apportent aucune contribution. Il serait donc logique de faire du budget européen un budget de solidarité. La solidarité n’est pas une voie à sens unique, mais un principe fondamental dans l’UE. Il faut que cela redevienne plus clair. La question des migrations ne peut être résolue que conjointement en Europe.
Est-ce que la Chancelière est encore en position de mener une politique européenne?
Le SPD est l’ancre de stabilité de ce gouvernement et la force européenne en Allemagne. Nous sommes le parti qui dans son histoire a toujours pris ses responsabilités. Si Angela Merkel veut suivre ce chemin avec nous, elle est forte. Si elle se laisse malmener par son partenaire de la CSU, elle ne l’est pas.
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Nicolas Barotte – Journaliste
Correspondant du Figaro à Berlin
Source : ©Martin Schulz : «Salvini, Strache, Kurz, Orban sont déterminés à défaire l’UE»