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Marc Guillaume, lors d’une audition de la mission d’information sur la concrétisation des lois, à Paris, le 29 octobre 2019. CHRISTOPHE MORIN / IP3 PRESS / MAXPPP

Le secrétaire général du gouvernement, congédié le 15 juillet par Emmanuel Macron et Jean Castex, symbolisait aux yeux de l’exécutif l’« hubris technocratique » d’une partie de l’administration. Il a été nommé préfet d’Ile-de-France.

Il faut se méfier des compliments, en politique comme dans la vie. Ils précèdent souvent les oraisons funèbres. Ce mercredi 15 juillet, dans le huis clos du conseil des ministres, Emmanuel Macron couvre de louanges Marc Guillaume, « un secrétaire général du gouvernement extraordinaire pour des temps extraordinaires ». Assis à son bureau, comme chaque semaine, en retrait de la table des ministres, le haut fonctionnaire écoute l’hommage, impavide. Il sait depuis la veille que son sort est scellé. Ce commandeur de la loi et du droit, dont le rire haut perché tranche avec un physique d’armoire normande, a géré deux états d’urgence successifs, l’un terroriste, l’autre sanitaire, rappelle le chef de l’Etat. Mais le conseil des ministres du jour entérine pourtant son remplacement par Claire Landais, jusque-là secrétaire générale de la défense et de la sécurité nationale. Le haut fonctionnaire le plus puissant de France est tombé.

Confirmée dans la foulée, la nouvelle frappe de sidération le petit monde politico-administratif. L’omnipotent Marc Guillaume, qui collectionnait les surnoms (« Imperator », « Léviathan », « Premier Ministre bis », « M. Non », « Grand Chambellan »…), était considéré comme invulnérable, y compris par ses ennemis. Lui-même se croyait, à 55 ans, à l’abri de la disgrâce. Il est rarissime, en effet, qu’un secrétaire général du gouvernement, censé incarner la continuité de l’Etat, soit remplacé quand arrive un nouveau premier ministre. Seule la première cohabitation entre François Mitterrand et Jacques Chirac a eu raison du titulaire du poste, Jacques Fournier, remplacé par Renaud Denoix de Saint Marc, en 1986.

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Contrairement à ses prédécesseurs, restés en poste huit ans en moyenne, Marc Guillaume n’aura donc duré que cinq années dans cette fonction centrale mais méconnue, au cœur de l’Etat. Son « interventionnisme », décrié par des ministres ou des proches du chef de l’Etat, aura finalement eu raison de lui.

Au cœur de la machine

Depuis son vaste bureau du rez-de-chaussée de l’hôtel de Matignon, l’un des plus beaux de la République, le secrétaire général du gouvernement veille à la bonne marche de la machine étatique. A la fois patron de l’administration et conseil juridique du gouvernement, le « SGG » se trouve au cœur de la machine à arbitrer les décisions, cruciales ou anodines. C’est lui qui fixe l’ordre du jour du conseil des ministres, soumis à l’Elysée tous les lundis, puis rédige le précieux (et secret) compte rendu. Lui encore qui relit, voire réécrit, les projets de loi, envoyés pour avis au Conseil d’Etat. Lui, enfin, qui propose les noms des directeurs d’administration centrale après les avoir fait passer au supplice d’un grand oral, dans un processus de sélection qui a gagné au fil du temps le nom de « comité Guillaume »…

« Il a droit de vie ou de mort administrative sur nous, glisse un haut responsable de l’administration. C’est à la fois un faiseur de rois et un coupeur de têtes. » « C’est le premier des fonctionnaires », résume l’ancien directeur adjoint de cabinet de François Fillon à Matignon, Antoine Gosset-Grainville, selon qui cette fonction, nécessitant discrétion et entregent, est traditionnellement occupée par « le meilleur ».

Marc Guillaume est considéré comme tel, qu’on l’admire, le redoute ou l’abhorre. Tous reconnaissent une intelligence et une rapidité « hors norme », une « autorité naturelle », une expertise juridique « solide »« Ce que j’ai rencontré de plus accompli dans la fonction publique », s’enthousiasme l’ancien secrétaire général de l’Elysée, Jean-Pierre Jouyet. De son côté, l’ex-premier ministre, Bernard Cazeneuve, avec qui il a travaillé deux ans, loue les qualités de « remarquable juriste » de cet « esprit délié et fin ».

Dans les allées du pouvoir, il s’en trouve donc certains pour juger « brutale » son éviction, perçue comme un moyen inélégant et facile de faire peser sur les épaules de l’administration les carences des politiques. Mais l’annonce de son départ a été accueillie chez d’autres avec un immense soulagement. « On a débouché le champagne dans plus d’un ministère », raconte un familier de l’Elysée. Une « joie mauvaise » qui disait le ressentiment accumulé par de nombreux ministres ou conseillers, que le puissant SGG avait si souvent contredits, parfois même humiliés, par le passé.

Interventionnisme

Combien de fois a-t-il « débordé » de son rôle, assure un macroniste en vue, « comme un juge qui s’habituerait à statuer en opportunité plutôt qu’en droit » ? Les ministres successifs de l’écologie, de Nicolas Hulot à François de Rugy, ont notamment souffert de son interventionnisme. « Les panneaux solaires dans ma maison en Bretagne, ça ne sert à rien ! », s’est un jour emporté Marc Guillaume devant des conseillers ministériels, lors d’une réunion consacrée aux énergies renouvelables. « Vous êtes là pour trouver des solutions, pas juste nous empêcher de gouverner ! », s’est agacée face à lui, une autre fois, Elisabeth Borne, récente titulaire du portefeuille.

A combien de reprises le secrétaire général du gouvernement, qui attribue les hôtels particuliers aux ministres, au moment de leur prise de fonctions, s’est-il comporté en bailleur de la République ? Untel, qui avait laissé sa famille en province, s’est vu contraint de mettre sous scellés les pièces qu’il n’occupait pas. Un autre, fraîchement promu, a passé plus d’une heure à suivre le « Grand Chambellan » dans un tour du propriétaire, l’écoutant conter d’un ton professoral l’histoire de son ministère…

Intransigeance

Les réunions interministérielles qu’il présidait dans l’austère et désuète bibliothèque sans fenêtres, contiguë à son bureau, étaient devenues la terreur des conseillers, voire de certains directeurs du cabinet. Les uns ont vu leur texte de loi se faire entièrement réécrire sous la dictée du SGG. Les autres ont été crucifiés d’un regard ou d’un mot du maître des lieux, quand ce dernier – qui vénère l’intelligence – jugeait ses interlocuteurs en dessous du niveau requis. « Pas mal pour un saltimbanque ! », ironisait parfois Marc Guillaume devant un malheureux conseiller du ministère de la culture, à l’issue d’un exposé. Si un participant passait la porte à double battant de sa bibliothèque en retard ou sans cravate, il était aussitôt prié de quitter les lieux. « Il est capable de casser une réputation en trois mots », raconte un conseiller d’Etat.

Une intransigeance old school héritée de celui qu’il considère comme un père spirituel, Renaud Denoix de Saint Marc. Grande gueule colérique mais impartiale, l’ex-vice-président du Conseil d’Etat (1995-2006), qui fut secrétaire général du gouvernement sous François Mitterrand, est considéré comme le modèle du haut fonctionnaire français. « Tu viendras me voir quand tu seras habillé correctement », lançait, lui aussi, cet homme raide et élégant à ses collègues, quand il les croisait sans cravate, y compris au creux de l’été. « Denoix était capable de passer des soufflantes sans nom mais il n’était pas méchant, raconte un membre du Conseil d’Etat. Marc, lui, fait preuve de trop de dureté. Il a parfois la cruauté gratuite. »

La personnalité du secrétaire général du gouvernement joue beaucoup sur la fonction. Simple et discret, Serge Lasvignes, en poste juste avant Marc Guillaume, était parfois surpris par les collaborateurs du premier ministre en train de lire un recueil de poésie devant un plateau-repas, à l’heure du déjeuner. Aux antipodes de son successeur, plus extraverti et mondain. Mieux vaut se trouver dans les bonnes grâces de « Dieu »« Tu ne t’opposes pas à quelqu’un qui a cette position-là, résume un conseiller d’Etat. Tu n’ignores pas non plus ses demandes, ses injonctions, ses recommandations, ses conseils. Si tu es habile, courageux ou inconscient, tu peux te débrouiller pour qu’un autre objecte ou contredise à ta place. Mais si tu le fais toi-même, tu peux être assuré que sa rancune te poursuivra toujours et que tu finiras dévoré par les chiens. »

Sa nomination, en 2015, par François Hollande et Manuel Valls, est venue couronner un parcours sans faute, « béni des Dieux », résume sa collègue du Conseil d’Etat, l’ex-ministre de la santé, Marisol Touraine. Elevé dans les beaux quartiers de l’Ouest parisien, passé par Sciences Po, l’ENA, et le Conseil d’Etat, cet homme à l’aisance jalousée semble n’avoir jamais douté, ni de lui-même ni de la place qui lui était due.

Parce qu’il est le fils d’un brillant juriste, Gilbert Guillaume, ancien président de la Cour internationale de justice, et qu’il cultive un style et des codes de grands bourgeois, beaucoup l’imaginent appartenir à une longue dynastie d’hommes de droit. Seuls les initiés savent que son grand-père était boulanger, une histoire familiale que Gilbert Guillaume a longuement racontée devant le comité d’histoire du Conseil d’Etat, qui s’attache à conserver la mémoire de ses membres éminents.

Son fils, lui-même père de trois enfants, est un être dual. Drôle et acide, chaleureux et bon vivant, cet amateur de vins de Bourgogne et d’imitations de Giscard aimait s’accouder au zinc du café pour jouer au loto sportif avec ses collègues du Conseil d’Etat. Mais il peut également se montrer austère et exigeant, portant très haut les principes de la République et du droit. « Il a à la fois l’humanité débordante d’un Yves Montand des films de Claude Sautet et la droiture républicaine des redingotes noires de la IIIe République », résume l’ancien secrétaire général de l’Elysée, Frédéric Salat-Baroux, qui était avec lui à l’ENA.

Stratège

Marc Guillaume est aussi un stratège de sa propre carrière. Marié à Guénola de Méhérenc de Saint-Pierre, issue d’une vieille famille de la noblesse bretonne, directrice de la publicité chez Vuitton, il appartient à tous les cercles du pouvoir. Membre du conseil d’administration du Siècle, il valide ou rejette les candidatures à ce cercle envié, et anime une table au dîner mensuel qui rassemble l’élite politico-économique parisienne. Il compte également, au même titre qu’Alain Minc ou Patricia Barbizet, parmi les « darlings » (« chouchous ») du discret colloque franco-britannique, qui réunit chaque année une quarantaine d’influenceurs des deux pays. Membre du conseil d’administration de Sciences Po et de l’ENA, il codirige en outre la revue Pouvoirs avec le politologue Olivier Duhamel, ami de Brigitte Macron. « Il sait s’attacher les fidélités », observe un conseiller d’Etat qui le connaît bien.

Mais c’est avec son corps d’origine qu’il se montre le plus aimable et empressé. « Pour lui, il y a deux catégories : le Conseil d’Etat, soit 250 personnes sur la place de Paris, et le reste du monde », sourit un membre de l’institution du Palais-Royal, qu’Edouard Philippe – lui aussi issu de la maison – décrit comme « un club anglais ». A chaque nomination à un joli poste d’un membre du Conseil, Guillaume envoie un mot de félicitations : « Cher collègue… » Même rituel, le jour de la sortie du décret, quand l’un d’eux est décoré de la Légion d’honneur. Ou au moment des vœux, y compris pour les plus jeunes, qu’il n’a pourtant jamais croisés.

Ses admirateurs le voient comme la figure chimiquement pure du haut fonctionnaire qui a dévoué sa vie à l’Etat, écartant les sollicitations politiques (il n’a jamais fait de cabinet ministériel) ou venant du privé. « Il a des engagements longs, concrets. Ce n’est pas un papillonneur, il y a une très grande cohérence dans sa démarche », loue en privé son ami Benoît Ribadeau-Dumas, ancien directeur du cabinet d’Edouard Philippe. On lui doit notamment la création de la direction des affaires juridiques de la défense, juste avant d’être nommé directeur des affaires civiles et du sceau, en 2002, malgré les réticences de Jacques Chirac face à son jeune âge. « Il vit dans un monde qui est peut-être en train de disparaître, dit son ami, l’écrivain François Sureau. C’est la dernière figure du commandeur et il le sait. » Lui-même se définit comme « le dernier des Mohicans ».

C’est aussi un amoureux du droit. Au Conseil constitutionnel, où il a secondé Jean-Louis Debré pendant huit ans comme secrétaire général, il était considéré comme le « dixième sage ». Avec le fidèle chiraquien, il a inventé la question prioritaire de constitutionnalité, qui permet à tout justiciable de saisir l’institution de la rue de Montpensier. « Tu es marié avec le droit », aimait à le taquiner Debré, qui a œuvré auprès de Hollande et Valls à sa nomination comme secrétaire général du gouvernement, en 2015.

Précieux repère

A peine installé à Matignon, l’homme a été un rouage essentiel, mais aussi un précieux repère, au moment des attentats, la même année. C’est lui qui, le soir de l’attaque au Bataclan, a convoqué le conseil des ministres extraordinaire, réuni à minuit à l’Elysée. Lui qui a bloqué la parution du Journal officiel pour que le texte instaurant l’état d’urgence y figure bien.

Certains le rendent aussi responsable de la mesure visant à déchoir les terroristes de la nationalité française, annoncée par François Hollande devant le Congrès, le 16 novembre 2015, à Versailles. A tout le moins, Marc Guillaume aurait plaidé pour constitutionnaliser la déchéance, estimant que la Constitution protégeait davantage que la loi, empêchant ainsi toute extension future. Son ami et complice, Olivier Duhamel, par ailleurs président du Siècle, avait à l’époque signé une tribune dans Le Monde reprenant des arguments similaires aux siens. Mais l’intéressé a toujours nié avec vigueur être l’inspirateur de cette disposition controversée à laquelle François Hollande a finalement dû renoncer.

Plus récemment, dans la foulée des « gilets jaunes », Marc Guillaume s’est indigné de la décision du Conseil constitutionnel, le 9 mai 2019, ouvrant la voie à un référendum d’initiative partagée sur l’avenir d’Aéroports de Paris. Une fois encore, Olivier Duhamel, secondé du professeur de droit Nicolas Molfessis, a publié une tribune dans Le Monde pour dénoncer la « double faute, juridique et démocratique » du Conseil constitutionnel. Certains ont cru deviner, derrière ce texte minutieux, la main du SGG. Olivier Duhamel reconnaît un échange de points de vue sur la question, mais jure ne pas avoir écrit sur commande. Fait rare, le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, est aussitôt sorti de sa réserve pour justifier la décision de l’institution.

De plus en plus souvent, Marc Guillaume se voyait reprocher de s’émanciper de son rôle de conseil juridique pour tenter de peser dans la décision politique. Juste avant la présidentielle de 2017, le ministre de l’économie, Michel Sapin, avait dû ferrailler pour sauver une disposition de sa loi sur la transparence et la lutte contre la corruption (dite « Sapin 2 ») rendant obligatoire, pour les lobbies, la déclaration de leurs activités d’influence auprès des élus ou des hauts fonctionnaires. Le secrétaire général du gouvernement, selon qui cette contrainte allait complexifier le travail de l’administration, y était farouchement opposé. Appuyé par le secrétaire général de l’Elysée, Jean-Pierre Jouyet – lui aussi inquiet de voir les hauts fonctionnaires soumis à une sorte d’« inquisition » –, il avait pesé de tout son poids pour bloquer la sortie du décret. Le texte a fini par paraître, au Journal officiel du 10 mai 2017, mais vidé de sa substance.

L’homme peut être très directif, mais beaucoup apprécient sa compétence et sa solidité. Parfait connaisseur de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il a souvent évité aux gouvernements qu’il a servis de tomber dans des pièges et de voir leurs textes censurés. L’ancienne ministre Marisol Touraine se rappelle l’avoir souvent appelé pour lui demander des conseils juridiques, et obtenir de sa part une « porte de sortie »« Il n’a jamais considéré qu’il était ministre à la place des ministres, défend-elle. Au fond, il a cette autorité de très haut fonctionnaire de la IVe et de la VRépublique qui considère qu’il y a une technicité de la chose publique. Le fait d’être élu ne remplace pas la compétence. Marc peut être impressionnant pour des élus qui ne sont pas très compétents techniquement… » Mais, insiste l’ex-ministre, « on ne peut pas vouloir un Etat fort et penser que ceux qui le servent sont des petites souris, même si c’est toujours aux élus, in fine, de décider ».

De leur côté, Edouard Philippe et Benoît Ribadeau-Dumas ont été ravis de retrouver ce « grand fauve » à leur arrivée à Matignon, en mai 2017. Tous trois conseillers d’Etat, ils se connaissent de longue date. Guillaume a été le maître de conférences de Philippe à l’ENA, au milieu des années 1990. Il est, depuis, un habitué des anniversaires de l’ancien lieutenant d’Alain Juppé, soirées joyeuses où se cimentent les amitiés d’une bande presque exclusivement masculine. « Edouard a pour Marc un mélange de respect, d’amitié et d’admiration », souligne un proche de l’ancien premier ministre. Le trio, à l’humour potache et aux reparties cinglantes, se serre les coudes dans cet univers étranger qu’est la Macronie.

« Trois années de règne »

Lorsque Marc Guillaume est mis en cause dans Le Monde, en décembre 2019, pour avoir laissé passer le cumul de rémunérations de Jean-Paul Delevoye – entre sa fonction de haut-commissaire aux retraites et plusieurs mandats privés –, Edouard Philippe hausse le ton dans l’étuve des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale. « Je voudrais dire avec la plus grande fermeté que la mise en cause par un article de presse erroné du secrétariat général du gouvernement n’est pas digne », lance Philippe, vantant, au contraire, un travail effectué « avec la plus grande rigueur ». Une défense à la hauteur de la blessure ressentie par l’intéressé, que ses amis disent « marqué » par l’épisode.

Cette « entente parfaite », selon les mots de Benoît Ribadeau-Dumas, s’est aussi manifestée à l’heure d’affronter le projet de réforme de la haute fonction publique voulu par Emmanuel Macron. Le chef de l’Etat, secoué par les « gilets jaunes », aurait aimé réformer l’ENA, qui cristallise le rejet des élites. Mais, comme le note un bon connaisseur des arcanes de l’Etat, un « verrou » s’est mis en place à Matignon, « sans que l’on sache distinguer la part respective de Philippe et de Guillaume dans l’affaire »« Nous tiendrons bon ! », promettent-ils en chœur, avec Ribadeau-Dumas, à un de leurs éminents collègues du Conseil d’Etat, venu dîner un soir à Matignoninquiets de la fin programmée des grands corps. Au début du quinquennat, la réduction du nombre de conseillers dans les cabinets ministériels, pour laquelle Guillaume a plaidé, a contribué à étendre l’emprise des « technos ». « Les trois années de pouvoir de Macron ont été pour lui trois années de règne », résume un conseiller d’Etat.

L’approche juridique et centralisée du trio s’est pleinement épanouie pendant la crise sanitaire et le confinement, suscitant l’agacement de nombreux ministres, voire d’Emmanuel Macron lui-même. « Une hubris technocratique, dénonce un ministre. Soudain, ils ont pu décider de tout : pouvait-on aller ou non embrasser sa grand-mère ? Combien de mètres devaient séparer chaque personne dans une queue, quelle zone était en rouge ou en vert… » Le secrétaire général du gouvernement avait en outre irrité le chef de l’Etat, pressé de libérer les Français, en alertant sur le risque d’un « trou juridique » alors que la loi sur le déconfinement, votée par le Parlement le 9 mai, n’avait pas encore reçu l’aval du Conseil constitutionnel avant son entrée en vigueur, deux jours plus tard.

Dans cette période, Marc Guillaume s’est affronté à Jean Castex, alors chargé de la délicate opération de déconfinement. Au cours de sa mission, ce dernier avait confié son étonnement à des proches : comment des décisions arbitrées par le président de la République pouvaient-elles être de nouveau discutées par le SGG, même sous l’angle du droit ? Nommé premier ministre, il en a aussitôt tiré les conclusions. Le 15 juillet, dans les couloirs de l’Assemblée nationale, le président de la commission des affaires économiques du Palais-Bourbon, Roland Lescure (La République en marche), a hélé le chef du gouvernement pour le féliciter du « bon signal » que représentait le départ de Marc Guillaume, au moment où la Macronie entend réaffirmer le primat du politique sur la technostructure et « l’Etat profond »« Oui, d’autant plus que Marc est un ami », lui a répondu Jean Castex. Les deux hommes appartiennent à la promotion Victor-Hugo (1991) de l’ENA.

Avant de quitter Matignon, Edouard Philippe a laissé une note à son successeur, listant les noms de ses collaborateurs qu’il espérait voir bien traités. Marc Guillaume figurait sur ce « testament ». Selon un proche, le maire du Havre a d’ailleurs été « mis dans la boucle » du processus ayant abouti à la nomination expresse – et surprise –, le 22 juillet, de l’ex-SGG comme préfet d’Ile-de-France, poste le plus prestigieux du corps préfectoral.

Mais personne n’est dupe de cette session de « rattrapage »« Il fallait vite le recaser, pour ne pas donner l’impression d’un licenciement sec », souligne un fin connaisseur de l’administration, selon qui ce mouvement risque de compliquer l’ambition ultime de Marc Guillaume, « le rêve de sa vie » : obtenir la vice-présidence du Conseil d’Etat, vacante en janvier 2022. « Passer de SGG à vice-président du Conseil d’Etat, c’est logique, la voie royale, rappelle cette source. Passer par la préfecture d’Ile-de-France, ce n’est plus automatique. » En somme, Marc Guillaume emprunte pour la première fois un chemin de traverse dans son ascension tranquille et assurée vers le sommet.

Olivier Faye et Solenn de Royer

Source:© Marc Guillaume, la disgrâce du « grand chambellan »

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