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Dans une tribune au « Monde », un collectif de hauts fonctionnaires estime que le macronisme se distingue par la confusion entre une partie de la haute administration et la politique du gouvernement.

Tribune. La désignation récente des nouveaux porte-parole du parti présidentiel a conduit à braquer de nouveau les projecteurs médiatiques sur LRM. Ce parti occupe pourtant une place plus que marginale dans le jeu politique actuel. Comme tous les partis soutenant une majorité au pouvoir, il peine à trouver sa place vis-à-vis du gouvernement. Mais plus que ses prédécesseurs UMP et PS, il est en outre dépossédé des deux fonctions traditionnellement dévolues à un parti politique : la sélection du personnel politique et l’élaboration du programme et des propositions.

Ces rôles sont en effet aujourd’hui principalement assurés directement par la haute administration de l’Etat, constituant ainsi une des caractéristiques majeures du macronisme : une confusion profonde, à la fois idéologique et sociologique, entre une partie de cette haute administration et ses idées d’une part, et le gouvernement et la politique qu’il mène d’autre part.

Dès la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, la porosité entre cette « haute » administration et l’équipe de campagne a été très nette. Ce sont essentiellement ceux que le sociologue Pierre Bourdieu appelait, dans un entretien au  Monde  en 1992, « la main droite de l’Etat », soit les « énarques du ministère des finances, des banques publiques ou privées et des cabinets ministériels » qui ont élaboré les propositions du candidat à la présidence de la République. Exemple marquant, mais loin d’être unique, le responsable du programme et des idées de l’équipe de campagne de M. Macron, nommé en janvier 2017, n’était autre que Jean Pisani-Ferry, précédemment commissaire général à la stratégie et à la prospective auprès du premier ministre.

Convergence des centres

Dès la constitution du premier gouvernement de la nouvelle mandature, ce rôle de fournisseur du personnel politique de l’administration est apparu de manière flagrante, et ce jusqu’au niveau ministériel. Parmi les quatorze ministres ou secrétaires d’Etat qui pourraient être considérés comme venant de la « société civile », la plupart d’entre eux avaient auparavant exercé de très hautes responsabilités administratives, le plus souvent de direction d’administration centrale. Il ne s’agit plus de débattre de l’opportunité ou non pour les ministres de choisir directement les directeurs et directrices de leurs administrations centrales (système des dépouilles, ou spoils system à la française) : il s’agit de constater que, avec une ampleur inédite dans l’histoire de la République, on choisit les ministres parmi les directeurs et directrices de l’administration.

Les propositions politiques émanent dès lors directement des fonctionnaires et agents publics

Le second rôle traditionnel des partis politiques, l’élaboration du programme et des idées, est aujourd’hui aussi assuré de manière exacerbée par l’administration, parachevant cette mutation vers une administration-parti. La diminution de la taille des cabinets ministériels a accéléré ce mouvement : supposés orienter l’action de l’administration dans le sens souhaité par les ministres, leur réduction à portion congrue ne leur permet de jouer ce rôle qu’à la marge. Les propositions politiques émanent dès lors directement des fonctionnaires et agents publics. Ce rôle inédit de l’administration a trouvé son paroxysme dans le recours aux ordonnances pour la libéralisation du marché du travail : élément-clé du programme présidentiel de M. Macron, les modalités de cette réforme et leur négociation ont été confiées en intégralité aux fonctionnaires. Il n’a été demandé qu’une chose aux députés de la majorité parlementaire : l’entériner.

Ayant pour objectif d’assurer la continuité de l’Etat, l’administration a toujours disposé d’un pouvoir propre, par-delà les changements politiques. Cette autonomie se combine en outre avec une ligne idéologique spécifique à chaque administration et remarquablement figée, en lien avec son champ de compétence : la direction du budget vise ainsi la réduction des dépenses publiques avant tout et les directions de la police et de la gendarmerie nationales se concentrent, elles, sur le maintien de l’ordre public, tandis que celles chargées de la santé ou de la nature maintiennent respectivement un œil plus attentif sur les questions de prévention sanitaire et de biodiversité.

Paravent du « pragmatisme »

La nouveauté réside dans une communion totale entre l’idéologie du gouvernement actuel et celle des administrations dominantes dans le jeu interministériel – en premier lieu les ministères de l’économie et de l’intérieur. Le reaganisme des « premiers de cordée » (ou « économie du ruissellement ») censés tirer la croissance est par exemple porté depuis des années par les principales administrations de Bercy. De même, Beauvau n’a jamais fait mystère de ses velléités sécuritaires et répressives. La politique du gouvernement se dissimule enfin derrière le même paravent du « pragmatisme » que la haute administration française, dont le « bon sens » autoproclamé se pense capable de distinguer les « bonnes » politiques publiques – la baisse de cotisations sociales – des « mauvaises » – les emplois aidés – à l’aune d’une « efficacité » en permanence invoquée mais très rarement évaluée.

Un risque se détache particulièrement de cette confusion entre administration et politique : le remplacement de la démocratie par la technocratie

Cette confusion s’appuie sur des éléments anciens, ancrés dans la culture administrative française. Les hauts fonctionnaires de gauche et de droite ont toujours peuplé les cabinets ministériels et alimenté en propositions leurs partis politiques respectifs. Mais c’est justement l’absence de ce rôle d’interface précédemment exercé par les partis, de filtre entre la haute administration et la politique, qui constitue la particularité du macronisme. Cause ou conséquence de l’apathie du parti présidentiel, peu importe finalement : tout se passe aujourd’hui comme si les administrations dominantes, empêchées de mettre en place ces « réformes nécessaires » pendant trop longtemps, disposaient finalement des coudées franches pour « enfin » réformer le pays sans avoir à composer avec des exigences partisanes.

Lire aussi :   Comment Emmanuel Macron se comporte en « DRH » de la République

Un risque se détache particulièrement de cette confusion entre administration et politique : le remplacement de la démocratie – littéralement, le « pouvoir du peuple » – par la technocratie, au sens premier du terme : le pouvoir des techniciens. Tendant à accréditer l’idée d’une seule politique « réaliste », commune à la droite et à la gauche, cette dérive contribue à déplacer progressivement le clivage gauche/droite vers un clivage entre réalisme et populisme, dont l’extrême droite tire pleinement son épingle du jeu. Elle conduit, de plus, à délocaliser ce qu’il reste du débat sur la politique gouvernementale au sein de la haute administration, entre fonctionnaires, et non plus à l’Assemblée nationale et au Sénat, entre représentants du suffrage universel. Elle fait apparaître, en creux, une urgence éthique et démocratique : la repolitisation du débat public.


Ce collectif se fait appeler Léa Guessier, et réunit de hauts fonctionnaires souhaitant rester anonymes

Source:©  Macronisme : « La haute administration, le véritable parti présidentiel »

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