Le président qui avait opté pour une parole rare privilégie désormais une communication plus débridée, au risque de voir ses messages brouillés.
Comment renverser la tendance, alors que les turbulences sondagières s’amplifient? Il y a un peu plus d’un an, Emmanuel Macron faisait le choix d’une parole rare, contrôlée, en majesté, pour trancher avec le bavardage des années Hollande. C’était le poids du silence et le choc des photos: le président à bord d’un command-car ; hélitreuillé au-dessus d’un sous-marin ; en uniforme de pilote d’avion de chasse ou muni de gants de boxeur, etc. Mais cette communication léchée ne semble plus avoir les faveurs des stratèges du président de la République.
Depuis quelques semaines, Emmanuel Macron distribue une parole quasi quotidienne, où les registres se suivent et ne se ressemblent pas. Un jour, le président fait résonner la musique électro dans la cour d’honneur de l’Élysée, puis pose avec Kiddy Smile dans un salon de la présidence. Un autre, il rend hommage à Simone Veil, sur le perron du Panthéon, dans une scénographie télévisuelle grandiloquente. Ou encore, il utilise le terme de «pognon» pour parler des aides sociales. Ironie de l’histoire, certains opposants l’accusent désormais de désacraliser la fonction présidentielle. Cela n’empêche pas le chef de l’État de continuer à se prêter au jeu des reportages people, pour le papier glacé des magazines, comme lors de son escapade au Taj Mahal, en Inde.
Coups de com’
Lui qui ne jurait plus que par une communication sans intermédiaire a retrouvé goût aux grandes interviews télévisées, comme sur TF1 ou BFMTV pour son premier anniversaire au pouvoir, où il faisait face à des journalistes. Lui qui se moquait des commentateurs qui préfèrent le «contexte au texte», le sondant pour savoir s’il avait préparé «ses vœux de jour, de nuit, s’ils seront debout, assis, couchés», n’hésite plus à glisser une caméra dans la coulisse du pouvoir. Puis, à rendre publiques les images. On voit ainsi Emmanuel Macron préparer son discours du lendemain, lors de sa virée en Bretagne le 20 juin. Le président est à table. Une bouteille de vin trône devant lui.
«Pour toucher les Français, il faut leur parler comme eux, en utilisant des formats non éculés, en continuant à casser les formats, en étant dans le renouvellement efficace»
On voit surtout Emmanuel Macron, le 13 juin 2018, dans une réunion de travail, prôner devant ses conseillers, la refonte du système des aides sociales, jugée inefficace par l’hôte des lieux. La séquence – qualifiée de «grossière sur la forme» par François Hollande – a enflammé les réseaux sociaux: 400.000 vues rien que sur le compte Twitter du président. «Pour toucher les Français, il faut leur parler comme eux, en utilisant des formats non éculés, en continuant à casser les formats, en étant dans le renouvellement efficace, commente un communicant du gouvernement. Il faut arriver à contourner la présomption d’insincérité du langage des politiques.»
Ce succès d’audience n’est rien comparé au carton enregistré par la scène désormais fameuse, dans laquelle Emmanuel Macron enguirlande un collégien qui a osé appeler le chef de l’État «Manu», en marge des festivités du 18 juin au mont Valérien. Les images ont tourné en boucle, avant que l’Élysée ne rebondisse sur le phénomène pour mettre en ligne la séquence entière de l’échange – elle sera visionnée 1,6 million de fois sur le compte du président. Par ces coups de com’, le président de la République parvient à faire passer des messages (le respect de l’autorité, la nécessité de réformer le système social, etc.) à un très large public. Personne, dans la classe politique, ne parvient à égaler cette puissance de frappe. Pour comparer, les Facebook live hebdomadaires du premier ministre Édouard Philippe enregistrent habituellement quelques dizaines de milliers de vues.
Reprendre la main
Cette frénésie communicationnelle n’est pas sans inconvénients. Elle peut brouiller la cohérence du message global ou faire primer la forme sur le fond. «Quand on veut casser les codes à tout prix, pour le principe de transgresser, on finit par prendre le risque de l’irrespect», grince un ancien conseiller de François Hollande. Parfois, un échange franc ou une blague du chef de l’État, diffusés par les médias, viennent percuter le message initialement prévu. «Les médias étaient obnubilés par la blague de Macron sur les Bretons devant le Pape, s’étrangle un membre du gouvernement. Du coup, personne n’a parlé de leur conversation sur la bioéthique.»
Cette subite propension à communiquer traduit-elle la volonté de reprendre la main, alors que les critiques se cristallisent sur le «président des riches», que la majorité est traversée de tensions internes et que la crise européenne risque de peser sur les élections de 2019? Si le président parle beaucoup, c’est aussi parce que son gouvernement peine à peser sur le débat public. Ministres «technos», membres du gouvernement peu rodés au jeu médiatique, peur de commettre la boulette qui fera le buzz… Un conseiller ministériel résume, lucidement: «Il n’y a qu’une personne qui écrive actuellement dans l’Évangile, c’est le président.»
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Journaliste
Source :© Macron: les limites d’une stratégie de communication