Toulouse, 5 juin. – Prenant la parole dimanche à Toulouse devant des militants socialistes. M. Guy Mollet a commenté en ces termes la situation au Moyen-Orient : ” Il ne m’est pas possible de taire notre surprise et notre tristesse quand nous avons pris connaissance de la déclaration faite à l’issue du dernier conseil des ministres et dont on a tenu à préciser qu’elle était de la main même du général de Gaulle. Surprise en apprenant que la France n’était engagée à aucun titre ni à aucun sujet avec aucun des Etats en cause. La tradition républicaine veut que l’Etat soit toujours engagé par les décisions des gouvernements qui se succèdent. La France n’a pas commencé en 1958 et elle ne prendra pas fin avec la disparition du gaullisme. Et d’ailleurs le général de Gaulle ne s’est-il pas lui-même engagé à l’égard d’Israël lorsque Ben Gourion le saluait comme l’ami et l’allié ?
” Et quelle tristesse aussi de voir la France adopter ce comportement. Les U.S.A. et la Grande-Bretagne ne sont pas plus ” alliés ” ni ” engagés ” que nous. C’est le même jour et dans le même débat aux Nations unies, en mars 1957, que furent pris ces engagements sur la libre circulation dans le golfe d’Akaba ; si ces nations jouaient elles aussi aux Ponce-Pilate et adoptaient la même attitude que la France, ce serait la guerre et peut-être un monstrueux pogrome.
” Comment, après cela, oser parler du droit de vivre d’Israël ? Comment encore oser présenter cette étonnante définition de l’agresseur : celui qui le premier prendrait les armes ? Alors, un blocus n’est pas une agression ? Tout le droit international s’inscrit en faux contre cette conception.
” Nous avons dit dès la première heure notre accord avec la proposition française d’une concertation entre les quatre grandes puissances. Il nous faut le répéter, mais préciser avec toute l’insistance possible qu’une telle concertation n’a d’intérêt que si elle ne doit pas aboutir à des conclusions munichoises. “
M. Guy Mollet a poursuivi : ” La déclaration du général de Gaulle est grave. Israël se trouve dans la situation de la Tchécoslovaquie en 1938. C’est préparer la guerre que tenir le langage de la France. Je ne veux pas qu’on dise que j’ai eu raison en 1956. J’aurais voulu avoir tort. L’important est, maintenant, que les adversaires de l’opération de Suez comprennent qu’il faut sauver Israël, ce pays de pionniers fait avec des rescapés des camps de la mort et qui a forgé sa prospérité dans un désert et forcé l’admiration du monde. “
Source: M. GUY MOLLET : surprise et tristesse devant la déclaration du général de Gaulle.