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Qui imaginait que, condamné pour corruption, Lula reviendrait trois ans plus tard occuper une nouvelle fois le palais du Planalto à Brasilia? Carl DE SOUZA / AFP
PORTRAIT – Le candidat de gauche Luiz Inácio Lula da Silva a remporté son duel dimanche face au président sortant Jair Bolsonaro. Il revient ainsi au pouvoir. Source:© Lula, la vie hors du commun de l’infatigable champion de la gauche brésilienne

PORTRAIT – Le candidat de gauche Luiz Inácio Lula da Silva a remporté son duel dimanche face au président sortant Jair Bolsonaro. Il revient ainsi au pouvoir.

Jeudi, à trois jours du second tour de l’élection présidentielle du Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva a soufflé dans l’intimité 77 bougies sur son gâteau d’anniversaire. Un moment de répit dans une campagne électorale violente comme le vieux lutteur n’en avait jamais connu lors de ses cinq précédentes candidatures. Son élection dimanche face au président sortant Jair Bolsonaro est sans guère de doute la dernière de l’icône de la gauche latino-américaine, dont la longue vie politique et personnelle a été marquée de drames, de victoires, de chutes, de renaissance.

Il ne faut jamais enterrer trop vite un homme politique de la trempe de Lula, né dans la misère et qui s’est déjà hissé deux fois à la présidence (2003-2010). Qui imaginait que, condamné pour corruption, il reviendrait trois ans plus tard occuper une nouvelle fois le palais du Planalto à Brasilia, après avoir défait Jair Bolsonaro qui lui souhaitait de « pourrir » le reste de sa vie dans une cellule ? « Le Nordestin qui a survécu à la faim ne craint rien », avertissait Lula en recouvrant la liberté après 580 jours en prison. Lancée depuis des mois, la campagne fut sans pitié face à un adversaire maître dans la désinformation et beaucoup plus résistant que prévu par les sondages.

Un demi-siècle d’histoire

Attaqué sur la religion ou la corruption, Lula a répondu coup pour coup, il a multiplié chaque jour entretiens matinaux, réunions publiques, déplacements à travers le pays… Sa voix inimitable est encore plus rauque, sa barbe a blanchi, ses cheveux en bataille se sont éclaircis. Mais son énergie, sa combativité, son instinct politique semblent inaltérés. Champion de la lutte pour la justice sociale pour les uns ou incarnation de la corruption pour les autres, il met les Brésiliens d’accord sur un point : il a marqué un demi-siècle d’histoire de cet immense pays de 214 millions d’habitants.

Pour l’historien et universitaire américain John D. French, Lula est « le Pelé de la politique », en référence au plus grand footballeur brésilien de tous les temps. Son extraordinaire résilience a marqué toute sa vie : depuis l’enfant né dans la grande pauvreté dans l’aride sertao du Nordeste, au jeune cireur de chaussures dans la métropole de São Paulo, au leader syndical animateur des grandes grèves de la fin des années 1970, à sa première élection à la présidence en 2002, au chef d’État parlant d’égal à égal avec Barack Obama. Jusqu’à la disgrâce de sa condamnation et de la prison.

« La ténacité et la force » de Lula se sont forgées à la fin des années 1970 lors des grèves dans la banlieue ouvrière de São Paulo qui ont ébranlé la dictature militaire (1964-1985), estime John D. French, auteur de la biographie Lula and his politics of cunning (« Lula et l’art de la manœuvre » en traduction libre), aux éditions The University of North Carolina Press. Il suffit de le voir dans l’un de ses épuisants meetings de campagne à travers le pays. Le micro à la main, Lula fait les cent pas sur la scène, martèle ses phrases de grands gestes, sa voix enfle quand il dénonce les injustices, la pauvreté et promet de réconcilier un pays fracturé par Bolsonaro. La marée rouge de ses partisans se laisse emporter par ce tribun hors pair. C’est un don qu’il a travaillé. Il a raconté au magazine allemand Der Spiegel que, lorsqu’il était jeune syndicaliste, pour surmonter sa nervosité avant de prendre la parole, il s’exerçait chez lui à discourir devant une photo sur laquelle figurait une multitude de personnes.

Lula était un leader, toujours prêt à se dresser et à se battre quand il le fallait, mais ouvert au dialogue

John D. French au Figaro

Lula « était un leader, toujours prêt à se dresser et à se battre quand il le fallait, mais ouvert au dialogue », dit John D. French au Figaro. Il n’a jamais été un révolutionnaire cherchant à renverser le capitalisme. « Il savoure les calculs, les feintes, les avancées qui font le monde de la politique », dit encore l’universitaire. Au point de tomber dans les combines politiciennes : il fut éclaboussé par le scandale dit du « Mensalao », une affaire d’achat de votes de députés qui a discrédité le PT mais dont il est sorti indemne avant d’être facilement réélu en 2006. Son pragmatisme lui fut parfois reproché. Mais il est la clé de son succès politique. Entre les deux tours, il a réussi à réunir un large front « pour la démocratie » avec d’anciens rivaux politiques et a même abandonné en fin de campagne sa chemise rouge trop marquée à gauche.

Le syndicaliste à la barbe hirsute

Lula, diminutif affectueux de Luiz, est né le 27 octobre 1945 dans le village de Caetes, dans l’État du Pernambouc, septième et avant-dernier enfant d’agriculteurs pauvres. Le sol de la maison de deux pièces est en terre battue, il n’y a ni table ni chaise, les enfants dorment dans des hamacs. Son destin a basculé quand, à l’âge de 7 ans, sa mère Lindu embarque toute la famille dans un épuisant voyage de treize jours en camion pour rejoindre São Paulo où son mari est parti chercher fortune.

La vie est dure, mais pour la première fois, le jeune Lula va à l’école. Son autre école sera celle de la rue où il se fait cireur de chaussures. Adolescent timide mais ambitieux, il suit une formation professionnelle et devient ouvrier métallurgiste dans une usine automobile de la région de São Paulo. C’est là qu’il perd l’auriculaire gauche dans un accident du travail. À cette époque, il était plus intéressé par les filles que par la politique.

Quand son frère Frei Chico l’incite à s’inscrire au syndicat, Lula lui répond : « est-ce que j’ai une tête de canaille à faire partie d’un syndicat ?», a rapporté Denise Parana dans sa très élogieuse biographie Lula, l’enfant du Brésil. La suite est bien connue : le syndicaliste à la barbe hirsute défiant la dictature, son arrestation et, déjà, la prison ; la fondation en 1980 du Parti des Travailleurs ; ses trois échecs avant son élection en 2002 à la présidence, un séisme dans ce pays terriblement inégalitaire.

De ses deux mandats, les Brésiliens retiennent surtout sa politique sociale qui a sorti 30 millions de personnes de la misère, financée par le boom des matières premières et une politique fiscale orthodoxe. Près de neuf Brésiliens sur dix – un score à la soviétique – ont de lui une opinion favorable quand il laisse en 2011 la place à son héritière Dilma Rousseff. Il est pourtant rattrapé par le gigantesque scandale de corruption mis au jour par l’opération « Lava Jato » (Lavage express).

C’est le jour le plus important de ma vie

Lula aux journalistes, en allant voter ce dimanche

Sa condamnation en 2018 l’empêche de concourir à l’élection présidentielle. Il crie au complot. Mais dans un revirement surprise, la Cour suprême annule ses condamnations. Le voilà libre de défier Jair Bolsonaro. Il a surmonté un cancer du larynx. Sa force, dans une vie non exempte de drames intimes, il la doit aussi aux femmes : d’abord sa mère, Lindu, un exemple de « courage » et de « générosité », selon sa biographe. Sa première femme, Maria de Lourdes morte en couches d’une hépatite mal soignée en 1971, sa deuxième épouse Marisa Leticia, dont il a eu quatre enfants et qui a partagé sa vie pendant plus de trente ans, victime d’un AVC. Et enfin, Rosangela, dite « Janja », une sociologue de 20 ans sa cadette, qu’il a épousée en mai. « Je suis amoureux d’elle comme si j’avais 20 ans », a-t-il confessé. Encore le fougueux jeune homme derrière le vieux lutteur. À partir de ce soir de nouveaux défis attendent encore Luiz Inacio Lula da Silva. Dimanche, en allant voter dans son fief de la banlieue ouvrière de São Paulo, il a confié aux journalistes : « C’est le jour le plus important de ma vie ».

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