Fanfan la Tulipe, La Chartreuse de Parme, Le prince de Hombourg... Il était une star disparue, à 36 ans, en pleine gloire. Retour sur la vie de ce comédien hors du commun, qui aurait eu cent ans et à qui la cinémathèque consacre jusqu'au 22 décembre une rétrospective.
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Fanfan la Tulipe, La Chartreuse de Parme, Le prince de Hombourg… Il était une star disparue, à 36 ans, en pleine gloire. Retour sur la vie de ce comédien hors du commun, qui aurait eu cent ans et à qui la cinémathèque consacre jusqu’au 22 décembre une rétrospective.
Dans la mémoire des enfants des années 50, Gérard Philipe demeure Fanfan la Tulipe, un film de Christian-Jaque, ce fils de paysans à qui une prétendue diseuse de bonne aventure a prédit qu’il épouserait la fille de Louis XV.
Les cinéphiles préfèrent disserter autour de La Chartreuse de Parme avec Maria Casarès, ou Le diable au corps, avec Micheline Presle qui vient de fêter son centenaire. À ces images en noir et blanc, que l’on peut revoir jusqu’au 22 décembre à la Cinémathèque de Paris, s’ajoutent celles conservées dans les archives de la télévision alors naissante. Le comédien décédé d’un cancer foudroyant en 1959, en pleine gloire, à l’âge de 36 ans, elles sont particulièrement rares. Parmi elles, figure un reportage diffusé dans Cinq colonnes à la une, un an après son départ. Madelen vous propose de découvrir ou de redécouvrir cette séquence, où il évoque un parcours au cœur de la compagnie du Théâtre National Populaire, à Avignon et à Prague, lié à celui qui a été le premier à croire en son talent d’exception, Jean Vilar.
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Le metteur en scène le découvre un soir en assistant à une représentation de Caligula, une pièce d’Albert Camus. Il est impressionné par sa personnalité, son talent, l’émotion qu’il transmet au public . Il lui propose aussitôt de jouer le rôle de Rodrigue dans Le Cid, qu’il s’apprête à monter pour la deuxième édition du Festival d’Avignon. La réponse est immédiate et sans appel : c’est non. La tragédie ? Il n’est pas fait pour ça. Furieux, Vilar claque la porte de celui qu’il qualifie alors de «petit con».
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Deux ans plus tard, un soir de novembre 1950 très exactement, Gérard Philippe frappe timidement à la porte de la loge de Jean Vilar, qui joue Henri IV, de Pirandello, au théâtre de l’Atelier. Après les compliments d’usage, un silence gêné s’établit. Tout en se démaquillant, Vilar observe du coin de l’œil cet homme dont le regard clair et franc, dégage un mélange de force et d’immense fragilité. Faisant comme si rien ne s’était passé, il lui propose, presque naturellement, de participer au prochain Festival d’Avignon, en jouant Le prince de Hombourg, un drame inspiré des mémoires de Frédéric II, roi de Prusse de 1740 à 1786. La réponse est immédiate et enthousiaste. Après un nouveau silence, Gérard Philipe lance timidement : «Et le Cid ?»
En fait, au cours des mois précédant cette rencontre, Gérard Philipe a dressé une liste exhaustive des «hommes de théâtre» avec qui il aimerait travailler. Après avoir passé au crible la carrière de chacun d’entre eux et les possibilités que cela lui donnerait, il s’est rendu compte que seul Jean Vilar cochait toutes les cases. D’où sa démarche… Entre Avignon, le Théâtre National Populaire, dont Vilar prend la direction en 1951, et les tournées dans le monde, Gérard Philipe va jouer Le Cid à 199 reprises, et 120 fois le Prince de Hombourg. Il va également être pendant 99 soirs à l’affiche de Lorenzaccio, interpréter 84 fois Ruy Blas, 34 fois Les Caprices de Marianne , et terminer sa trop courte carrière avec On ne badine pas avec l’amour. Ses cachets sont beaucoup plus modestes que ceux proposés par les producteurs de cinéma, mais peu lui importe. «Chaillot, c’est ma maison !», a-t-il alors l’habitude de dire pour expliquer la fidélité d’un engagement sans faille avec celui qu’il considère comme un second père et qui le surnomme affectueusement «fiston» ou «mon brave garçon».
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Gérard Philipe n’imaginait pas ce destin lorsque pendant la guerre, à Cannes, où il est né, il fait la connaissance d’artistes réfugiés sur la Côte d’Azur (sa ville natale lui consacre également une rétrospective). Fasciné par cet univers, il décide de désobéir à un père ayant décidé qu’il deviendrait juriste. Avec l’accord de sa mère, il change d’orientation et ajoute un «e» à Philip, afin que son nom comporte 13 lettres. Sa mère, particulièrement superstitieuse, lui a assuré que cela lui porterait bonheur. Elle était alors loin d’imaginer la dimension de sa postérité.
Rétrospective « Gérard Philipe, ou le romantisme ruiné ». Du 7 au 22 décembre. Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, 12ᵉ. 5,50-7€.