La victoire de Donald Trump il y a un an avait fait craindre les pires conséquences économiques. Or la plupart des indicateurs sont au vert. Pour combien de temps ?
Un Prix Nobel peut se tromper. C’est plus rare qu’il le reconnaisse. Ce 8 novembre 2016, Paul Krugman écrit : ” Il semble vraiment que Donald Trump soit le président et les marchés plongent. Quand peuton s’attendre à ce qu’ils rebondissent ? Une réponse préliminaire est : jamais. ” L’éditorialiste star du New York Times vient de se fourrer le doigt dans l’oeil jusqu’à l’omoplate, prédisant ” une récession mondiale sans fin “. Le Prix Nobel fera amende honorable trois jours plus tard et il vient encore, un an après l’élection de Trump, de rappeler son erreur dans les colonnes du quotidien new-yorkais.
Et quelle erreur ! Aujourd’hui, tous les signaux de l’économie américaine sont au vert. La Bourse ? Depuis le scrutin, le Dow Jones affiche une hausse de plus de 25 % et rien ne semble pouvoir faire vaciller Wall Street ni les frasques présidentielles, ni les tensions avec la Corée du Nord, ni même les ouragans en série. Un ” marché Téflon “, dit l’analyste Jim Paulsen, qui s’explique par un seul mot : ” L’économie “. La croissance frise les 3 % annuels. L’emploi ? Le taux de chômage est tombé à 4,2 %, au plus bas depuis presque seize ans, et 1,7 million de jobs supplémentaires ont été créés depuis l’élection.
Du côté des ménages, l’endettement (en pourcentage du revenu disponible) est à son plus bas niveau depuis 1980 ; les ventes de nouveaux logements n’ont jamais été aussi fortes depuis vingt-cinq ans. Les entreprises, elles, sont en pleine forme et investissent : les commandes de biens durables ont augmenté de 5,2 % au cours des neuf premiers mois de l’année et les profits des entreprises cotées en Bourse devraient encore afficher une progression ce trimestre, la cinquième d’affilée.
103e mois de hausse des marchés
Inutile de dire que cette avalanche de bonnes nouvelles n’est pas passée inaperçue à la Maison-Blanche. Donald Trump tweete à longueur de journée sur le boom de la Bourse, tandis que sa porte-parole se fait lyrique : ” L’histoire regardera ce président comme quelqu’un qui a bâti une économie plus forte qu’elle ne l’avait été depuis des décennies. ” La réalité ? Comme toujours avec Trump, quelque peu différente de la version officielle. D’abord, une évidence : seulement neuf mois après le début d’un mandat, ” les mesures que prend le président ont encore peu d’impact sur les gains d’emplois, la croissance économique ou le chômage “, rappelle Neil Irwin, au New York Times.
Et, de fait, la performance de l’Amérique de Trump est dans la parfaite ligne de la reprise amorcée sous Barack Obama. Wall Street connaît son 103e mois (!) de marché ” bullish “, et quand l’Amérique a détruit plus d’emplois qu’elle n’en créait, en septembre, c’était la première fois depuis 2010 qu’un tel phénomène se produisait. Ensuite, même comparée à Obama, la performance de Trump n’a rien d’extraordinaire. Tout récemment, le président s’est vanté d’avoir fait franchir à l’économie le cap des 3 % de croissance, ” un chiffre que n’avait jamais atteint Obama ” ; dans la réalité, la croissance a atteint ou dépassé 3 % pendant huit trimestres sous Obama. Les créations d’emplois : le chiffre de Trump pour les neuf premiers mois de sa présidence est de 1,33 million d’emplois nets créés, il est inférieur au score enregistré chaque année sur la même période, de 2012 à 2016.
La Bourse : le Dow Jones avait progressé de près de 150 % sous la précédente administration. ” Wall Street connaissait une hausse remarquable avant que le président ne soit en place et la Bourse se porte bien, aujourd’hui, parce que l’économie va bien et que les profits sont au mieux “, note Chuck Schumer, le leader démocrate du Sénat. Cette bonne fortune est encore renforcée par la conjoncture mondiale, aucune grande région ne souffrant de récession. Le fabricant d’engins Caterpillar, véritable baromètre de la conjoncture mondiale, bénéficie à la fois d’un boom de la construction aux Etats-Unis et d’une embellie de l’économie mondiale.
Croissance des salaires atone
Troisième bémol : tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. La croissance des salaires dépasse péniblement 2 % du fait d’une productivité anémique, un phénomène structurel bien plus lourd de conséquences que telle ou telle mesure présidentielle. Ceci explique peut-être le fait que, selon Gallup, 42 % des Américains estiment que l’économie s’améliore contre 53 % qui jugent qu’elle empire, un solde négatif pour la première fois depuis l’élection. Les Américains sont d’ailleurs partagés sur la performance économique de Trump, 48 % lui décernant une bonne note et 46 %, une mauvaise. Paradoxe ? L’envolée de la Bourse profite aux plus riches, la plupart des Américains gagnant moins de 50 000 dollars par an ne possédant aucune action. Rappel nécessaire : les 1 % les plus fortunés accaparent 38,6 % de la richesse nationale…
Toutes ces nuances ramènent à une question centrale : le boom actuel de l’économie s’est-il produit grâce à Trump, ou malgré lui ? Il est indéniable que le monde des entreprises a fêté sa victoire surprise et que celle-ci a provoqué un regain d’optimisme parmi les chefs d’entreprise. A la Bourse, l’anticipation de baisses d’impôt massives est même à l’origine d’une bonne partie des gains, et « vous verrez une portion significative de ces gains s’évaporer » si la réforme échoue, menace le secrétaire au Trésor. Mais pour le reste ? Le boom des entreprises de la Silicon Valley, par exemple, ne doit rien à la présidence de Trump. Ce dernier, malgré ses annonces en fanfare, n’a encore pris aucune décision protectionniste et ses mesures de déréglementation n’ont pas eu le temps de produire d’effet.
L’économie américaine donne plus l’impression d’un lourd porte-avions sur sa lancée que d’un destroyer ayant brusquement viré de bord. Ce qui n’exclut pas les icebergs. Richard Thaler, le nouveau Nobel d’économie, n’en revient pas que les milieux économiques restent aussi calmes avec un président si agité : « Nous semblons vivre les moments les plus risqués de notre vie, et pourtant la Bourse a l’air de faire sa sieste. J’avoue ne pas comprendre », confiait-il récemment à Bloomberg. Dans l’euphorie du moment, il est bien seul.
Philippe Boulet-Gercourt (correspondant à New York)
Source:© L’insolente santé de l’économie américaine se joue des anti-Trump