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Jean-Paul Delevoye, le 6 décembre à Paris. BENOIT TESSIER / REUTERS

Selon nos informations, le secrétariat général du gouvernement était au courant du cumul de rémunérations opéré par le haut-commissaire lorsqu’il était chargé de la réforme des retraites.

Du premier ministre Edouard Philippe au ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer, tout le gouvernement a défendu « la bonne foi » du haut-commisaire aux retraites et plaidé « l’erreur » d’un homme.

Mais derrière « l’erreur » personnelle se cache aussi celle du sommet de l’Etat, qui a failli dans sa mission de contrôle et d’application de la loi. Et possède donc sa part de responsabilité dans le fiasco, qui a abouti à la démission de Jean-Paul Delevoye, lundi 16 décembre.

Ainsi, au cœur de l’affaire, et en marge des dix mandats que ce dernier a omis dans sa déclaration d’intérêts à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), se trouve le problème du cumul de mandats publics et privés, et des rémunérations correspondantes. En clair, tandis qu’il entrait au gouvernement comme ministre des retraites en septembre, M. Delevoye a conservé son activité de président d’honneur d’un think tank, Parallaxe, adossé à un groupe de formation privé IGS, et rémunéré plus de 5 000 euros net par mois. Un cumul formellement interdit par la Constitution.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Jean-Paul Delevoye reconnaît finalement 13 mandats sur sa déclaration d’intérêts, avec des salaires révisés à la hausse

Contrôle express de tous les ministres pressentis

Or, selon les informations du Monde, cette situation de cumul de mandats était connue du secrétariat général du gouvernement (SGG), rattaché au premier ministre, dès 2017, et avait fait l’objet d’une décision validée par Matignon, sans qu’il y en ait toutefois de trace écrite.

M. Delevoye est l’un des meilleurs connaisseurs du système. Au moment de fixer sa rémunération de haut-commissaire à la réforme des retraites – un poste de haut fonctionnaire – toutes ses sources de revenus sont examinées, de ses pensions de retraite à sa fonction de délégué général rémunéré d’un centre d’études du groupe IGS – à laquelle se substituera ensuite le fameux contrat Parallaxe.

Le « précédent (Jean-Louis) Nadal » est évoqué, car le président de la HATVP depuis 2013 a vu son salaire mensuel plafonné pour tenir compte de sa pension de retraite d’ancien magistrat. Décision est prise, par le sommet de l’Etat, d’aligner sur ce cas la rémunération du nouveau haut-commissaire : celle-ci est fixée à 5 500 euros net mensuels.

Ce cumul de rémunérations publiques et privées est donc parfaitement connu, quand, en septembre 2019, M. Delevoye est promu au rang de ministre aux retraites. D’autant que la situation fiscale de celui qui s’apprête à entrer au gouvernement est préalablement vérifiée, dans le cadre du contrôle express qui s’applique désormais, par sécurité, à tous les ministres pressentis. Pourtant rien ne se passe. M. Delevoye prend ses fonctions en continuant d’être payé par le privé, « du jamais vu », pointe le président d’Anticor, Jean-Claude Picard, pour qui « il ne s’est jamais produit qu’un ministre continue son activité professionnelle au gouvernement, tous ont régularisé leur situation ».

La situation de M. Delevoye avait été validée en 2017

Certes, M. Delevoye aurait dû, dès 2017, saisir de lui-même le SGG, son supérieur hiérarchique, de sa situation, comme également la Commission de déontologie de la fonction publique d’une demande de cumul d’activités. Ce qu’il n’a pas fait, se contentant de conseils informels, confirme son entourage.

Mais à aucun moment les services de l’Etat n’ont servi de corde de rappel. Au Monde, alors qu’il est sur le point de démissionner lundi, M. Delevoye a affirmé qu’il ne veut pas « rejeter la faute sur quiconque, mais sur lui-même ». « C’est mon erreur, une légèreté coupable, je l’assume et je répare, dit-il, c’est la dure loi de la responsabilité, même si je paye un prix très lourd sur le plan personnel. » Mais l’ex-ministre confirme aussi « n’avoir eu de mise en garde de personne ». « Ma situation avait été validée en 2017, je n’ai pas pensé qu’il y aurait un problème. J’ai fait preuve d’un excès de confiance, il s’agissait d’activités dans le domaine de l’éducation. »

De l’avis de fins connaisseurs de la fonction publique, c’est dès sa première nomination comme haut-commissaire en 2017 que M. Delevoye aurait dû renoncer à travailler pour le groupe IGS. Car avant même de devenir anticonstitutionnel, ce cumul était interdit par la loi sur la fonction publique. Celle-ci tolère certes des dérogations – pour des fonctionnaires à temps partiel qui donnent des cours… – mais ni le poste de haut-commissaire chargé d’élaborer une réforme clé du quinquennat ni les 5 000 euros mensuels perçus grâce à ce contrat privé ne permettaient de dérogation.

« Un haut-commissaire est un haut fonctionnaire, un agent public. Il est soumis à des règles, il doit consacrer l’intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées, constate M. Picard d’Anticor. Faut-il qu’au sommet de l’Etat on se sente au-dessus des lois… »

« Les services du premier ministre ont couvert ces erreurs »

« Les services du premier ministre ont couvert ces deux erreurs lorsque leur rôle est de prévenir ce genre de situations », a déclaré de son côté à Libération, le 15 décembre, René Dosière, le président de l’Observatoire d’éthique publique.

Sollicité, le SGG n’a pas donné suite. M. Delevoye estime pour sa part qu’un débat juridique va s’engager. Pour l’heure, il n’a remboursé que 7 000 euros sur les près de 140 000 euros perçus de la part d’IGS depuis septembre 2017. Il veut mettre le reste de la somme sous séquestre, le temps qu’une expertise juridique tranche la question.

C’est dans ce contexte que doit se réunir, mercredi 18 décembre, le collège de la HATVP, pour décider ou non de transmettre le « dossier Delevoye » à la justice. Si les transmissions en matière de manquements dans les déclarations d’intérêts sont rares et se règlent d’ordinaire par des déclarations rectifiées – M. Delevoye ayant corrigé la sienne le 13 décembre – la médiatisation de l’affaire et la pression sur l’institution sont telles, que l’autorité administrative devrait difficilement faire l’économie d’un « article 40 » du code pénal qui oblige toute autorité ou fonctionnaire à signaler au procureur tout crime ou délit.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les oublis en série de Jean-Paul Delevoye sur sa déclaration d’intérêts

Devant l’ampleur des omissions de l’ex-ministre – qui a oublié plusieurs mandats susceptibles de créer des conflits d’intérêts dans sa déclaration initiale, dont un poste d’administrateur dans une école de formation d’assureurs, et a minoré ses revenus –, Anticor a déjà demandé à la HATVP de saisir le parquet.

De son côté, le procureur de Paris, Rémi Heitz, a interrogé la HATVP, le 12 décembre, « sur la réalité des faits décrits » et demandé de lui « faire connaître les suites qu’elle entend y donner ».Lire aussi Delevoye, Rugy, Goulard, Benalla… les affaires qui ont ébranlé le quinquennat d’Emmanuel Macron

« Une chose est sûre, il y aura un après-Delevoye, estime un haut fonctionnaire, cette affaire plaide pour un renforcement des moyens de la HATVP, dont l’effectif d’une cinquantaine de personnes ne convient plus au rôle central qu’elle doit jouer dans la vie publique, et qui doit absorber la Commission de déontologie de la fonction publique en février 2020. »

Source:© L’indulgence du secrétariat général du gouvernement envers Jean-Paul Delevoye

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