Huit auteurs des attentats de jeudi vivaient dans la ville du nord de la Catalogne. Au cœur de l’enquête, le salafiste Abdelbaki Es Satty y dirigeait une mosquée et aurait radicalisé des habitants. …
Huit auteurs des attentats de jeudi vivaient dans la ville du nord de la Catalogne. Au cœur de l’enquête, le salafiste Abdelbaki Es Satty y dirigeait une mosquée et aurait radicalisé des habitants. Les enquêteurs pensent qu’il aurait perdu la vie dans l’explosion d’une maison à Alcanar.
Devant la mairie qui a hissé le drapeau indépendantiste catalan et un monastère historique dont les cloches carillonnent tous les quarts d’heure, c’est le chant des pleurs : un groupe d’une cinquantaine de musulmans de la localité de Ripoll – au nord de la région – s’épanchent et s’expriment avec émotion. «Pas en notre nom», clament-ils avec vigueur. Comprendre : nous condamnons la tuerie du 17 août. Parmi eux, des femmes parlent entre les larmes, s’étreignent en sanglotant. Samedi, en fin d’après-midi, ils ont quitté la modeste mosquée de la rue Progrés et, de façon improvisée, ont convergé vers le centre pour manifester leur répulsion contre l’attentat. Ripoll est l’endroit clé de la tragédie de Barcelone qui a fait 14 morts et une centaine de blessés. Sur les 12 terroristes – aujourd’hui tués, interpellés ou en fuite –, 8 résidaient dans cette bourgade de 11 000 habitants, majoritairement favorables à l’indépendance, où cohabitent quelque 500 Marocains. La plupart sont arrivés très jeunes en Catalogne, peu après leur naissance. D’autres y sont nés.
«Je ne peux pas croire une seconde que ces jeunes aient pu organiser un pareil massacre, enrage Wafa Marsi, 30 ans, une femme voilée aux yeux verts. Je les connaissais tous, depuis l’enfance. Ils étaient bons, joyeux et responsables. Quelqu’un leur a lavé le cerveau, il n’y a pas d’autre explication.» A côté d’elle, vêtue en djellaba noire, la mère des frères Oukabir, Moussa (17 ans, mort lors de la fusillade à Cambrils) et Driss, détenu, exprime son impuissance et sa consternation en arabe. Un peu à l’écart, un groupe d’hommes marocains ont une allure accablée. «C’est un salaud, c’est un salaud», répètent-ils en choeur. Pour eux, pas de doute, le responsable de cet attentat jihadiste n’est autre que l’imam de Ripoll, Abdelbaki Es Satty, 45 ans, un salafiste radical. «Il était très fermé, sérieux, je ne l’ai jamais aimé, confie Munir Laghmiri, ouvrier dans une usine de plastique. Il a bien caché son jeu. Je peux vous assurer que ce n’est pas dans la mosquée qu’il les a fanatisés, mais ailleurs.»
«Incompréhensible»
Comment est-il possible que, dans un village aussi retranché du nord de la Catalogne, de jeunes Marocains, décrits comme «aimables et bien intégrés», aient pu soudainement devenir des jihadistes disposés à massacrer des centaines de personnes à Barcelone ou Cambrils ? «C’est d’autant plus incompréhensible que la plupart d’entre eux, notamment les frères Hachemi et Aalaa, avaient un travail stable, ne savaient quasiment rien de l’islam et fréquentaient des Espagnols, commente Hannan, une Marocaine très émue qui a pris l’initiative de la manifestation devant la mairie. J’aurais mis ma main au feu pour eux.» Pourtant, lorsque les conversations s’allongent et les langues se délient, le récit diverge. Aina, 17 ans, intime de Houssaine Abouyaaqoub et de Moussa Oukabir – tués à Cambrils –, affirme que depuis trois mois quelque chose avait changé au sein de ce groupe d’amis : des vêtements plus longs, une attitude plus sérieuse, une certaine froideur et «des voyages fréquents à Barcelone ou à Vic».
A l’origine de cette «mutation» : l’imam Abdelbaki Es Satty. Arrivé à Ripoll en 2015, ce Marocain a d’abord pris en charge ce que les musulmans de la ville appellent la «petite mosquée». Un an plus tard, en avril, il ouvre un deuxième centre de culte, la «grande mosquée», qui n’héberge qu’une cinquantaine de fidèles. «Moi, j’ai cessé d’aller aux prières, confie Hassan, 39 ans. Son discours était modéré, mais il était bizarre, il donnait l’impression de comploter en permanence, il divisait la communauté.» En juin, Es Satty annonce qu’il renonce à sa fonction. Motif invoqué : il doit partir trois mois au Maroc pour rendre visite à des parents. En général, confirme-t-on, un imam ne prend pas plus de trois semaines consécutives de congé. Ensuite, les témoignages divergent. Certains affirment qu’il n’a plus jamais foulé Ripoll, d’autres qu’il y revenait de manière occasionnelle et furtive.
Trafic de hachisch
Le sort de l’imam est aujourd’hui au cœur de l’enquête policière. Nadir – un quadragénaire discret ne parlant que l’arabe –, qui partageait depuis deux ans avec lui un petit appartement au sixième étage d’un édifice proche de la mairie, soutient que mardi, soit deux jours avant l’attentat sur les Ramblas de Barcelone, il a pris congé de lui. En lui précisant qu’il se rendait au Maroc. Les policiers catalans pensent plutôt qu’Es Satty s’est rendu à Alcanar, a participé à la fabrication d’explosifs (du butane, du propane et du TAPT, baptisé «la mère de Satan», utilisé par l’Etat islamique) et aurait péri sur place le mercredi, suite à une mauvaise manipulation. Ce samedi vers midi, les Mossos d’Esquadra se sont livrés pendant trois heures à une perquisition dans l’appartement de l’imam, notamment pour mettre la main sur des indices permettant de réaliser des tests ADN, et de confirmer l’identité du cadavre d’Alcanar.
Les enquêteurs sont persuadés que, dès son installation en 2015 à Ripoll, l’imam a préparé les attentats dont il voulait qu’il tue des centaines de personnes en Catalogne. «Il a fait les choses de façon ordonnée, confie un père de famille marocain. Je pense qu’il a pris du temps pour sélectionner ceux qui allaient commettre les crimes. Il a surtout choisi des jeunes, des frères, issus de parents pauvres, souvent analphabètes et qui n’exerçaient aucun contrôle sur leurs fils.» De fait, à partir de mai et juin, lorsque ceux qui allaient devenir des terroristes ont commencé à changer d’attitude, ils disposent d’une grande liberté. Selon plusieurs témoins, ils circulent souvent à Vic, Barcelone ou ailleurs, manient davantage d’argent, prennent de l’assurance. A ce stade, ils ont été fanatisés par les réseaux sociaux et par l’imam – et peut-être aussi par des complices –, et sont prêts à perpétrer des attentats contre «des infidèles». Reste aujourd’hui pour les policiers catalans à enquêter davantage sur Abdelbaki Es Satty. Selon certaines sources, celui qui a purgé quatre ans de prison entre 2010 et 2015 pour trafic de hachisch, n’est pas un islamiste novice. D’après le site OK Diario, au milieu des années 2000, l’imam intégrait une cellule islamiste à Vilanova i la Geltrù – sur le littoral catalan – qui se consacrait à recruter de futurs jihadistes parmi la jeunesse musulmane déracinée. Qu’il aurait envoyé au suicide en Syrie, en Irak ou en Afghanistan.
Source :© L’imam de Ripoll «donnait l’impression de comploter en permanence» – Libération