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DÉCRYPTAGE – L’UE cherche la parade au plan «anti-inflation» de Biden, qui crée des distorsions de concurrence avec ses subventions massives.

Source:© L’Europe désarmée face au protectionnisme américain

Réunis cette semaine au sommet du G20 à Bali, les dirigeants les plus puissants de la planète ont réaffirmé leur volonté de renforcer le «commerce multilatéral». Pourtant, derrière cette coopération de façade, le protectionnisme revient en force dans un monde de plus en plus fragmenté. Face aux risques multiples qui pèsent sur l’économie mondiale et la montée des tensions géopolitiques, les États, Amérique en tête, cherchent à défendre leurs intérêts nationaux. Le vaste plan anti-inflation (IRA en anglais) de Joe Biden, voté en août par le Congrès, provoque des tensions avec ses alliés traditionnels, sud-coréens, européens et japonais.

 

«J’ai tiré la sonnette d’alarme dès août», s’insurgeait récemment Thierry Breton, le commissaire européen au Marché intérieur, sur BFMTV. Il critiquait les «367 milliards de dollars de subventions, de proportion gigantesque, qui n’ont rien à voir avec ce que nous autorisons en Europe; cela crée une véritable distorsion de concurrence». L’inquiétude est forte aussi à Paris. «Le véritable risque européen, c’est le décrochage technologique, industriel et économique, qui laisserait le champ libre aux États-Unis et à la Chine», a réagi le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire.

En toile de fond, c’est toujours la rivalité entre les deux géants qui se joue et la volonté de renforcer la résilience des chaînes de valeur en réduisant les importations de biens stratégiques. Sur ce plan, Joe Biden n’a pas dévié de la stratégie offensive de Donald Trump, obsédé par le déficit commercial américain. Sauf qu’il n’use pas comme son prédécesseur de l’arsenal tarifaire. Il n’a pas remis en cause les tarifs imposés à Pékin et a joué l’apaisement avec l’Europe, soldant le contentieux entre Airbus et Boeing et celui sur l’acier et l’aluminium. Plus que commerciale, sa stratégie est industrielle, centrée sur la protection du marché intérieur. «La promesse de campagne de Biden en 2020 visait à ce que le commerce extérieur bénéficie plus aux travailleurs américains», commente Elvire Fabry, experte de géopolitique du commerce à l’Institut Delors, qui n’hésite pas à parler «du protectionnisme décomplexé» des États-Unis.

 

L’IRA, qui s’inscrit dans le grand plan d’investissement pour la transition climatique des États-Unis, octroie la réduction d’impôt de 7500 dollars pour l’achat d’un véhicule électrique s’il est assemblé sur le sol américain et si les batteries contiennent 40 % de minerais extraits localement. Les entreprises doivent respecter certains seuils de contenu local pour toucher les subventions. Ainsi, calcule Maxime Darmet, économiste chez Allianz Trade, les États-Unis vont dépenser pour la politique industrielle 0,6 % du PIB, contre une moyenne de 0,4 % depuis dix ans. «Cette hausse conséquente les met en tête des pays développés», souligne l’économiste. Cela va créer une distorsion sur les échanges et les investissements. Les effets se ressentent déjà, renforcés par le prix de l’énergie «multiplié par 5 en France alors qu’il est resté stable aux États-Unis», déplore le locataire de Bercy. Certaines entreprises hésitent désormais entre des sites européens et américains sachant que le montant des subventions américaines est quatre à dix fois celui autorisé par la Commission. Dix milliards d’euros d’investissements et des milliers d’emplois industriels sont en jeu, évalue Bercy. «Nous refusons la course aux subventions», assène le ministre, qui appelle à «réagir vite».

Reste que le contexte n’est guère favorable à un affrontement avec l’allié américain. Certes, sur le papier, les experts sont unanimes: Washington contrevient aux règles multilatérales. «L’article 3.1.b (de l’accord de l’OMC) spécifie bien que les subventions subordonnées à l’utilisation de produits nationaux sont contraires» aux règles de l’organisation mondiale, indique Cécile Rapoport, de l’université de Rennes. Et, du reste, Thierry Breton n’exclut pas de saisir l’OMC. «Il faudra aller devant l’OMC et envisager des mesures de rétorsion», menace-t-il, se disant «prêt à aller au bout». Si ce n’est qu’une action à Genève est loin d’être garantie, car l’instance d’appel du règlement des différends est toujours paralysée à cause des… États-Unis.

Pour l’heure, Bruxelles a choisi la voie diplomatique, en montant une «task force» avec Washington qui tourne beaucoup autour de la dépendance stratégique. Bruxelles voudrait bénéficier d’exemptions au même titre que le Canada et le Mexique. Une démarche pour le moins atypique, argue Sébastien Jean, professeur au Cnam: «En d’autres temps, l’UE aurait déjà saisi l’OMC. Avec la guerre en Ukraine, elle n’est pas en position de force, ce n’est pas facile de jouer les matamores.» Le conflit a renforcé la dépendance de l’Europe à l’Oncle Sam sur le front énergétique et sur celui de la défense. Les États-Unis financent en grande partie l’aide militaire à l’Ukraine. Autre atout américain, insiste Maxime Darmet, «la force de leur marché de consommateurs et une tradition d’innovation technologique».

Si elle ne dispose pas de la force de frappe américaine, l’UE s’active pour renforcer sa souveraineté, relocaliser son industrie et s’affranchir de la dépendance chinoise. Elle a musclé son arsenal de défense, assoupli les règles des aides d’État, lancé des projets d’intérêt commun européen visant à promouvoir l’innovation stratégique et cherche à diversifier ses approvisionnements. «Pour l’accès aux matières premières, l’UE a bien conscience qu’elle a moins de marge de manœuvre que les États-Unis et qu’elle doit multiplier les alliances», commente Elvire Fabry. Cela passe par des accords ciblés, à l’exemple des partenariats annoncés par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, enmarge de la COP27 avec le Kazakhstan, l’Égypte ou la Namibie sur les énergies renouvelables et l’hydrogène vert.

 

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