
DÉCRYPTAGE – Alors qu’Emmanuel Macron ne dispose pas d’une majorité absolue, ces élus singuliers voient leur rôle renforcé.Source:© Les présidents de commission, députés privilégiés du groupe majoritaire
DÉCRYPTAGE – Alors qu’Emmanuel Macron ne dispose pas d’une majorité absolue, ces élus singuliers voient leur rôle renforcé.
Voilà un petit surnom qui en fait rire plus d’un. Chose d’autant plus amusante que le sobriquet vient de leurs propres rangs: «Les présidents de commission à l’Assemblée nationale, c’est bien simple, expose joyeusement un député du camp présidentiel, pas peu fier de son illustration, ce sont des mini-ministres: ils ont du pouvoir sans les désavantages.» L’image est certes parlante, mais à nuancer: les présidents de commission, loin d’avoir un pouvoir d’administration, exécutent surtout, animent le débat et parfois, même, irritent le gouvernement. Mais, contrairement aux membres de l’exécutif, les présidents de commission sont bien souvent préservés de la lumière médiatique, évitant ainsi les coups politiques tout en creusant leur sillon au sein d’un parti où il importe de se tailler une place.
Mis à part la commission des finances, qui revient traditionnellement à la première force d’opposition, toutes les autres sont à la charge des membres du camp présidentiel. Ces élus singuliers le savent: alors qu’Emmanuel Macron n’a pas obtenu la majorité absolue à l’Assemblée nationale, le rôle des présidents de commission est particulièrement renforcé. «Les pouvoirs sont aujourd’hui au Parlement», estime ainsi Sacha Houlié, président de la commission des lois, l’une des plus importantes. Et qui assure ne vouloir échanger sa place pour rien au monde. «Un ‘‘mini-ministre’’? C’est peut-être un peu flatteur», rit-il. «On me prête beaucoup d’intentions… mais on ne prête qu’aux riches. Je ne dis pas que ça n’a pas été un temps mon objectif. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui», insiste-t-il. Son collègue, Thomas Gassilloud, président de la commission de la défense nationale, renchérit: «Il y en a même qui me disent: ton bureau, c’est mieux que celui du ministre! Le poste que j’occupe me permet d’être habilité au secret-défense, d’avoir un passeport diplomatique et, en effet, un gros bureau… Tout cela est très prisé.»
«Beaucoup de pouvoir»
Concrètement, quel est le rôle de ces députés singuliers? «Ils sont à la tête d’un organe majeur de l’Assemblée nationale», rappelle Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste et maître de conférences en droit public. «Une commission permanente organise l’emploi du temps du Parlement, prétravaille un texte de loi avant qu’il ne soit présenté au sein de l’Hémicycle.» Les présidents, quant à eux, supervisent ce travail, contrôlent l’action du gouvernement, jugent de la recevabilité des amendements et choisissent les rapporteurs. «En interne, cela leur donne beaucoup de pouvoir, c’est évident», poursuit Anne-Charlène Bezzina. «Affaires sociales, éducation, affaires économiques… Les commissions permanentes sont le reflet des portefeuilles ministériels.»
Ainsi les présidents de commission assurent entretenir d’étroites relations avec leur ministère «de tutelle». «J’ai des points hebdomadaires en tête-à-tête avec les chefs des ministères qui dépendent de notre commission», rapporte Sacha Houlié. Avant de citer les noms de Gérald Darmanin, Éric Dupond-Moretti, Stanislas Guerini ou encore Christophe Béchu. «C’est sûr que ça évite d’aller saluer les membres du gouvernement dans l’Hémicycle pour se faire remarquer», grince un député du Rassemblement national. Mais surtout, cela permet d’imprimer sa marque.
«J’ai pu dire à Gérald Darmanin que nous avions des exigences particulières s’agissant de l’assouplissement des règles pour l’immigration de travail. Des exigences qui ont été entendues», rapporte ainsi Sacha Houlié, figure «progressiste» du camp Macron et qui, à plusieurs reprises, a tenu à revendiquer son indépendance.«C’est à chacun d’utiliser la fonction et d’en faire ce qu’il souhaite», revendique Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques. Lui veut «porter des sujets», sans cacher ses «opinions». «Certains ont fait le choix d’une présidence neutre. Moi, je ne veux pas tenir un chronomètre en audition», poursuit l’élu, mettant en avant sa proposition de loi sur le logement pour lutter contre les occupations illicites. «C’est une proposition très politique qui va faire parler d’elle et sur laquelle il y a des oppositions très franches», veut-il croire.
Un tremplin
Prudents, les présidents de commission assurent ne pas vouloir faire de cette fonction un marchepied vers un poste de ministre. «Mon prédécesseur, Roland Lescure, est devenu ministre de l’Industrie. Mais ce n’est pas pour cela que c’est systématique», rappelle à juste titre Guillaume Kasbarian. D’autres, cependant, visant un ministère spécifique, tentent en ce sens d’ajouter une ligne à leur CV. Certains cadres de la majorité observent ainsi que Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes, a pu tenter d’en faire un tremplin pour accéder au ministère éponyme.
En réalité, la composition des commissions, plus que sa présidence, est particulièrement scrutée par les ministres qui ont tout intérêt à y placer des alliés. Car c’est bien par ces organes que passent les textes avant d’être présentés à l’ensemble des députés en séance. La commission des finances, présidée par le député de La France insoumise Éric Coquerel, voit ainsi ses rangs grossis par les députés Louis Margueritte et Charles Sitzenstuhl, respectivement anciens directeur adjoint et conseiller politique du ministre de l’Économie Bruno Le Maire. «Nous venons de Bercy, cela aide», reconnaît Louis Margueritte. «Nous avons été repérés pour nos compétences et connaissons bien les rouages.»