Avec toute la «considération» d’Emmanuel Macron. Ce jeudi, à Paris, les quelque 10 000 élus rassemblés pour le centième congrès de l’Association des maires de France (AMF) auront droit à une vibrante déclaration d’amour du chef de l’Etat. Répondant au président de l’AMF, François Baroin, qui a multiplié les interviews ces derniers jours pour expliquer que les élus locaux souffraient d’abord d’un «manque de considération»,le Président va célébrer, selon l’Elysée, le «rôle central» du maire, toujours premier sur le front des «urgences sociales». Précédé d’une encombrante réputation de «président des métropoles mondialisées», Macron ne manquera pas de rendre un hommage appuyé à la ruralité – «une chance» pour la République – tout en promettant de s’attaquer aux fractures territoriales.

Pour se mettre à l’abri d’un accueil houleux – le congrès de l’AMF a déjà montré qu’il en était capable -, le chef de l’Etat a offert mercredi une réception à plus d’un millier de maires dans le palais présidentiel. Presque tous les ministres avaient été réquisitionnés pour la circonstance. L’objet étant de convaincre qu’outre sa «considération», ce gouvernement se fait fort de donner aux collectivités une plus grande liberté et les moyens qui vont avec. Ces bonnes paroles ne suffiront pas aux maires, qui ont bruyamment contesté plusieurs initiatives de l’exécutif : 13 milliards d’euros d’économies imposés aux collectivités sur cinq ans, baisse des APL, diminution des emplois aidés ou encore exonération de la taxe d’habitation. Sur ce dernier point notamment, Macron se sait très attendu. Outre qu’ils y voient une atteinte à l’esprit de la décentralisation, les maires craignent que la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des Français ne se traduise par une diminution de leurs moyens. Ils sont échaudés par le précédent de la taxe professionnelle, supprimée par Nicolas Sarkozy en 2008. L’Etat avait alors promis de compenser cette perte de recette fiscale. Mais ces compensations étaient calculées en fonction de la situation des entreprises au moment où la décision d’exonération, de sorte que les communes ont été privées des hausses dont elles auraient pu profiter. Rien de tel cette fois, jure l’Elysée : le mécanisme de «dégrèvement» devrait prendre en compte d’éventuelle hausse des taux.

Devant les maires, Emmanuel Macron reviendra sur son engagement de «refonte globale» de la fiscalité locale. Faut-il envisager la création de nouveaux impôts locaux ou vaut-il mieux s’orienter vers un partage de l’impôt national, notamment de la TVA ? Une mission sur les finances locales, coprésidée par l’ex-ministre PS Alain Richard, doit remettre ses conclusions au printemps 2018.


Christophe Ferrari, maire de Pont-de-Claix (Isère) : «Chaque jour, nous devons assumer la colère des habitants»

Pour Christophe Ferrari, tout avait «bien commencé avec la conférence des territoires». Promesse électorale du candidat Macron, ce tour de table réunissant l’Etat et les collectivités au sujet des réformes à venir s’est tenu pour la première fois au Sénat le 17 juillet. Mais depuis, le maire PS du Pont-de-Claix (Isère), également président de Grenoble Métropole, dénonce un «problème de confiance».

«Il faudrait considérer que nous sommes des acteurs majeurs du redressement, et non une des difficultés de ce redressement», estime l’élu, qui dirige depuis 2008 cette ville de 11 000 habitants. La commune, connue pour son site chimique classé Seveso, accueille 30 % de logements sociaux et compte parmi les plus faibles revenus de l’agglomération. Ses habitants sont en majorité de petits employés, des ouvriers et des retraités des industries environnantes. Une «population fragilisée», dont «les difficultés de la vie quotidienne» font l’objet d’une «attention forte» de la municipalité, explique Christophe Ferrari : «Chez nous, il n’y a pas de file d’attente pour la crèche et la halte-garderie, c’est essentiel. Et on met le paquet sur les politiques éducatives.» La mairie débourse 360 euros par enfant et par an pour les fournitures à l’école, le périscolaire, les activités culturelles… contre 140 euros en moyenne dans le bassin grenoblois. Mais la baisse des dotations de l’Etat (- 1,6 million d’euros entre 2010 et 2017 au Pont-de-Claix) oblige la ville à raboter ses budgets. Le gymnase est désormais chauffé à 16°C et les écoles «plutôt à 19°C qu’à 21°C», détaille l’édile. Les subventions aux associations ont été épargnées «car on compte sur elles pour l’encadrement des jeunes», mais les prestations du périscolaire ont été réduites.

A la municipalité, les départs à la retraite ne sont plus remplacés. L’aide d’urgence a été budgétée à près de 90 000 euros pour 2018, contre 70 000 cette année : «La détresse sociale n’arrête pas d’augmenter. Chaque jour, nous devons assumer la colère des habitants,relate Ferrari. Le gouvernement est très loin de tout ça.» Le maire déplore l’absence de garantie sur l’évolution des dotations après 2018. Une situation «intenable» : «C’est de plus en plus difficile d’être élu local. Or c’est nous qui participons pour beaucoup à l’équilibre de la société.»

Maure de Bretagne, le 20 novembre 2017. Portrait de Michel Chiron maire de la commune de Val D'Anast. COMMANDE N° 2017-1605
(Photo Thierry Pasquet. Signatures pour Libération)

Michel Chiron, maire de Val-d’Anast (Ille-et-Vilaine) : «On nous dit que la taxe d’habitation sera compensée en 2018, mais ensuite ?»

Depuis le 1er janvier 2017, il ne faut plus dire Maure-de-Bretagne, mais Val-d’Anast, nom né de la fusion de cette commune de 3 400 habitants, reconnaissable à son imposante église du XIXe siècle, avec sa petite voisine Campel (500 habitants). «L’idée était de peser davantage au niveau de la communauté de communes, raconte son maire, Michel Chiron, 71 ans. Mais cela nous permet aussi de faire des économies en mutualisant nos moyens techniques et nos services, tout en obtenant une augmentation de la dotation de l’Etat.»

Pour le reste, les préoccupations de cet ex-directeur administratif et financier de la minoterie locale n’ont pas changé. A commencer par l’isolement de sa commune qui, située à une quarantaine de kilomètres de Rennes et en dehors des grands axes, a quelques difficultés pour attirer les entreprises et doit faire face au manque de transports en commun. «Avec quatre rotations quotidiennes par autocar, la desserte avec Rennes est correcte, explique-t-il. Mais il n’y a aucune liaison avec Redon ou les communes voisines comme Guipry-Messac, à 20 km, où se trouve une gare SNCF.» Cette situation géographique, qui incite la population à fréquenter davantage les commerces du bourg, n’est toutefois pas sans avantages. «Avec la pression financière en bordure de ville, les gens préfèrent aussi venir ici pour acheter des terrains», ajoute Chiron.

La prochaine suppression de la taxe d’habitation («25 % de notre budget» précise l’édile), tout comme la baisse des dotations, sont cependant pour lui source d’inquiétude : «Comment voulez-vous équilibrer les comptes de la commune dans ces conditions ? On nous dit que la taxe d’habitation sera compensée en 2018, mais ensuite ? Aujourd’hui, on n’a plus d’économies possibles. On ne fera plus rien !»Cette inquiétude est d’autant plus forte que Val-d’Anast ne manque pas de projets, comme la création d’une maison médicale. Premier magistrat d’une commune rurale (8 000 hectares pour 4 000 habitants), Michel Chiron, qui se veut résolument sans étiquette, garde en tout cas le plaisir du contact direct avec ses administrés : «On est là pour rendre service et on connaît bien les besoins de la population. Je ne me verrais pas maire d’une commune où on ne connaît pas les gens.»

Philippe Bouche maire de la commune de Faugères. Faugères Hérault, le 20 novembre 2017 COMMANDE N° 2017-1604
(Photo David Richard. Transit pour Libération)

Philippe Bouche, maire de Faugères (Hérault) : «La cause me semble perdue pour les petites communes»

En mars, le maire de Faugères (un village héraultais d’environ 500 habitants) fait ses comptes : sur un total de 2 millions d’euros, il lui en manque 500 000 pour construire un nouvel édifice réunissant école et mairie. «Aujourd’hui, elles sont toutes deux installées dans un bâtiment du XIXe siècle. Il n’est plus aux normes, ne permet pas d’accueillir les personnes handicapées et n’offre aucune possibilité d’agrandissement», résume Philippe Bouche, 62 ans. Ce maire, tendance LR «mais non encarté», prend alors sa plume et écrit aux grandes fortunes de France pour solliciter une aide financière. Délicat, cet ancien inspecteur en assurances accompagne son courrier d’une bouteille de rouge. Un faugères, bien sûr.

«J’ai reçu quelques réponses négatives : Dassault, Hermès, Auchan, Bettencourt. Les autres, comme François Pinault, Bernard Arnault, Mohed Altrad, François Fillon ou Gérard Depardieu n’ont même pas répondu. Et bien sûr, on n’a pas reçu un centime.» Le projet ne verra finalement pas le jour. Les esquisses de l’élégant bâtiment sont restées accrochées au mur, dans le bureau du maire. «A la place, on envisage d’utiliser des bâtiments formés par des conteneurs réhabilités. Ça nous coûterait de 500 000 à 600 000 euros de moins.»Mais ce qui pèse le plus à Philippe Bouche, c’est l’«avalanche de normes administratives» qui le plombe au quotidien. Papiers à remplir, textes à consulter, règlements à respecter. Dans ce contexte, la disparition de deux emplois aidés le handicape davantage encore. «La cause me semble perdue pour les petites communes. Elles sont condamnées. Petit à petit, les fusions deviennent obligatoires et toutes les compétences des villages partent aux intercommunalités. Et la voix des plus petits se perd. Moi, dans ma communauté, qui réunit 25 communes, je n’ai qu’une voix sur 42.» Les compensations promises par l’Etat pour faire face aux manques à gagner de la taxe d’habitation ne le rassurent pas : «Nous allons être sous perfusion pour survivre», prédit l’élu. Il ne fera pas le déplacement jusqu’à Paris pour le Congrès des maires. Mais il espère bien qu’Emmanuel Macron fera des annonces encourageantes, par exemple sur l’allégement des normes administratives. «De toute manière, question dotations de l’Etat, on ne peut plus aller plus bas.»

(Photo Olivier Touron pour Libération)

Guillaume Delbar, maire de Roubaix (Nord) : «Nous allons jouer à fond la carte des emplois francs»

Au lendemain de la visite d’Emmanuel Macron sur ses terres, Guillaume Delbar, maire juppéiste de Roubaix, donne quitus au Président : «Il nous a compris… mais on va rester insistants.» L’édile avait signé il y a un mois l’appel de Grigny réclamant des mesures d’urgence pour les quartiers populaires. Parmi lesquelles la fin de la réduction des contrats aidés. Un minimum syndical pour Roubaix et ses 95 000 habitants, dont la moitié d’entre eux vivent avec moins de 980 euros par mois. Ici plus qu’ailleurs, la saignée des emplois aidés fait mal. Avec 3 500 salariés, le secteur associatif est, au côté de l’hôpital, le premier employeur de la ville. Exemple parmi d’autres : les centres sociaux roubaisiens ont déjà perdu 9 de leurs 29 emplois aidés. A ce rythme, ils ne seront plus que… 8 fin 2018 ! Sauf si Emmanuel Macron tient sa promesse de maintenir 200 000 emplois aidés dans les quartiers prioritaires l’an prochain.

Depuis la fermeture de ses usines dans les années 70, l’ancienne capitale textile est victime d’un supplice digne des Danaïdes : les familles qui s’enrichissent quittent la ville, avant d’être remplacées par des plus pauvres, qui lorsqu’elles s’enrichissent… s’en vont à leur tour. Retenir à Roubaix les classes moyennes, à commencer par cette petite «beurgeoisie» originaire de la ville, la tâche est herculéenne. Mais les motifs d’espoir existent. Car des entreprises prospères, implantées à Roubaix, jouent le jeu de l’intégration : Kipsta, la marque de Décathlon, le leader européen de l’hébergement des données OVH, Ankama, le créateur numérique… Tous ont été sensibles à l’exhumation par Emmanuel Macron des emplois francs, cette prime entre 5 000 et 15 000 euros pour l’embauche d’un chômeur des quartiers prioritaires. «Nous allons jouer à fond la carte des emplois francs», promet Guillaume Delbar, par ailleurs comblé par la volonté macronienne d’encourager l’expérimentation en matière de politique de la ville. Pour redynamiser certains quartiers, la municipalité de Roubaix va ainsi mettre en vente, début 2018, 18 maisons vétustes au prix de 1 euro, à condition que les futurs propriétaires, primo-accédants, investissent dans la rénovation. Et dans le même esprit, la ville multiplie les initiatives originales pour devenir la capitale de l’économie circulaire et du zéro déchet.

Alain Auffray , Pierre-Henri Allain (à Rennes) , Maïté Darnault (à Grenoble) , Sarah Finger (à Montpellier) , Dominique Albertini , Alexandre Lenoir (à Lille)

source: © Les Maires méfiants envers Macron