DÉCRYPTAGE – La propagation du virus Covid-19 hors de Chine paralyse l’activité dans de nombreux secteurs. Les marchés financiers s’affolent.
Jusqu’où l’onde de choc économique du virus se propagera-t-elle? Usines à l’arrêt, avions vides, hôtels désertés, musées, bars ou opéra fermés à Milan, sans compter plus de 5 000 milliards de dollars évaporés des bourses mondiales en quelques jours… Tous les ingrédients d’une crise majeure à l’échelle planétaire sont là. La panique sur les marchés financiers depuis le début de la semaine risque de gagner l’économie réelle. Décideurs et experts économiques, cherchent à évaluer la portée du séisme, de la secousse temporaire au scénario le plus noir, naviguant à vue au gré des annonces de contaminations. Plus de quarante pays sont touchés. Concentrée jusque-là sur la Chine, l’inquiétude est montée d’un cran cette semaine après l’explosion des cas révélée en Italie. L’estimation de la directrice générale du FMI Kristalina Georgieva au sommet du G20 le week-end dernier d’un impact de 0,1 point sur la croissance mondiale risque déjà d’être caduque.À lire aussi : Coronavirus: les marchés financiers broient du noir
Alors qu’on voulait croire en ce début d’année à une timide reprise du commerce mondial, voici que le Covid-19 menace de saper les ressorts d’une croissance planétaire souffreteuse. Moins dangereux pour la santé que l’épidémie de Sras en 2003, le coronavirus est d’ores et déjà plus grave sur le plan économique. Entre-temps, le poids de la Chine dans l’économie mondiale a quasiment triplé, pour atteindre 13 %.
Rare certitude, l’économie chinoise aura subi un sévère coup de frein au premier trimestre. La croissance de son PIB, prévue juste en dessous de 6 %, sera dans le meilleur des cas divisée par deux sur les trois premiers mois de l’année. Pour le reste du monde, c’est avant tout ce que les économistes appellent un choc d’offre: l’usine du monde à l’arrêt va enrayer les chaînes d’approvisionnement mondialisées et perturber la disponibilité des produits à la consommation.À lire aussi : Les entreprises adaptent leurs méthodes de travail au risque de coronavirus
Le fabricant français de petit électroménager Seb évalue à 250 millions d’euros sa perte de chiffre d’affaires pour le premier trimestre, en raison des arrêts de production dans ses sept usines chinoises. Apple a aussi prévenu des ventes en baisse et des risques de pénuries pour ses iPhone. Ce facteur d’interruption de l’activité se retrouve, à une moindre échelle, au nord de l’Italie. Les régions de Lombardie et Vénétie, les plus touchées, représentent près d’un tiers du PIB italien, et plus de la moitié si l’on y ajoute les régions voisines d’Emilie-Romagne et du Piémont. C’est le berceau du «made in Italy» qui est touché, notamment dans le luxe.
Près de 4 milliards d’euros de manque à gagner
Cette crise de l’offre risque de se conjuguer avec un choc de la demande, plus pernicieux. C’est déjà le cas en Chine, où les citoyens confinés chez eux désertent les centres commerciaux et n’achètent pas les produits de luxe ou les voitures des marques occidentales. La psychose à Milan et dans d’autres villes du nord de l’Italie produit le même effet sur la consommation et les dépenses de loisirs. L’interdiction par précaution des voyages d’affaires par de grandes entreprises, comme L’Oréal, les annulations en série de salons professionnels pèsent sur le secteur du tourisme et, partant, sur la croissance.À lire aussi : Coronavirus: les Milanais se terrent chez eux pour stopper l’épidémie
Avec quel impact? L’organisation patronale italienne Confcommercio évalue le manque à gagner pour la consommation à près de 4 milliards d’euros si les mesures de confinement se prolongeaient jusqu’en juin, menaçant 15.000 PME et 60.000 emplois. Cela précipiterait l’Italie en récession, avec une chute de 0,4 % de son PIB. Le recul de l’activité italienne, déjà au point mort, semble inévitable, au moins au premier trimestre.
La suite dépendra de la durée de la crise et de la progression de la contagion. De la Chine à l’Asie-Pacifique (Pékin est le premier partenaire commercial de l’Australie avec 30 % de ses exportations), la contamination a gagné l’Europe via l’Italie, et le Moyen-Orient par l’Iran. Avant, peut-être, demain, les États-Unis? Le nombre de cas officiel limité à 60 outre-Atlantique est jugé «peu crédible» par Simon Powell, analyste de la Banque Jefferies, vu l’ancrage du pays dans les échanges mondiaux.
«Rien de comparable avec la crise financière de 2008»
La Banque Nomura a esquissé plusieurs scénarios, du plus probable, fondé sur une reprise de l’activité en Chine dès maintenant, comme cela semble se dessiner, au pire, dans lequel la situation se prolongerait jusqu’à juin et s’étendrait au reste du monde à une échelle comparable. Dans le meilleur des cas, la croissance mondiale serait amputée de 0,2 point, soit 3,1 % sur l’année, contre 2,1 % dans le scénario noir. Dans ce cas de figure pessimiste, la zone euro tout entière tomberait en négatif, entraînée par l’Italie et l’Allemagne. De son côté, Bank of America réduit sévèrement sa prévision de croissance de la zone euro à 0,6 % pour 2020, contre 1,1 % précédemment.
Le risque est plutôt des apparitions récurrentes de nouveaux foyers de coronavirus à plusieurs endroits du globe
Stéphane Déo, économiste à La Banque postale
Natixis, à l’inverse, anticipe une baisse limitée de 0,1 à 0,2 point du PIB mondial si les choses rentrent dans l’ordre progressivement. «L’économie mondiale va souffrir. Mais nous sommes face à un choc temporaire, compensé par des interventions massives du gouvernement chinois, qui entraîneront un rebond mécanique au deuxième trimestre. Des goulots d’étranglement des approvisionnements ne sont pas une paralysie de la production. Ça n’a rien de comparable avec la crise financière de 2008. Le pic mondial est probablement derrière nous», veut croire Jean-François Robin, directeur de la recherche à la banque mutualiste. Plutôt qu’une interminable crise sanitaire mondiale, «le risque est plutôt des apparitions récurrentes de nouveaux foyers de coronavirus à plusieurs endroits du globe, ce qui créerait des ruptures de la chaîne de production pour une période beaucoup plus longue», redoute Stéphane Déo, économiste à La Banque postale.À lire aussi : «Le coronavirus, étincelle de la prochaine crise économique?»
Gouvernements et grands argentiers s’interrogent sur leur rôle pour amortir le choc. Le comité de politique monétaire de la Banque centrale européenne doit se réunir dans quinze jours. «Nous sommes très préoccupés», ne cache pas Isabel Schnabel, membre de son directoire. Si d’aucuns espèrent des mesures de relance au-delà du cocktail élaboré en septembre pour soutenir une croissance molle, Jean-François Robin estime qu’il est urgent d’attendre pour ne pas «griller» le peu de cartouches qui restent entre les mains de la Banque centrale, alors que les indicateurs économiques européens ne sont, pour l’instant, pas impactés. Ce qui risquerait de donner l’impression de céder à la panique.La rédaction vous conseille
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Source:© L’économie mondiale sous le choc du coronavirus