Le succès des indépendantistes aux élections marque la défaite de la stratégie du Parti populaire, qui subit une déroute.
En convoquant des élections régionales pour contrecarrer la tentative de sécession du gouvernement de Carles Puigdemont, Mariano Rajoy espérait « restaurer la stabilité » de la région et casser l’élan des indépendantistes. Un pari triplement perdu. Ces derniers sortent renforcés du scrutin du jeudi 21 décembre alors que le Parti populaire (PP) du premier ministre espagnol s’effondre au profit de son grand rival, Ciudadanos.
Avec trois députés, huit de moins que lors des dernières élections régionales de 2015 (et 165 000 voix de perdues), le PP disparaît pour ainsi dire de la scène politique catalane. Il n’y a pas si longtemps, lors du scrutin de 2012, il avait enregistré le meilleur résultat de son histoire, 19 sièges. C’est une défaite humiliante pour celui qui reste le premier parti en Espagne.
La presse espagnole n’a pas épargné le premier ministre conservateur : il s’agit du « plus grand échec de la carrière politique de Mariano Rajoy », d’un « fiasco », d’un « jour noir pour le PP », d’un « désastre » pour le parti au pouvoir, d’une « débâcle », ont titré plusieurs quotidiens.
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Mariano Rajoy avait espéré que la « majorité silencieuse » des Catalans « unionistes » porterait un coup décisif au mouvement séparatiste. En fait, le Parti populaire n’a pas su capitaliser les dividendes politiques de la mise sous tutelle de la région. C’est Ciudadanos, qui dès le début de la crise avait réclamé le déclenchement de l’article 155 de la Constitution permettant de suspendre l’autonomie de la Catalogne, qui a réussi à se présenter comme le garant de l’unité de l’Espagne.
« Ce sont de très mauvais résultats », a reconnu le candidat du PP en Catalogne, Xavier García Albiol. « Non seulement pour nous, mais également pour les constitutionalistes qui n’ont pas su présenter une alternative à l’indépendantisme », a-t-il précisé. Mariano Rajoy devait dresser un premier bilan de cet échec vendredi lors d’une réunion du comité exécutif du PP.
« Anecdote électorale »
Jeudi soir, les conservateurs ne semblaient pas avoir véritablement mesuré l’ampleur de leur défaite. « Quel que soit le gouvernement de la Généralité [exécutif catalan], les conséquences d’un non-respect de la loi sont claires », s’est limité à déclarer de Madrid l’un des porte-parole du Parti populaire, Pablo Casado. « Les indépendantistes ont perdu des voix et il n’est pas sûr qu’ils arrivent à se mettre d’accord entre eux pour former un gouvernement », assurait une source officielle en analysant les résultats.
Le PP a considérablement durci son message durant les derniers jours de la campagne, en vain. Il s’est ainsi vanté d’avoir « décapité » le mouvement indépendantiste, selon les termes de la vice-présidente du gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria, qui a également accusé les sécessionnistes de « déloyauté » envers les Catalans eux-mêmes. « Nous sommes du bon côté de l’histoire », déclarait Mariano Rajoy, mardi 19 décembre, à Barcelone, venu soutenir le candidat García Albiol.
Le PP, qui n’a jamais eu d’assise solide en Catalogne, se retrouve désormais en dernière place derrière les anticapitalistes ultra-sécessionnistes de la Candidature d’unité populaire (CUP). « Le premier parti en Espagne risque de devenir une anecdote électorale en Catalogne, soulignait dans une interview à la radio espagnole Pedro Sanchez, la tête de file du Parti socialiste (PSOE) peu avant le scrutin. Dans ces circonstances, comment pourrait-il résoudre cette crise ? »
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La défaite de M.Rajoy est avant tout l’échec de sa stratégie en Catalogne depuis qu’il est arrivé au pouvoir en 2011, celle de refuser toute concession aux indépendantistes. Le dialogue entre Madrid et Barcelone est au point mort depuis le dernier entretien entre le responsable conservateur et Carles Puigdemont en janvier.
Ciudadanos veut détrôner le PP
« La Constitution peut être modifiée, avait dit le premier ministre devant le Parlement de Madrid, peu après le « référendum » du 1er octobre, mais seulement à travers les règles et procédures prévues par celle-ci. » Il avait alors offert à Barcelone de dialoguer « sur la quantité ou la qualité des services publics, sur leur financement, sur comment contribuer à la solidarité sociale », mais toujours dans le cadre d’une autonomie.
La déroute du Parti populaire en Catalogne pourrait avoir d’autres conséquences politiques pour les conservateurs. « La crise catalane est désormais au centre de la vie politique espagnole », expliquait récemment, dans les pages du quotidien El Pais, Lluis Orriols, politologue de l’université Carlos-III de Madrid. Dans ce nouveau contexte, « la rivalité entre le PP et Ciudadanos va se jouer sur le terrain des identités nationales », un débat où le parti de centre droit « pourrait revendiquer son passé anti-indépendantiste afin de gagner des voix dans le reste de l’Espagne », ajoutait l’analyste.
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Ciudadanos ne cache pas son ambition de vouloir détrôner le PP. « L’Espagne doit avoir un projet de futur qui enthousiasme tous les Espagnols », a lancé son responsable, Albert Rivera, au côté de sa tête de liste en Catalogne, Ines Arrimadas, peu après la victoire de cette dernière.
La formation avait soutenu l’investiture de Mariano Rajoy, fin octobre 2016, en échange de mesures anticorruption qui sont restées lettre morte. Depuis, les relations entre les deux partis sont plutôt glaciales. Lorsque le premier ministre conservateur a cherché des soutiens pour déclencher la mise sous tutelle de la Catalogne, c’est vers le secrétaire général des socialistes espagnols, Pedro Sanchez, qu’il s’est d’abord tourné, et non vers son allié du centre. Albert Rivera tient maintenant sa revanche.
Source:© Le triple échec de Mariano Rajoy en Catalogne