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Cent ans après sa mort, le compositeur français reste méconnu du grand public. Et si cette année de commémoration changeait la donne ?

Il était temps d’entrer dans la course! Leonard Bernstein est né le 25 août 1918, soit cinq mois jour pour jour après la disparition de Claude Debussy. Or les festivités du centenaire Bernstein, labellisées «Bernstein at 100», ont été lancées le 25 août dernier à grand renfort de logo officiel (accompagné de sa notice de dix pages ), d’un site recensant chaque jour les événements Bernstein dans le monde, d’un hashtag et d’un comité d’honneur constitué d’éminentes personnalités.

Et pour celui que l’on surnomme «Claude de France»? Jusque-là, les brochures de salles faisaient état de célébrations éparses. Comme ce week-end à la Philharmonie de Paris, avec en point d’orgue une confrontation entre Debussy et Boulez orchestrée par Les Siècles de François-Xavier Roth. Cette intégrale de l’œuvre pour piano par Alain Planès à la Maison de la Radio, en mars. Ou encore cette conjonction du 19 janvier dernier, qui voyait d’un côté à l’Opéra de Bordeaux une nouvelle production de Pelléas et Mélisande, dirigée par le maître des lieux Marc Minkowski avec une série d’alléchantes prises de rôles (Stanislas de Barbeyrac en Pelléas, Chiara Skerath en Mélisande, Alexandre Duhamel en Golaud). Et de l’autre, à la Philharmonie de Paris, un récital exceptionnel de Daniel Barenboïm.

Actions pédagogiques pour le faire connaître

C’est à l’occasion de ce concert, auquel assistaient le président Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel, que la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a dévoilé les grandes lignes de son plan Debussy 2018. «Une initiative du ministère, née de la volonté du président lui-même», souligne Bertrand Dermoncourt. Nommé conseiller artistique de cette année de commémoration, ce dernier s’est mis au travail dès lundi matin. Site Internet, pérennisation du festival autour de sa maison-musée de Saint-Germain-en-Laye, avec création d’une académie de musique de chambre et de mélodies, nuit blanche Debussy rue de Valois et en province, le 25 mars…

Et surtout un vaste volet d’actions pédagogiques pour mieux faire connaître l’oeuvre et la vie du compositeur auprès des plus jeunes. De quoi lever nos inquiétudes quant à la propension des Français à apprécier le génie de l’auteur de La Mer. Du moins en partie. Car si les salles de l’Hexagone verront fleurir mers, nocturnes et faunes, quid des opus moins connus, tels la Rhapsodie pour clarinette, le Martyre de saint Sébastien, L’Enfant prodigue ou même les Jeux pour orchestre?

Œuvre protéiforme

Espérons que ces derniers sauront profiter de l’appel d’air de cette année Debussy. Dermoncourt l’assure. Pour son unique opéra, Pelléas et Mélisande , en revanche? À part les deux dates bordelaises précitées, seule la reprise à l’Atelier lyrique de Tourcoing, en mars, de la production de Christian Schiaretti avec Sabine Devieilhe, sauve la mise. À l’Opéra de Paris? Néant. L’institution s’est contentée de reprendre en septembre 2017 la vieille production de Bob Wilson. Il faudra donc s’en tenir à des versions de concert. Ou passer la frontière. Car, chez nos voisins, même les plus éloignés, les productions anciennes ou nouvelles fleurissent déjà, et jusqu’à l’été, de Melbourne à Buenos Aires, en passant par Vienne, Berlin ou Hongkong. Certaines ne manquent pas d’attrait. À l’instar de celle qui vient de s’ouvrir au Teatr Wielki, à Varsovie, dans la mise en scène de Katie Mitchell pour le Festival d’Aix-en-Provence il y a deux ans. Ou celle du chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui à Anvers.

Pas de grande exposition à l’horizon non plus. Celle du Musée d’Orsay, en 2012, a-t-elle suffi pour cerner l’œuvre protéiforme et la personnalité si complexe de «Claude de France» et de son double, «Monsieur Croche», lorsqu’il signait des articles critiques sur Gluck, Beethoven ou Moussorgski ? À moins que certaines institutions se réservent pour l’hiver. Les commémorations de la mort de Debussy dureront en effet jusqu’en mars 2019. Or «sur Debussy, on a tout ici, à la Bibliothèque nationale de France», convient Dermoncourt.

«Les étrangers voient en lui la quintessence de la sophistication à la française»

Marc Minkowski, directeur général de l’opéra national de Bordeaux

Une chose est sûre: cette année Debussy ne devrait pas être un anniversaire parmi d’autres. Car à défaut d’être mal aimé, Claude Debussy reste méconnu, mal jugé. N’avait-il pas lui-même prédit, dans l’une de ces saillies dont il avait le secret, que sa musique ne serait comprise que par les petits-enfants du XXe siècle? «C’est encore à venir», concède le chef François-Xavier Roth. Ce dernier redécouvre Debussy sur instruments d’époque. Il dresse un parallèle entre le père de Pelléas et Pierre Boulez, «son héritier le plus direct». «L’un comme l’autre ne s’intéressent pas à des formes déjà connues. Chaque œuvre est un ovni. Chacune est difficile à appréhender, même par les musiciens. On compare souvent Ravel et Debussy. Or ce dernier est beaucoup plus dur à la première lecture. C’est le premier compositeur qui réinvente en direct, par l’harmonie et les couleurs, l’espace acoustique.»

Il a une «magie de la mouvance des couleurs», résume de son côté le compositeur Thierry Escaich. Mouvance qui impose une certaine forme de respect, a fortiori chez les musiciens étrangers, «où il est l’égal de Monet», insiste Dermoncourt. Outre-Atlantique, nombreux sont les compositeurs de tous styles qui revendiquent son héritage. Des minimalistes John Adams ou Steve Reich au prince de Broadway Stephen Sondheim, en passant par le roi de Hollywood John Williams. «Les étrangers voient en lui la quintessence de la sophistication à la française», renchérit Minkowski. Avant de reprendre Pelléas et Mélisande à Bordeaux en 2019-2020, le chef fera venir le spectacle, en juillet prochain, au Japon, à Kanazawa, où il a l’habitude de diriger. «Il y a là-bas une vraie appétence pour la musique de Debussy, et pour cette œuvre proche d’une certaine manière du kabuki et du nô.» Une étrangeté qui explique l’incompréhension de l’œuvre par le public français actuel. «C’est un opéra qui divise. Difficile d’accès. Mais une fois qu’on en a trouvé les clefs, on entre en religion», conclut Minkowski.


À écouter

• Du 27 au 28 janvier, Week-end Debussy. Avec Les Siècles, Alain Planès, Les Dissonances… Philharmonie de Paris.

• Du 1er février au 17 mai, Debussy en liberté. Par Sandrine Piau,  Les Siècles, Le Concert Impromptu… Auditorium du Musée d’Orsay, Paris.

• Du 4 au 11 mars, Tout Debussy. Par Alain Planès.  Maison de la Radio, Paris.

• Du 23 au 27 mars, Pelléas et Mélisande. Par l’Atelier lyrique  de Tourcoing,  direction Jean-Claude Malgoire, avec Sabine Devieilhe…  Théâtre Raymond Devos  de Tourcoing.

• Le 5 avril, La Mer. Par l’Orchestre  national de France,  direction Emmanuel Krivine.  Maison de la Radio, Paris.

• Le 2 mai, Pelléas et Mélisande. Version de concert.  Par Sabine Devieilhe, Guillaume Andrieux, l’Orchestre Pelléas,  direction Benjamin Levy. Théâtre des Champs-Élysées, Paris.

• Le 4 mai, Debussy/Bernstein. Par l’Orchestre national  de Bordeaux Aquitaine,  direction James Gaffigan. Opéra national de Bordeaux.

• Le 26 mai, La Boîte à joujoux. Par l’Orchestre philharmonique de Radio France, Marie Desplechin. Maison de la Radio, Paris.

• Le 23 octobre, Pelléas et Mélisande.Version de concert.  Par Jean-Christophe Lanièce, Amaya Dominguez,  Stéphane Degout…  Opéra Comique, Paris.


 

Source:©  Le réveil tardif de Debussy

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