LA CHRONIQUE DE JEAN-PIERRE ROBIN – Choc pétrolier, guerre commerciale, hausse des taux : attention danger.
Pour comprendre le mode de fonctionnement d’un quinquennat présidentiel, mieux vaut se rappeler les règles de la tragédie classique française du XVIIe siècle et de ses cinq actes. Le premier est consacré à la présentation des personnages et de leurs projets. Puis au deuxième acte surgit un élément perturbateur remettant tout en question: dans le Britannicus de Racine, Néron décide tout à trac de répudier sa femme Octavie pour épouser Junie qui est amoureuse de Britannicus. Dans le troisième acte, les protagonistes cherchent une solution au drame. La tension s’aggrave au quatrième: «J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer», dit Néron de Britannicus, qui sera empoisonné au dernier acte, tandis que le despote s’abandonnera au désespoir.
Nous en sommes aujourd’hui au deuxième acte du quinquennat Macron, sa seconde année. Finis les programmes et les chants de l’aube, l’action est bien lancée. Mais un gros grain de sable est tombé du ciel qui plombe l’an II. Le choc pétrolier va-t-il bloquer les rouages et dévier l’orbite de croissance de l’économie française, les 2 % espérés par le gouvernement en 2018?
«Les entreprises subissent l’envolée des prix pétroliers. Si les cours du baril se maintiennent au niveau actuel, il en résultera une ponction de 1,7% sur leurs marges»
La perturbation est de belle ampleur quand les cours du baril de pétrole (brent) passent de 40 euros, en juin 2017, à 68 en mai dernier, sur le marché de Rotterdam. Et dans la foulée, le litre de gazole (TTC) a grimpé en un an de 1,16 à 1,48 euro, en moyenne, dans les stations-service (hausse de 28 %). À cet égard, le gouvernement Philippe a rendu la douloureuse encore plus salée en relevant de 7,6 centimes ses taxes au 1er janvier 2018!
L’onde de choc se fait sentir à tous les étages. Tout d’abord pour les automobilistes et plus généralement les consommateurs qui ont vu les prix à la consommation augmenter de 2 % de juin 2017 à mai 2018 selon l’Insee, et même de 2,3 % si on se réfère à «l’indice des prix à la consommation harmonisé» calculé par Eurostat. Outre l’énergie, le relèvement des prix du tabac, qui ont bondi de 16,1 %, dixit l’Insee, a contribué à cette accélération soudaine de l’inflation. Quelles que soient leurs justifications, écologiques et de santé publique, les hausses de fiscalité indirecte se télescopent avec celle de l’or noir pour amputer le pouvoir d’achat des Français. Ce n’est pas très malin de la part des pouvoirs publics qui jouent les gribouilles.
Les entreprises subissent elles aussi l’envolée des prix pétroliers. L’institut de conjoncture COE-Rexecode estime que, si les cours du baril se maintiennent à leur niveau actuel, il en résultera une ponction de 0,5 % de leur valeur ajoutée en 2018, soit une réduction très substantielle de leurs marges de 1,7 %. L’impact sera surtout sensible dans l’agriculture, bien plus que pour l’industrie et les transports, ces secteurs étant eux-mêmes deux à trois fois plus touchés que les services. À charge pour les entreprises de repasser le mistigri aux consommateurs en relevant leurs prix si tant est que la concurrence le leur permette.
Signes d’essoufflement
Certes, nos partenaires en Europe, et au-delà, sont logés à la même enseigne. Cela ne saurait être une consolation, car les signes d’essoufflement qu’expriment les enquêtes de climat des affaires entrent en résonance d’un marché national à l’autre faisant boule de neige. «Le ralentissement se produit de façon synchrone dans tous les pays et quels que soient les secteurs (construction, industrie, service). Le pétrole est le facteur commun, mais il y a peut-être quelque chose d’autre, comme si on était au bout d’un cycle: en Allemagne, l’offre butte-t-elle sur ses propres capacités de production, ce qui se répercute sur les pays sous-traitants?», analyse Xavier Timbeau, directeur de l’OFCE.
En contrepoint du choc pétrolier, le climat de guerre commerciale ouverte par la grâce de Donald Trump n’arrange rien. Quant aux banques centrales, depuis le krach financier de 2008, elles avaient incarné le deus ex machina chargé de sauver le capitalisme mondial. La Fed américaine et la BCE sont maintenant face à un dilemme: la poussée d’inflation les inciterait à durcir le ton, au risque de nourrir un peu plus le malaise général…
François Hollande, après s’être époumoné à «inverser la courbe du chômage», avait conclu piteusement: «Je n’ai pas eu de bol ! En même temps, j’aurais pu gagner» (sic)
Le quinquennat précédent se déroula comme une tragédie parfaite en cinq actes: le massacre fiscal de la première année (2012), puis la stratégie gouvernementale prise à revers en 2013 par la crise des dettes et la récession de l’Europe du Sud. Seul «l’alignement des planètes» – formule de François Hollande pour désigner la chute simultanée du pétrole, des taux d’intérêt et de l’euro – permit ensuite de renouer avec une croissance cadavérique (0,8 % en moyenne sur les cinq années 2012-2016). In fine, le héros de l’histoire, après s’être époumoné à «inverser la courbe du chômage», avait conclu piteusement: «Je n’ai pas eu de bol! En même temps, j’aurais pu gagner» (sic). Toute honte bue, l’hôte de l’Élysée renonça à demander un second bail.
La malédiction de l’an II
À l’inverse, Emmanuel Macron est confronté à un «désalignement des planètes». Son départ semblait béni des dieux: la conjoncture européenne au plus haut depuis dix ans, la réforme du droit du travail menée tambour battant, etc. On se repassait le mot de Napoléon, «les grands généraux sont ceux qui ont de la chance». Sauf que le plus jeune président de la Ve République, et le plus «show off», ostentatoire et satisfait, est victime à son tour de la malédiction de l’an II qui frappe tous les mandats présidentiels: le choc pétrolier de 1975 pour Giscard d’Estaing, le tournant forcé de la rigueur de 1983 pour Mitterrand, la dissolution de l’Assemblée en 1997 pour Chirac, le krach mondial de 2008 pour Sarkozy, la crise européenne de 2013 pour Hollande. Impéritie, naïveté, impréparation, hubris du nouvel élu? «Il ne sait pas que l’Histoire est tragique», avait dit dans les années 1970 Raymond Aron à propos de Valéry Giscard d’Estaing. Une ignorance partagée.
Source : © Le quinquennat Macron est mis à mal par le désalignement des planètes