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«Westminster français», le Panthéon ne devint un temple républicain célébrant les gloires nationales qu’au début de la IIIe République. Retour sur l’histoire mouvementée de ce momunent…

Les «panthéonisations», comme on dit, sont souvent considérées comme un événement grandiose et froid, à l’image de ce lieu conçu sous le règne de Louis XV pour être une église. Le Panthéon ne devint définitivement ce temple dédié aux gloires nationales qu’au début de la IIIe République. Entre-temps, notre «Westminster français» évolua au gré de l’histoire mouvementée de la France après 1789. Aujourd’hui, ceux qui, sur la montagne Sainte-Geneviève, visitent ce lieu trop protégé par les grilles de Baltard (ce qui lui ôte ce charme du Panthéon romain), ont du mal à imaginer que ce monument fut l’objet d’autant de controverses. Dans un guide de Paris écrit «par les principaux écrivains et artistes de France» (1868), le grand historien de la Révolution, Edgar Quinet, notait à propos du Panthéon: «Monument de Janus au double visage, l’un tourné vers le passé, l’autre vers l’avenir, il change de nom, suivant la différence des temps! […] Église ou temple, Sainte-Geneviève ou Panthéon, il pourrait à lui seul dire si la Révolution est vaincue ou victorieuse.»

«Monument de Janus au double visage, l’un tourné vers le passé, l’autre vers l’avenir, il change de nom, suivant la différence des temps !»

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Il faut ces grandes cérémonies pour rappeler l’ambiguïté de ce lieu marmoréen. Bien sûr, dans chacune de ces panthéonisations – ce que Pierre Nora désigne dans ses Lieux de mémoire comme des «événements-monstres» -, les Léon Zitrone de toutes les époques ont à cœur d’évoquer un temps de réconciliation nationale, de rassemblement autour de la personnalité défunte. Bref, du beau, du grand, du sublime. Et pourquoi pas, d’ailleurs. Mais c’est oublier ce que les autorités officielles entendent donner à ces cérémonies, le Panthéon trahit tous les errements et les hésitations de notre histoire depuis 1789, tantôt révolutionnaire, impériale, monarchique puis républicaine. En un mot, il y a une contre-histoire passionnante du Panthéon qui est inscrite dans ce monument et qui évite de piquer du nez devant le poste de télévision.

Tout commence en 1744. La France des Bourbons était encore la monarchie la plus puissante d’Europe. À Metz, Louis XV était tombé gravement malade et ce libertin très croyant invoqua sainte Geneviève, la petite bergère de Nanterre, qui, par ses prières, aurait sauvé Paris des Huns d’Attila en 451. Le «Bien-Aimé» se rétablit miraculeusement et il décida alors de faire construire sur la montagne Sainte-Geneviève, à Paris, une grande église à la gloire de cette sainte glorifiée par le premier roi chrétien, Clovis. Une façon pour Louis XV de rappeler le lien originaire entre la monarchie française et le christianisme.

Le bâtiment construit par l’architecte Soufflot n’était pas encore entièrement achevé quand survint la Révolution. Le marquis de Villette, grand ami de Voltaire, proposa que l’église change de vocation et accueille la dépouille de l’auteur de Candide: «Ayons le courage de ne point mettre ce temple sous l’invocation d’un saint. Qu’il devienne le Panthéon français», dit le marquis. Il voulait, comme chez les Grecs ou les Romains, que les héros remplacent les saints, que le culte de l’immortalité se substitue au culte de l’éternité.

La Constituante transforma l’église en Panthéon et y transféra la dépouille de Mirabeau. Après vinrent les funérailles de Voltaire, qui durèrent deux jours, le 10 et le 11 juillet 1791

La Constituante s’y résolut après la mort de Mirabeau, en avril 1791. Elle transforma l’église en Panthéon et y transféra la dépouille du lion d’Aix. Après vinrent les funérailles de Voltaire, qui durèrent deux jours, le 10 et le 11 juillet 1791, peu avant le massacre du Champs-de-Mars. Avec la Terreur, on va assister à un véritable chassé-croisé de personnalités. Les entrants croisent les sortants. La dépouille de Mirabeau, jugé «traître» à la Révolution parce qu’on découvrit qu’il pactisait avec la Cour, sort quand Marat est «panthéonisé» après son assassinat par Charlotte Corday. Après la chute de Robespierre, Marat fut chassé à son tour en 1795. Même punition pour Le Peletier de Saint Fargeau, cet aristocrate qui avait voté la mort du roi. Assez sagement, la Convention décida de ne recourir à une panthéonisation que plus de dix ans après la mort de la personnalité… Bon sens aujourd’hui dépassé!

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Après le coup d’État du 18 brumaire, Bonaparte décida, dans la foulée du Concordat de 1801, de redonner le Panthéon au culte catholique (décret de 1806), tout en conservant la crypte comme lieu de sépulture des «grands hommes». Cette double destination était bien dans la vocation de ce régime cherchant à concilier les deux France. Les panthéonisations vont alors se multiplier jusqu’en 1815. On y place surtout des «notables», notamment de nombreux sénateurs, des régents de la Banque de France, des militaires, un légat du pape, le cardinal Caprara, et un seul artiste, le peintre Vien.

Il faudra attendre la mort de Victor Hugo en 1885 pour que le gouvernement décide par décret du 22 mai de rendre le Panthéon à sa « destination républicaine »

Après la révolution de 1848, le Panthéon se transforme à nouveau en «temple de l’Humanité» mais, avec le coup d’État du futur Napoléon III, il est très vite rendu au culte catholique dès le 6 décembre 1851. Après la chute du second Empire et la Commune de 1871, où il devient un dépôt d’armes, il faudra attendre la mort de Victor Hugo en 1885 pour que le gouvernement décide par décret du 22 mai de rendre le Panthéon à sa «destination républicaine».

Depuis, les panthéonisations ont oscillé selon les époques ; le général de Gaulle n’y a fait entrer que Jean Moulin, Pompidou et Giscard, personne. Les cérémonies se multiplient surtout depuis François Mitterrand. Plus la République s’interroge sur elle-même, plus elle panthéonise. À l’intérieur du bâtiment, personne n’a touché aux peintures d’inspiration monarchique des nefs sud et nord rappelant les «origines chrétiennes de la France», ainsi que la grande mosaïque d’Hébert, représentant le Christ montrant à l’ange de la France les destinées de son peuple. Edgar Quinet avait raison, ce temple représente bien un «monument de Janus».



Jacques de Saint Victor

Journaliste – chroniqueur Figaro Littéraire, professeur des Universités

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