Commentaire:Le Monde s’est toujours trompé !
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Dans son éditorial du 23 décembre, la direction du Monde, comme elle a coutume à le faire, tance les propos du Président Donald Trump sur Jérusalem.
Certes, nous connaissons tous la coloration politique du journal qui depuis Hubert Beuve-Méry a toujours eu une position très anti-israélienne, et bien avant la guerre des six jours.
Mais ce que beaucoup de gens ne savent pas, c’est que le journal “Le Monde” s’est toujours trompé dans ses analyses.
Vous en avez une illustration ci-dessous.
Le Mea Culpa ne peut en aucune manière justifier l’erreur dramatique, lourd en pertes humaines, qu’a faite le journal et les conséquences qu’elle a eu , relayée par d’autres journaux tout aussi peu fiables.
Nous reviendrons dans un prochain éditorial sur les erreurs d’analyses continues développées dans l’éditorial du Monde du 23 décembre.
Mais il nous semblait important d’éclairer nos lecteurs sur les erreurs d’analyse de ce journal et son engagement partisan.
A cette fin, nous publierons pendant les jours qui nous séparent de la nouvelle année, les erreurs multiples et variées qu’il a commises , mais celles-ci sont toujours dans le même sens, dépeignant ce journal tel qu’il est vraiment, partial et anti-israélien, et non pas tels qu’il prétend être: indépendant et neutre !!!!
Richard C. ABITBOL
Président
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ERREUR N°1 : LES KHMERS ROUGES
le texte qui suit est issu du journal Le Monde. Nous ne faisons que le reproduire pour que vous en preniez connaissance.
17 avril 1975 : l’envoyé spécial du « Monde » décrit l’« enthousiasme populaire » qui accompagne l’entrée des Khmers rouges à Phnom Penh.
De 1945 à 2003, « Le Monde » raconte, pendant deux semaines, les dates qui ont marqué l’actualité, mais aussi scandé sa propre histoire. Ces douze épisodes de la série « le jour où… » seront publiées dans le livre édité pour les 70 ans du « Monde », chez Flammarion, le 24 septembre.
17 avril 1975 : l’envoyé spécial du « Monde » décrit l’« enthousiasme populaire » qui accompagne l’entrée des Khmers rouges à Phnom Penh. Au fil des mois, face aux révélations des exécutions de masse, tiers-mondistes et anticommunistes de la rédaction s’affrontent par éditoriaux interposés
De l’Hôtel Phnom, où logent la plupart des reporters étrangers, la première ligne de front n’est qu’à vingt minutes de taxi, dans les faubourgs de Phnom Penh. L’envoyé spécial du Monde, Patrice de Beer, s’y est déjà rendu plusieurs fois, en ce mois d’avril 1975, accompagné de deux confrères avec lesquels il partage la location d’une Peugeot 403 : à Paris, la rédaction en chef a rappelé qu’elle « garde un oeil vigilant sur les notes de frais ».
C’est une atmosphère étrange que celle qui règne dans cet hôtel, avec ses serveurs en veste blanche et sa piscine, à quelques kilomètres à peine des postes avancés d’où les Khmers rouges encerclent et bombardent la capitale du Cambodge. Presque tout Phnom Penh vit d’ailleurs depuis des semaines dans ce climat contradictoire, de peur sourde et d’insouciance apparente étroitement mêlées. « Une ambiance de fin du monde », constate de Beer.
Le journaliste français, habituellement basé à Bangkok, dans la Thaïlande voisine, où il occupe le poste de correspondant du Monde, ne cesse depuis le mois de janvier de faire des allers et retours au Cambodge. La situation y est de plus en plus tendue. Les communications avec sa femme, d’origine chinoise, et ses enfants restés dans la capitale thaïlandaise sont aléatoires. Envoyer à Paris un article avant le couvre-feu réclame un incroyable déploiement d’énergie, tant les coupures de courant et la désorganisation de la poste centrale de Phnom Penh, où se trouve le télex, rendent l’opération incertaine.
Vous êtes bien mal payé… »
A 33 ans, de Beer a déjà promené sa longue silhouette un peu gauche au milieu de bien des conflits, depuis son arrivée au journal, en 1970. Il a couvert la guerre civile en Ethiopie et le conflit indo-pakistanais qui a donné naissance au Bangladesh. Mais depuis qu’il a obtenu le poste de correspondant en Asie du Sud-Est, quelques mois plus tôt, ce diplômé de Langues O’, qui parle chinois et malais, a le sentiment de vivre, avec le conflit cambodgien, un nouvel avatar de ces mouvements d’indépendance que Le Monde soutient depuis la guerre d’Algérie.
Avant que de Beer parte en poste à Bangkok, Fauvet l’a convoqué et, après avoir jeté un oeil sur son salaire, a convenu : « Vous êtes bien mal payé… » Le journaliste s’attendait à une proposition d’augmentation. Mais le directeur a seulement lâché à ce fils d’un écrivain-administrateur de la Comédie-Française : « J’espère que vos parents vous aident… » Lors de ses précédents reportages de guerre, Le Monde lui a versé une prime de risque d’à peine 1 000 francs.
Le 12 avril 1975, lorsque les Américains ont ordonné l’évacuation de leurs ressortissants et la fermeture de l’ambassade des Etats-Unis, le directeur, Jacques Fauvet, a fait passer un message à son reporter : « Rentrez à Bangkok. La situation devient trop dangereuse. » Des centaines d’Occidentaux, mêlés à quelques Cambodgiens, ont pris d’assaut les derniers gros hélicoptères, comme la plupart des envoyés spéciaux étrangers. Patrice de Beer est pourtant resté, en compagnie d’une vingtaine de journalistes, dont l’envoyé spécial du New York Times, Sidney Schanberg (son livre inspirera au cinéaste Roland Joffé La Déchirure), et bon nombre de photographes. Comme eux, il attend la confrontation finale entre les Khmers rouges, ces rebelles communistes cambodgiens armés par la Chine maoïste, et le gouvernement « républicain » soutenu jusque-là par les Etats-Unis.
La consigne a vite circulé, dans les salons du Phnom : lorsque la ville tombera, mieux vaudra se réfugier dans l’enceinte de l’ambassade de France, dont le vaste parc et les trois corps de bâtiment, presque en face de l’hôtel, offriront un territoire de protection. Rares sont les journalistes qui se croient vraiment en danger. La guerre du Vietnam, que certains des photographes venus à Phnom Penh ont couverte, a pourtant eu son lot de morts dans la presse. Mais la passion de l’aventure et de l’information, la concurrence qui anime aussi les envoyés spéciaux entre eux, est un moteur puissant.
Le 17 avril, les Khmers rouges sont au coeur de Phnom Penh. Ils ont pris la capitale si facilement que, dans les premières heures, les habitants, soulagés d’avoir évité de violents combats, les ont accueillis avec des vivats. Dès le début de l’après-midi, cependant, l’atmosphère tourne à la peur. Les communications sont coupées. Dans les rues, des soldats, qui ont parfois l’air de gamins avec leur pyjama noir et, autour du cou, leur « krama », ce foulard khmer à damier rouge et blanc, détruisent à coups de crosse tous les signes du confort occidental et diffusent par hauts-parleurs l’ordre impérieux d’évacuer la cité.
Le correspondant du Monde, dont le traducteur cambodgien qui faisait aussi office de chauffeur a fui dès les premières heures pour mettre sa famille à l’abri, est parti en reconnaissance avec quelques confrères. La petite troupe a été arrêtée à un barrage au bout de quelques minutes, et la voiture aussitôt confisquée par les Khmers rouges. Il a fallu revenir à pied, par des chemins détournés, jusqu’à l’ambassade de France. Là, le consul, Jean Dyrac, un ancien résistant de la seconde guerre mondiale, doit faire face à un afflux de réfugiés qui cherchent la protection de ce bout de territoire français et dont l’ethnologue François Bizot, qui sert alors d’interprète, racontera la tragédie dans son grand livre Le Portail (La Table Ronde, 2000)
La ville est libérée »
De Beer a pu négocier avec l’ambassade – la seule à pouvoir encore communiquer avec l’extérieur – la possibilité d’envoyer au journal un télégramme qui, grâce au décalage horaire, a pu parvenir à Paris dans la matinée du 17 avril, juste avant le bouclage. L’article de trois petits paragraphes a été publié en « une ». Titré « Enthousiasme populaire », il commence par une affirmation qui fera longtemps polémique : « La ville est libérée » ; et se termine sur quelques lignes rapportant la dernière entrevue du journaliste avec le premier ministre cambodgien déchu, Long Boret, la nuit précédente : « Il semblait inconscient de l’ampleur du désastre, des souffrances infligées au pays et de l’enthousiasme des Phnom-Penhois pour les forces révolutionnaires. »
A Paris, au quatrième étage de l’immeuble de la rue des Italiens, un planisphère épinglé d’une vingtaine de noms signale les envoyés spéciaux répartis sur la planète. Là s’ouvre le royaume du service Etranger, véritable bric-à-brac de bureaux recouverts de journaux et de souvenirs de voyage. Ces quelques dizaines de m2, où l’on parle russe, japonais ou arabe, sont les plus prestigieux du journal. L’ancien envoyé permanent à Moscou Michel Tatu dirige « l’étranger » d’une main aimable, laissant toutefois une grande latitude aux chefs de « desks », des experts regroupés par continents qui en savent généralement autant que leurs correspondants. On les appelle les « soviets » (pour les experts de l’Europe de l’Est et de l’URSS), les « asiates » (pour ceux qui couvrent l’Asie) ou les « arabisants » (les spécialistes du Proche et du Moyen-Orient), et leurs territoires sont des empires sur lesquels on n’empiète pas.
Les « asiates » n’ont pas retouché une ligne de la dépêche du reporter : par tradition, le journal ne modifie jamais l’article d’un de ses journalistes sur le terrain. Ils ne paraissent d’ailleurs pas vraiment surpris de sa description euphorique de l’arrivée des Khmers rouges. Ce cénacle, qui boit du thé vert l’après-midi en épluchant les nouvelles de Saïgon, s’est largement constitué par cooptation et partage quelques certitudes communes.
En ce milieu des années 1970, ce petit groupe d’érudits et d’aventuriers, dont beaucoup ont épousé des Japonaises, des Vietnamiennes ou des Chinoises, est convaincu de l’échec de la politique américaine dans la région. Robert Guillain, leur doyen de 67 ans, autorisé par Fauvet à travailler encore pour arrondir une inconfortable retraite, a été l’un des rares journalistes occidentaux à couvrir la seconde guerre mondiale depuis Tokyo, puis, en 1954, la bataille héroïque et désastreuse des Français à Dien Bien Phu.
Lorsqu’il arrive, en boitant légèrement dans les bureaux enfumés de la rue des Italiens, sa courtoisie et sa distinction « tellement vieille France », jurent les plus jeunes sans moquerie, sont celles d’un ambassadeur des empires disparus. Il couve paternellement les benjamins du service, Jean-Claude Pomonti et Philippe Pons, deux diplômés de Sciences politiques et de Langues O’ qui ont débuté leur carrière, comme toute une génération de reporters, dans les bombardements au Vietnam et au Cambodge.
Il ne fait pas de doute, à leurs yeux, que la décolonisation est inéluctable. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls. A la tête du Monde diplomatique, une filiale du quotidien, Claude Julien, l’ancien chef du service Etranger du quotidien surfe sur cette vague qui grossit en défendant l’émancipation des pays en voie de développement contre l’impérialisme américain. A la tête du desk Asie, premier arrivé chaque matin et dernier parti chaque soir, Jacques Decornoy protège d’une main ferme la petite troupe des « asiates ». Cet énarque, devenu journaliste après un stage au Monde, est un tiers-mondiste convaincu. « Après un reportage au Vietnam, il avait fait des pieds et des mains pour retrouver une petite fille dont les parents avaient été tués dans le bombardement au napalm de son village par les Américains », raconte aujourd’hui sa femme, Denise, alors employée dans l’administration du Monde. Tout le service Etranger a suivi l’adoption par le couple de la petite orpheline.
un mouvement de résistance contre un gouvernement fabriqué par les Américains »
Decornoy fréquente de nombreux cercles militants contre l’« impérialisme des Etats-Unis », qui paraît, à une partie de la gauche, plus dangereux que les totalitarismes soutenus par Moscou ou Pékin. Parfait anglophone, il correspond régulièrement avec le linguiste Noam Chomsky, l’un des intellectuels américains les plus en pointe contre la politique de Nixon au Vietnam, qui osera qualifier plus tard l’élimination de 1,7 million de Cambodgiens par Pol Pot de « génocide éclairé ». Comment pourrait-il vraiment mesurer la folie des Khmers rouges ? A Paris, cet amateur de littérature et d’opéra n’a croisé que les plus diplômés des sympathisants du « Kampuchea démocratique », « des normaliens et des polytechniciens, se souvient Patrice de Beer : Nous ignorions encore que la plupart seraient exécutés à leur retour à Phnom Penh ».
Exigeant et parfois cassant, Jacques Decornoy est aussi resté proche de Jean Lacouture, dont il a repris la rubrique en 1966, après que ce dernier eut été nommé grand reporter puis, faute de se voir accorder une place à sa mesure – Le Monde refuse les « stars » – fut parti au Nouvel Observateur. Malgré son départ, l’aisance et l’aura de Lacouture sont restées légendaires rue des Italiens. La plupart des jeunes reporters du quotidien continuent de le croiser, dans les ambassades ou les vieux palaces de Hanoï où cette grande plume a coutume de taper debout ses papiers, sur une vieille machine à écrire posée sur un classeur. Or Lacouture, comme toute la presse de gauche, salue lui aussi avec l’arrivée des Khmers rouges « un mouvement de résistance contre un gouvernement fabriqué par les Américains » qui annonce la venue imminente d’un « meilleur Cambodge »…
A Phnom Penh, cependant, les liaisons sont coupées et les frontières fermées depuis trois semaines. Il faudra attendre le 10 mai 1975 et l’évacuation totale des Occidentaux réfugiés à l’ambassade de France jusqu’à la frontière thaïlandaise, après trois jours en camion sous des pluies diluviennes, pour que soit publié un nouveau reportage de Patrice de Beer. Il y raconte, avec une distance glacée, la façon dont des membres de l’ancien régime ont été remis au « Kampuchea démocratique ». Le soir, les journaux télévisés diffusent longuement le témoignage du reporter du Monde, flottant dans une chemisette, le visage mangé par la barbe, mais le ton rassurant.
Comme souvent, Le Monde s’attache à multiplier les sources et cite des témoins qui mettent en garde contre la terreur mise en place par les Khmers rouges dès l’évacuation de la ville. Mais il publie longuement l’analyse de son correspondant, qui justifie ainsi le verrouillage complet du pays : « Pourquoi cette attitude ? Sûrement pas, comme tente de le faire croire l’administration américaine qui se raccroche à la théorie du “bain de sang”, pour cacher des horreurs que de sadiques hommes en noir seraient en train de perpétrer. » Assurant que « personne ne peut se permettre de juger une expérience aussi nouvelle, aussi révolutionnaire », Patrice de Beer réfute en outre les rumeurs alarmistes qui circulent déjà : « Aujourd’hui, une fois de plus, Washington, se fondant sur des propos de réfugiés ou des rapports de services secrets – dont on sait combien ils se sont trompés –, parle de milliers de personnes exécutées. On donne l’exemple du Oudong, où nous sommes passé le 30 avril, et n’avons rien vu. On parle de massacres systématiques de familles, alors que nous avons vu, par exemple, la femme du “super-traître” Long Boret, ancien premier ministre, partir librement avec ses enfants après la reddition de son mari. Sans doute des responsables civils et militaires du régime déchu sont morts ou seront exécutés. Mais quelle valeur peut-on accorder à de prétendues écoutes radio ? »
Le 12 mai, Jacques Decornoy prend lui-même la plume pour répliquer aux premières critiques du Figaro et de L’Aurore, où le philosophe Raymond Aron conteste à mots couverts la ligne du Monde : « Faut-il ajouter, sans être soupçonné d’être une “belle âme”, que seraient plus qualifiés, pour dénoncer hâtivement des exactions, ceux qui n’auront pas omis, au cours de la guerre, d’accorder autant de place aux atrocités de l’autre camp et aux boucheries provoquées par l’aviation américaine ? » Le 18 juillet, il justifie encore : « Ce peuple est à l’ouvrage jour et nuit, si l’on en croit Radio Phnom Penh – qu’il n’y a aucune raison de ne pas croire en ce domaine – tout le monde vit de la même façon, transporte, pioche, reconstruit, repique, ensemence, récolte, irrigue, depuis les enfants jusqu’aux vieillards. L’allégresse révolutionnaire a, paraît-il, transformé le paysage humain (…). Une société nouvelle est assurément en gestation dans le royaume révolutionnaire. »
A Moscou, le correspondant Jacques Amalric, qui reçoit Le Monde avec une semaine de retard, « sursaute » en lisant l’éloge de la révolution cambodgienne, lui que la « glaciation brejnévienne » en Union soviétique a rendu méfiant à l’égard des communistes. De son côté, Jean-Claude Pomonti, en poste à Nairobi (Kenya), a écouté la chute de Phnom Penh à la BBC. « Un an plus tôt, j’étais encore dans la ville assiégée. Je me doutais bien que l’évacuation de deux millions de personnes avait dû être effroyable », dit-il aujourd’hui. Personne ne réagit vraiment cependant. « C’était l’air du temps », reconnaît Pomonti.
Quelle qu’en soit l’ampleur, il paraît bien s’agir d’une tragédie »
Alors que L’Archipel du goulag, de Soljenitsyne, a brisé les illusions sur le régime soviétique, une partie de la presse de gauche – Le Nouvel Observateur, Libération, L’Unité, L’Humanité – a reporté ses espoirs sur le maoïsme. Depuis 1973, le correspondant du Monde à Pékin, Alain Bouc, ne cache d’ailleurs pas son admiration pour le régime chinois. Les articles enthousiastes sur la Révolution culturelle de ce trentenaire barbu et un peu raide suscitent les plus vives critiques du sinologue belge Pierre Rickmans, qui écrit sous le pseudonyme de Simon Leys. Ils font aussi lever les yeux au ciel de Robert Guillain qui, dès 1956, a décrit ces « six cents millions de Chinois dans l’engrenage communiste ». Lorsqu’il lit la langue de bois du Quotidien du peuple, le doyen des « asiates » se doute bien que la société chinoise n’est pas aussi paradisiaque que dans les articles du correspondant du Monde. Mais c’est ainsi : à l’été 1975, le directeur Jacques Fauvet envoie une lettre de félicitation au service Etranger pour sa couverture du Cambodge, « incontestablement la plus fournie de la presse française ».
L’hiver venu, le quotidien de la rue des Italiens ne peut pourtant plus ignorer l’afflux de témoignages des réfugiés parvenus à fuir vers la Thaïlande. Les 17 et 18 février 1976, il publie deux longs articles de François Ponchaud qui font sensation : « Cambodge, neuf mois après ». Missionnaire catholique installé depuis 1965 au Cambodge, Ponchaud a vécu la chute de Phnom Penh, l’exode massif de la population et l’évacuation de l’ambassade de France, comme Patrice de Beer. Mais il a recueilli aussi les terribles récits relatant comment « les autorités procèdent à des déplacements massifs de population et ont éliminé de nombreux cadres de l’ancienne administration ». Il raconte l’embrigadement des enfants, la déportation des intellectuels dans les campagnes, la famine, les tortures, et avance un premier chiffre de 800 000 morts depuis l’arrivée des Khmers rouges, dix mois auparavant.
C’est une rude désillusion. Le débat est si vif, au sein du journal, qu’au lendemain d’un nouveau témoignage accablant, le quotidien publie encore, le 19 avril 1976, la tribune d’un cadre du « Kampuchea », affirmant que « tout le pays est couvert de rizières » et accusant les réfugiés d’être « intoxiqués par la propagande ennemie ». Cette fois, André Fontaine prend la plume. Le rédacteur en chef du Monde passe souvent, aux yeux des reporters, pour fréquenter d’abord les ambassades et les milieux officiels. Le 29 avril 1976, il donne cependant clairement la ligne du quotidien sur la réalité sanglante du Cambodge : « Quelle qu’en soit l’ampleur, il paraît bien s’agir d’une tragédie, écrit l’ancien patron du service Etranger dans un éditorial qu’il a tenu à signer. Le pays a été transformé en un vaste camp de concentration, d’où toute trace de liberté individuelle, toute référence aux cultures importées et même à la tradition bouddhiste, ont été bannies. » Et pour que les choses soient claires : « Que les nouveaux maîtres du Cambodge aient libéré celui-ci d’un régime cruel et pourri jusqu’à l’os ne suffit pas a priori à les innocenter. »
L’aveuglement dont “Le Monde” ne fut pas exempt »
Curieusement, parmi les « asiates », le sujet reste un non-dit. Si Jean Lacouture avoue en 1978, dans Valeurs actuelles, sa « honte » d’avoir « péché par ignorance et par naïveté », le service Etranger du Monde préfère répondre, la même année, par la publication d’une série sans équivoque de Roland-Pierre Paringaux, dénonçant « la dynamique de la terreur » de Pol Pot. Mais cette querelle entre tiers-mondistes et anti-communistes est un poison lent. Le conflit éclate en 1981, lorsque Claude Julien se présente à la direction du Monde contre André Fontaine. Les anciens articles de Decornoy, partisan de Julien, ressurgissent discrètement. La défaite de son candidat signera son divorce d’avec Le Monde, qu’il quitte pour rejoindre TF1, puis, Le Monde diplomatique, jusqu’à sa mort en 1996.
Le 19 avril 2005, le quotidien finit par reconnaître, d’une simple phrase au détour d’un éditorial dénonçant la cruauté des Khmers rouges, « l’aveuglement dont “Le Monde” ne fut pas exempt ». En ce début d’été 2014, dans un café de la place Denfert-Rochereau, le retraité Patrice de Beer paraît avoir presque oublié ces années sanglantes. « Nous n’avions pas tout vu. Nous n’avions pas tout compris, c’est sûr…, reconnaît-il, et peut-être me suis-je retrouvé comme Fabrice à Waterloo… » Lors d’un retour au Cambodge en 1981, on lui avait montré les centres de tortures à Phnom Penh et les charniers en province. Il se souvient qu’il préféra alors partir en poste, loin de l’Asie, à Londres puis à Washington, afin, dit-il, de « changer d’horizon ».
Demain : Le jour où… « Le Monde » choisit de torpiller Giscard
Source:© Le jour où… « Le Monde » salua l’arrivée des Khmers rouges