INTERVIEW – Le candidat à la présidence des Républicains propose son projet pour l’Union européenne, face à celui d’Emmanuel Macron.
LE FIGARO. – Alain Juppé a évoqué un «grand mouvement central» pour les européennes. Était-ce une erreur?
Laurent WAUQUIEZ. – J’ai beaucoup de considération pour Alain Juppé. Il souhaite ouvrir un débat sur l’Europe, tant mieux! La famille politique que je veux refonder ne doit pas avoir peur de ces débats. Ma vocation est de rassembler, y compris lorsque s’expriment des positions différentes. Le deuxième débat qui est ouvert par Alain Juppé est celui d’un grand parti central où la droite et les socialistes se fondraient autour d’Emmanuel Macron. C’est pour moi une profonde erreur. Cette alliance contre nature ouvrirait la voie à une droite qui ne fait rien, qui ne sait plus où sont ses valeurs. Ensuite, ce parti unique ouvrirait un large espace aux extrêmes. Et je sais qu’Alain Juppé est très préoccupé de cela. Tout mon combat, c’est de rappeler cette évidence: la droite n’est pas soluble dans En marche! et la démocratie française a besoin de la droite républicaine. Ce que je veux reconstruire, c’est une alternative face à Emmanuel Macron ; les Français ont le droit au choix.
«Je proposerai au contraire que sur le prochain mandat du Parlement européen il n’y ait plus aucun élargissement»
Prônez-vous des listes LR pour les européennes?
Bien sûr. Et au fond Alain Juppé lui-même a précisé sa pensée. C’est une profonde erreur que de commencer à poser la question par le plus petit bout de la lorgnette, celle des alliances électorales. La droite ne peut être une simple décalcomanie de la vision que porte Emmanuel Macron. Nous avons au contraire de profondes différences d’approche.
Qu’est-ce qui distingue votre projet de celui d’Emmanuel Macron?
Emmanuel Macron fait trois erreurs. Premièrement, il reprend tous les poncifs des discours européens depuis les années 1950. Son projet consiste à continuer comme si de rien était. Or tout a changé. Les peuples ont exprimé des doutes, le Royaume-Uni est en passe de sortir de l’Union européenne, celle-ci est de moins en moins opérationnelle. On est au bord du gouffre et Emmanuel Macron propose de faire un pas en avant et d’élargir l’Union aux Balkans. Je proposerai au contraire que sur le prochain mandat du Parlement européen il n’y ait plus aucun élargissement. Emmanuel Macron renvoie avec mépris tous les doutes exprimés par les Européens à des passions tristes au lieu de chercher à les comprendre. La deuxième erreur d’Emmanuel Macron, c’est de n’avoir toujours pas compris qu’on ne fera pas l’Europe contre les peuples.
Vous parliez de trois erreurs…
Sa profonde erreur, c’est aussi d’opposer la souveraineté française à la construction européenne quand il faut au contraire les marier ; c’est de penser qu’il faut aller vers toujours plus de fédéralisme. Je crois au contraire à l’Union des États nations.
Que pensez-vous de la une de Time qui place Macron en leader de l’Europe?
Un vrai leadership implique de défendre les intérêts de la France! Le leadership, c’était quand Nicolas Sarkozy présidait l’Union européenne. Quand on va brader Alstom en nous faisant croire que l’on va créer un géant européen, il n’y a ni leadership européen ni défense des intérêts français.
«Je crois profondément qu’il y a un autre chemin à trouver entre le fédéralisme technocratique de Macron et le Frexit de Le Pen et Mélenchon»Laurent WAUQUIEZ
Quel projet européen défendez-vous?
Je crois profondément qu’il y a un autre chemin à trouver entre le fédéralisme technocratique de Macron et le Frexit de Le Pen et Mélenchon. Nous devons sortir de l’opposition entre proeuropéens et eurosceptiques. Emmanuel Macron a tort de les opposer. Moi, je veux réconcilier, rassembler.
Le risque de fracture est fort à droite…
Je ne le crois pas. Le chemin que je propose est la réconciliation entre la famille issue de Monnet et la filiation de Séguin pour sortir du gouffre ouvert au moment de Maastricht. À l’époque, on a sédimenté deux blocs: celui des proeuropéens qui excluaient de faire la moindre critique sur l’Union européenne et celui des eurosceptiques qui donnaient le sentiment de vouloir tuer l’Europe. Le moment est venu de les réunir.
L’Europe ne sert-elle pas souvent de bouc émissaire pour les politiques?
C’est vrai. Les politiques français ont affublé l’Europe de tous les maux qu’ils n’étaient pas capables de traiter par lâcheté. L’Europe n’est pas responsable des difficultés actuelles de la France. Comme François Fillon l’avait compris, si la France veut changer l’Europe, qu’elle commence par se changer elle-même.
«Si on veut sauver l’Europe, il faut la refonder profondément. Je veux que la France prenne l’initiative d’un traité de refondation de l’Union européenne»
On vous accole l’étiquette d’eurosceptique. Vous définissez-vous comme «européen»?
Je rejette l’étiquette d’eurosceptique ; je suis un européen convaincu. Face à la mondialisation et pour que la France pèse et se protège, il est indispensable de s’adosser à l’Europe qui doit être un bouclier de protection et un moteur de conquête. Mais je refuse de continuer comme nous l’avons fait depuis quarante ans. C’est ce qui a amené l’Europe dans l’impasse. Si on veut sauver l’Europe, il faut la refonder profondément. Je veux que la France prenne l’initiative d’un traité de refondation de l’Union européenne.
Quels seraient les grands piliers de cette refondation?
Il y a quatre grands axes selon moi. Le premier, c’est de revoir l’architecture de l’Union européenne comme le propose Édouard Balladur. À vingt-sept, cela ne marche pas. Je propose donc d’organiser l’Europe autour de trois cercles. Le premier, c’est un noyau dur, sans doute autour de douze pays, dans lequel nous devrons aller beaucoup plus loin en matière d’harmonisation fiscale, de droit du travail, de règles sociales, pour supprimer le dumping social. Autour, un deuxième cercle, celui de la zone euro, dans laquelle l’objectif principal serait de renforcer tout ce qui permet de soutenir l’euro et d’en faire un outil monétaire au service de la création d’emplois et de valeur. Ensuite le troisième cercle: une zone de libre-échange renforcée, dans laquelle il faudra redonner des compétences de la Commission aux États-membres s’ils le souhaitent. Et le Royaume-Uni y aurait toute sa place.
Le Brexit est-il donc une erreur?
Je suis ahuri de voir qu’on se félicite de se séparer de la deuxième économie européenne! Grâce à cette organisation en cercles, nous pourrions proposer au Royaume-Uni de réintégrer une Union européenne qui correspondrait à ce que sont ses attentes, sans pour autant affaiblir ce que nous nous souhaitons pour l’Europe.
Et les autres axes?
La deuxième chose que je souhaite, c’est que l’Europe réassume ses valeurs et sa civilisation. Emmanuel Macron a tort: il n’y a pas de nation européenne. Il y a en revanche une civilisation européenne. L’Union européenne s’est construite sur une vision de marché économique mais on a fini par oublier les fondamentaux de sa culture humaniste qui sont à la base du projet européen: les racines gréco-latines, les racines judéo-chrétiennes et l’héritage des révolutions et des Lumières. Ils devront figurer dans le traité de refondation. La troisième chose, c’est de faire le toilettage des compétences de l’Union européenne et des projets. Cela fait combien de temps que l’on n’est pas parvenu à illustrer l’apport de l’Union européenne à travers un grand projet?
«Je préconise que la France retrouve la souveraineté sur sa politique migratoire et qu’on bâtisse un nouveau Schengen, sans cette politique migratoire»
Quels projets proposez-vous?
J’en suggère quatre. D’abord, prendre une grande initiative pour que l’Europe soit le premier continent au monde à découvrir les vaccins contre les maladies neuro-dégénératives et Alzheimer. Deuxièmement, que l’Europe prenne l’initiative d’une couverture intégrale du territoire européen en 4G, avec 30 gigas de débit minimum. Troisièmement, Erasmus. Seulement 5 % d’une génération d’étudiants font Erasmus, c’est anormal. Nous devrions concentrer les investissements sur la jeunesse, l’avenir. Enfin, que l’Union européenne prenne elle-même la réalisation de grands équipements. Toutes les grandes infrastructures européennes sont à l’arrêt parce qu’elles dépendent des cofinancements des États. L’UE peut faire pourtant là la preuve de son utilité.
Où, ailleurs, est-elle inutile?
Il y a des domaines où cela ne marche pas et il faut que l’on puisse en sortir sans que cela soit un drame. L’Europe de l’immigration, cela ne marche pas! Je préconise que la France retrouve la souveraineté sur sa politique migratoire et qu’on bâtisse un nouveau Schengen, sans cette politique migratoire. Au fond, une règle simple: partout où on est plus fort ensemble, on s’appuie sur l’Europe. Ailleurs, la liberté. Enfin, dernier élément de cette refondation, retrouver le but initial de l’Europe, défendre nos emplois, faire grandir nos entreprises. C’était l’ambition initiale des pères fondateurs. Jusqu’à Amsterdam, la préférence communautaire était fixée comme un des objectifs de l’Union européenne. Je souhaite donc un «buy european act», qui donne une priorité d’accès aux marchés publics, comme le font les Américains pour défendre leurs intérêts.
«J’ai été ministre des Affaires européennes, j’ai vu l’ankylose progressive de l’Europe. Je refuse le décrochage de l’Europe comme je refuse celui de la France, c’est le même combat»
Pour ce traité de refondation, êtes-vous partisan d’un référendum?
Oui, car on ne construit pas l’Europe contre l’avis des peuples.
Sur l’Europe, vous avez évolué…
À 18 ans, j’étais un fédéraliste européen, j’étais convaincu que ma génération serait celle qui élirait un président de l’Europe au suffrage universel. Et croyez-moi, je suis malheureux de la perte de ce rêve européen car j’ai l’ambition européenne chevillée au corps. Mais ma conviction est que cela passe aujourd’hui par un discours de lucidité et non d’utopie qui empêche l’Europe d’ouvrir les yeux sur ce qui est en train de la tuer. J’ai été ministre des Affaires européennes, j’ai vu l’ankylose progressive de l’Europe. Je refuse le décrochage de l’Europe comme je refuse celui de la France, c’est le même combat. Je ne suis pas un homme de résignation.