Alors qu’un grand nombre de médecins demande la possibilité d’appliquer en Corse le protocole mis en place par le professeur Raoult à l’IHU de Marseille, un décret autorise les médecins de ville à administrer, hors structures hospitalières des traitements de soins palliatifs
C’est un lièvre de la taille d’un mammouth qu’a soulevé l’Associu corsu di a salute.
L’association s’insurge contre la possibilité d’administrer du Rivotril hors AMM (autorisation de mise sur le marché) pour les médecins de ville.
Dans un communiqué, l’association insiste sur l’utilité des soins palliatifs pour les patients atteints d’une maladie évolutive grave ou en phase terminale. Mais estime que les médecins “n’ont pas vocation à accélérer un tri barbare et arbitraire de patients par des médecins à qui on aurait refusé en amont les moyens du diagnostic et du traitement.”
“La dérive actuelle, tendant à généraliser, par décret, dans le cadre de l’épidémie due au Covid-19, l’usage hors AMM du Rivotril injectable ou de tout autre produit accélérant la fin de vie chez des patients ‘ne pouvant être admis en réanimation’, à l’heure où l’on bloque les possibilités de prescriptions que les médecins réclament à cor et à cri, est des plus inquiétantes.”
Les médecins de cette association rappellent qu’ils s’opposeront “toujours à ce qui est contraire au serment que nous avons tous prêté.” Ils appellent “l’ensemble de la société corse à la plus extrême vigilance quant aux orientations douteuses d’un système déshumanisé et disqualifié.”
Formulée de cette manière, l’alerte interroge. Pourquoi la prescription dérogatoire d’un médicament, en médecine de ville, en pleine épidémie de Covid-19 soulève-t-elle cette émotion ? C’est, qu’en fait, le Rivotril, dans ce cas-là, n’est pas destiné à soigner, comme le souligne le Dr Éric Simoni, secrétaire de l’Associu corsu di a salute. “C’est un médicament qui sert, notamment, à traiter l’épilepsie. Il sert aussi en soins palliatifs, pour des patients qui n’ont aucune chance de voir leur situation s’améliorer et dont on doit abréger les souffrances intolérables”, dit-il sobrement.
“Il est particulièrement contre-indiqué en cas de détresse respiratoire, d’apnée du sommeil et d’insuffisance hépatique”, renchérit le Dr Sauveur Merlenghi, qui dénonçait récemment le “serment d’hypocrite” dans nos colonnes.
L’un et l’autre mettent en parallèle le décret très restrictif concernant la chloroquine, interdisant notamment aux médecins libéraux de l’utiliser pour des patients présentant un début d’infection au Covid-19 et pas encore de détresse respiratoire.
Le décret 2020-360 du 28 mars 2020
Il aura cependant fallu quatre jours à des praticiens qui travaillent “la tête dans le guidon” pour mettre au jour ce décret (le 11e sur 69) paru au Journal officiel du 29 mars et passé quasi inaperçu. Ce décret, qui complète un décret du 23 mars, parle d’abord des réquisitions de locaux, puis de la prescription de paracétamol injectable en milieu hospitalier pour finir avec l’autorisation de délivrer du Rivotril dans les pharmacies d’officine pour “la prise en charge de patients atteints ou susceptibles d’être atteints par le virus dont l’état clinique le justifie sur présentation d’une ordonnance médicale portant la mention ‘Prescription Hors AMM dans le cadre du Covid-19′ (…) le médecin se conforme aux protocoles exceptionnels et transitoires relatifs, d’une part, à la prise en charge de la dyspnée et, d’autre part, à la prise en charge palliative de la détresse respiratoire, établis par la société française d’accompagnement et de soins palliatifs et mis en ligne sur son site…”
Il faut reconnaître qu’entre le langage médical et le langage juridique, le texte n’est pas totalement explicite. Mais il suffit d’aller sur le site de la société française d’accompagnement et de soins palliatifs pour comprendre. Voilà ce que dit la SFAP : “Dans le contexte dramatique d’épidémie de Covid-19 à laquelle notre pays est confronté, il est primordial d’anticiper la prise en charge optimale de nos patients. L’accès aux services de réanimation est déjà limité dans plusieurs régions. Les équipes de ces territoires nous disent être régulièrement confrontées à des fins de vie difficiles, notamment dans les Ehpad et à domicile pour des patients âgés et dépendants qui n’ont pas pu être hospitalisés”. Viennent ensuite les recommandations de la SFAP pour les patients hospitalisés.
Et enfin : “Dans les régions déjà concernées par une saturation des services hospitaliers et dans celles qui risquent malheureusement de l’être dans les jours à venir, la SFAP met à disposition de toutes les équipes soignantes les documents ci-joints dans le but d’assurer aux patients les plus sévèrement atteints un apaisement de leurs souffrances en cas de dyspnée ou de détresse respiratoire”.
En un mot comme en cent : s’il n’y a plus de place pour prendre les patients en détresse respiratoire, on demandera aux médecins de ville de “faire le tri” en amont, en administrant directement des traitements palliatifs à ces patients. Pour ce faire, on leur facilite la tâche en leur permettant d’être approvisionnés dans les pharmacies.
Ne pas adapter les soins au nombre de lits
“On ne nous donne pas l’autorisation de soigner, mais on nous donne celle de sédater”, s’insurge Éric Simoni. “La raison c’est que l’on commence à manquer de chloroquine et contrairement à d’autres pays comme le Maroc, la France n’a pas enjoint Sanofi d’en produire”, assène Sauveur Merlenghi.
L’un et l’autre ne remettent nullement en cause les soins palliatifs qui sont une avancée significative dans la manière de traiter avec humanité les patients en fin de vie ou atteints de pathologies particulièrement douloureuses. Ils refusent juste que ce soit la seule solution. Et surtout que cette solution soit conditionnée au nombre de lits disponibles.
Paul-André Colombani, pour sa part, ne veut même pas entendre parler de ce décret. “Je me bats pour que l’on puisse appliquer en Corse le protocole du professeur Raoult et que l’on inverse la charge de la preuve : on n’attend pas de voir si cela marche avec des essais à long terme.
On l’applique et on révise le protocole si cela ne marche pas. D’ores et déjà en Corse s’ouvrent des centres Covid. Il faut qu’ils puissent tester les patients et les soigner”, dit-il.
Une doctrine qui ne semble pas encore être celle du ministère de la Santé.
Source:© L’Associu corsu di a salute refuse “un tri barbare et arbitraire”