LA CHRONIQUE D’ADRIEN GOETZ – Pour la première fois sont réunies aux Beaux-Arts de Caen des œuvres de cet artiste méconnu. Un seul tableau est signé de sa main.
Le seul tableau signé de Lambert Sustris, artiste mystérieux né aux Pays-Bas dans les années 1510 et dont on perd la trace après 1553, est conservé au Musée de Caen depuis 1802. Ce Baptême du Christ, peint vers 1550, a fait partie des collections de Louis XIV. C’est un étrange chef-d’œuvre : dans un large paysage bleuté, d’une intense poésie, le Christ n’est pas, au premier regard, la figure principale. Une jeune baigneuse, qui pourrait sembler bien profane avec ses cheveux blonds dénoués, se dévêt sur un rocher, comme une figure de proue néerlandaise, incongrue au milieu du Jourdain. L’incarnat de sa peau nimbée de lumière pourrait presque faire oublier le mystère de l’incarnation, la colombe du Saint-Esprit et même, dans les nuages, l’apparition de Dieu le Père. Diane et Actéon, prêt exceptionnel des collections royales britanniques, montre aussi une scène de bain en pleine nature.
Lambert Sustris joue du mélange du sacré et du profane, il peint un délicieux jardin géométrique à l’arrière-plan du Christ ressuscité dans son Noli me tangere, venu du palais des beaux-arts de Lille. Étrangeté des détails – Actéon en habit de chasse avec ses cornes de cerf, la Fortune en équilibre sur une boule, des captifs derrière une grille menacés par le fouet d’une vieille femme – et raffinement de la lumière caractérisent ces tableaux qui n’avaient jamais été rassemblés. Emmanuelle Delapierre, la directrice du Musée des beaux-arts de Caen, a eu la bonne idée de faire appel à Benjamin Couilleaux, conservateur au Musée Cognacq-Jay, qui poursuit actuellement une thèse consacrée à la carrière du peintre.
Pour mieux connaître ce voyageur qui séduisit quelques-uns des grands commanditaires européens de son temps, il a réuni tous les éléments du dossier: treize tableaux, pas plus, mais choisis pour éclairer les jalons les plus importants d’une vie d’artiste. L’exposition est passionnante, et courageuse, elle se visite comme une recherche en cours, mené par un savant qui n’élude aucun problème de datation ni d’attribution, et s’efforce d’établir une chronologie à partir de documents lacunaires et peu nombreux.
Ce Lambert d’Amsterdam arrive à Rome vers 1530, travaille à Venise et à Padoue, on le retrouve à Augsbourg après 1548, c’est à peu près tout ce que l’on sait de lui. Le réduire à n’être qu’un émule du Titien ou de Tintoret est à l’évidence injuste. L’exposition met en évidence couleurs douces et fantaisies audacieuses, qui n’appartiennent qu’à lui. On y découvre une magnifique Judith, tenant d’une main une épée et de l’autre la tête décapitée d’Holopherne, œuvre de la Cobbe Collection de Hatchlands Park, confrontée à celle de Lille et à la Judith de Véronèse et de son atelier, qui appartient au musée de Caen, et se trouve quelques salles plus loin. Les compositions de Lambert Sustris sont faites pour plaire et intriguer. Cette première exposition aurait pu n’être qu’un exercice d’érudition, un accrochage pour spécialistes : les tableaux irradient de toutes leurs splendeurs maniéristes et la réussite est totale.
«Lambert Sustris. Un artiste de la Renaissance entre Venise et l’Allemagne », Musée des beaux-arts, Caen (14), jusqu’au 4 mars. Catalogue, Musée des beaux-arts de Caen, 17 €.
Source:© Lambert Sustris renaît au musée de Caen